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1974 - Plaidoirie de Pascal Lissouba devant le tribunal du PCT

Le parcours politique du Professeur Pascal Lissouba, [1] sera ponctué à compter de sa démission du gouvernement Massamba-Debat [2] en 1966, par plusieurs arrestations arbitraires, interpellations judiciaires, policières et militaires fomentés par ses adversaires politiques sous la domination sans partage du parti unique, le PCT, à l’instar de celle pour laquelle il prononcera la plaidoirie qui suit devant la Commission Centrale de Contrôle et de Vérification du Parti Congolais du Travail en date du 30 Avril 1974.

Nous reproduisons ci-dessous, par devoir de mémoire, ce que nous avons retrouvé de ce texte.

Au Camarade Président de la Commission Centrale de Contrôle et de Vérification du PCT

Camarade,

Nous avons été payés en retour de la cordialité dont était empreinte notre première entrevue, par un débat de procédure qui ne s’imposait nullement, si le contexte avait été celui que vous m’aviez tracé. J’ai cru comprendre le situer dans une quête de mes « impressions », mes « sentiments » vis-à-vis du parti et de mes « conceptions » à son endroit (je souligne ici les mots que j’ai retenus de vous).

A mon sens, cela excluait l’allure policière, que le débat de procédure tendait à imprimer.

Ignorant dans ce cas, le fond du problème, permettez que je me situe dans les limites de votre propos liminaire.

Je choisis ainsi la procédure la plus conciliante, pour nous éviter discussions et pertes de temps inutiles. Nos responsabilités mutuelles et la conjoncture politico-économique du pays le commandent.

La Conférence Nationale et le Congrès du Parti ont à mon sens aplani les luttes entre « micro-idéologies ». Les retombées de la crise énergétiques donnent une nouvelle dimension à l’action de la Révolution : « résoudre les problèmes des masses dans les délais historiques les plus brefs ». L’heure est au savoir-faire et non à la phase ; je m’en voudrais alors, d’être complice, même involontaire, d’un divertissement !

Ainsi se justifie cette procédure. Elle s’impose même.

Mais, avant de répondre, le plus complètement que je puis, à votre interrogation, je tiens à remercier, tout de même, le Parti pour cette attention et surtout pour l’occasion qui m’est offerte de me situer, non par rapport au Parti, mais par rapport à sa pratique ; bien que cela ne s’imposait nullement.

Pour moi, Camarade Président, au-dessus du Parti, sont le Congo et sa Révolution.

Notre révolution n’a pas fait qu’abolir un régime, combattre un système (néo-colonial) et remplacer des hommes. Ce qui doit faire sa force, ce sont ses idéaux, de désaliénation de l’homme (congolais en particulier), de démocratie, de paix sociale, par la démobilisation soutenue de l’impérialisme et du tribalisme, pour libérer l’homme.

Pour cela, elle a besoin des cadres compétents, valables. Mais elle n’a pas à s’incliner devant des noms, si prestigieux qu’ils aient été, si soient-ils, si puissants qu’ils deviennent !

La révolution les a enrôlés à son service ; au service de ces idéaux. Elle les « rejette dans le néant, s’ils ne veulent pas apprendre d’elle ».

Ainsi elle a eu raison du subjectivisme triomphant de 1966 à 1968 et la dure intolérance qui l’affectait par le fait tribal.....

Et qui en sera ainsi, toujours ainsi,

Né de ces fautes, le Parti a t’il appris de cette première phase ?
Objectivement il s’est présenté comme une nécessité et comme l’instrument historique que se sont donnés la Révolution et son prolétariat pour redresser leur voie et résoudre leurs problèmes fondamentaux.

La force du PCT (être au pouvoir à sa naissance) devait en fait constituer sa plus grande faiblesse dans sa pratique.
Né au pouvoir, d’une Révolution au pouvoir, le « recrutement » de ses membres ne devait que laisser porte ouverte aux arrivistes. Chaque Responsable en pointe, y entraînant sa « clientèle », devait ainsi constituer son clan. Le bon militant n’est plus forcément celui forgé par l’expérience et la lutte, capable et volontaire, mais sûrement le plus fidèle à telle ou telle famille idéologique ou clan. « L’attachement sentimental » plus immédiat, parceque dicté par la solidarité primitive a ainsi supplée à la conscience révolutionnaire.

Cela, je l’ai toujours dénoncé ; le Parti doit certes être formé d’éléments conscients, animés du souci de défendre les intérêts du collectif des travailleurs, en accord avec les objectifs du programme, et sélectionnés pour leur capacité à agir dans les masses.

Il faut à la fois se baser pour ce recensement nécessaire sur les cadres et militants des organisations qui ont contribué, dès les premiers jours de la révolution, aux transformations qualitatives de notre société et qui ont fait leurs preuve, car déjà sélectionnés par la pratique de la révolution, et sur les cadres techniquement valables.....

Si l’on ne respecte dans ces premières étapes ce considérant démocratique élémentaire, si l’on continue à tourner le dos à ces critères de valeur et d’expérience, les rivalités de personnes, les oppositions de clan, de tribus, prennent la première place, et le jeu des arrivistes, des tribalistes en est facilité d’autant : les militants seront appelés à choisir arbitrairement au cours d’élections préfabriquées ou de congrès téléguidés, et se retrouveront dans des camps opposés sans que les motifs de leurs divisions apparaissent clairement...(Conscience du développement et démocratie 1969 ; P.4) Opposé à ces pratiques et n’ayant aucune clientèle, je n’y avais et ne pouvait y avoir place. On ne profita pour dresser toute la base révolutionnaire et militante contre ma personne....La déchirure entre mes camarades de luttes et moi-même s’agrandissait....

A la faveur des douloureux évènements de Février 1972, inévitables de par ce qui précède, j’ai pensé que la Conférence Nationale avait réellement ébranlé ce carcan dans lequel s’était enfermé le Parti.

La base idéologique clarifiée, posée et acceptée de nous tous, je pensais néanmoins qu’il fallait laisser le temps améliorer la pratique du Parti, combler la « déchirure », ruiner la méfiance, voire la haine, que me voulait bon nombre de responsables tant déchus que rescapés.
Il faut en effet reconnaître que ce qui les unissait, par delà leurs divergences sur l’essentiel, leur contradiction devenue vite antagoniste, était de « barrer la route à Lissouba » ou combattre, ce qui fut dés lors baptisé : « la tendance Lissouba »...

C’est sans détour, et par ces motifs, que je signifiais au Comité Central « restant » mon refus d’entrer au Parti, avant que ne se soient estompées les survivances du subjectivisme, pour avoir le temps de mieux nous connaître et nous apprécier ; et surtout pour ne pas paraître, par une entrée aussi brutale, substituer un « clan » à un autre.

Les circonstances m’ont fait violence, la pression de confiance de la majorité des congressistes ont fait le reste j’ai eu, sans enthousiasme, scrupule à décevoir. Une militante ne m’a t’elle pas traité de « lâche » ?

Dès lors, le Parti devient mon Parti.

J’ai accompli dans l’anonymat les taches qui me furent assignées.

Survint l’évènement ; le Procès.

Devant son propre Parti, rien n’est plus facile, que de commettre une faute....

Les Anglais disent « qu’il ait raison ou tort, c’est mon pays » avec des justifications historiques plus grandes, nous pouvons dire « qu’il est tort ou raison sur telle question particulière distincte, c’est mon Parti ».

Je ne peux plus dire cela, car je ne le pense pas, je ne le pense plus.

Très tôt, dès le début des évènements et des épreuves qui me furent imposés, le Parti m’a rejeté.

Que l’on me comprenne bien. J’ai eu des égards en raison de la couverture statutaire de membre du Comité Central, et non par la reconnaissance que nous étions désormais de la même famille idéologique.

Des rancoeurs et le subjectivisme, la méfiance et la haine gratuite que l’on m’a toujours portées ont eu raison de l’unité idéologique.

Depuis lors, par sa pratique, vis-à-vis de moi, des miens (parents ou amis), le Parti fait étalage de subjectivisme, sous le couvert d’une rigueur qui s’inscrit dans la logique de l’attitude d’avant février 1972. La déchirure saigne encore...

A preuve Camarade Président, votre mission : elle est statutairement insoutenable ; politiquement dilatoire ; idéologiquement inconséquente. Jugez.
Statutairement un membre du Comité Central ne peut être sanctionné que par le congrès, sauf cas d’urgence.

« L’urgence » et la « majorité des 2/3 » (pour ne pas dire l’unanimité !) me firent suspendre du Parti. A l’issue du procès, pour des raisons électorales, sans doute, la première assise du Comité Central n’a pas cru devoir infirmer, confirmer ou aggraver sa sanction.

Dés lors, il n’y avait plus urgence.

A mes yeux et dès cet instant, la suspension est, dans notre contexte, synonyme d’exclusion sans appel possible. Je m’explique plus loin.

Ici, une page du texte original manque à nos archives

L’exploitation brutale et ouverte de l’homme envers l’homme, la violence primitive, l’absence de toute dignité humaine, s’organisaient ouvertement à travers le fait colonial, couvrant un racisme déguisé et institutionnalisé. Tout cela, je l’ai connu, vécu, subi.

Cependant, il n’ y a pas un lambeau de sentimentalisme dans mon choix socialiste : il est profond, froid et sobre à la fois.

Mes opinions basées sur des sereines analyses, à la lumière d’une méthodologie scientifique, mes conceptions sur l’organisation de notre société, vous sont connues. Je les ai défendues, et dans une large mesure, elles ont été admises par le Parti pour la réalisation de son Programme ; je vous rappelle la redéfinition de l’étape ; je vous désigne en pâture les pouvoirs populaires, reflets de la régionalisation que j’ai préconisée il y a bientôt 7 ans. L’exploitation de cette dernière idée aurait sans aucun doute évité les tâtonnements que consacre, par exemple, l’instauration des commissariats politiques qui semblent se « superposer » aux structures en place, au lieu d’en être intégrés et intégrants dès la base. (cf. Conscience du développement et démocratie : Annexe I page 4 et 5)...et j’en passe.

Par ailleurs, tout en admettant généreusement que la contradiction principale est celle qui oppose notre peuple à l’impérialisme, je soutiens toujours que le tribalisme est, et malheureusement, demeure à l’intérieur un fléau, frein puissant à la prise de conscience nationale et au développement tout court.

Autant dire que nous avions forgé et obtenu une unité idéologique sure et certaine.

Grande a été ma surprise, à la lecture de certains discours prononcés lors de mon arrestation, de noter en substance, que l’unité s’était d’était faite ou recherchée autour de « Noms mythiques ».

Ceci me révèle douloureusement, que ce qui était combattu ce que l’on combat aujourd’hui, n’était nullement mes idées, mais l’homme.

Je comprends alors pourquoi l’on a choisi de sacrifier l’unité idéologique, pour des considérations subjectives. Telle est l’inconséquence idéologique que je révèle.

Ai-je répondu à vos questions, à votre attente ? Je le souhaite de tout cœur.

Le pays connaît un calme exemplaire et vit dans d’heureuses perspectives. Je m’en voudrais de l’en distraire, car par-dessus tout, ce que je souhaite, c’est son développement et le bonheur de son peuple.

Permettez alors, Camarade que je me consacre à lui, travers mes activités scientifiques et pédagogiques, nationales et internationales. Il s’agit là d’une participation sérieuse, précieuse à la Révolution, à son rayonnement, à son développement fondamental.

J’y trouve une sereine satisfaction : j’en appelle ici au souvenir de votre brève visite dans mon laboratoire.

Je pense ainsi laisser au temps le sein d’accomplir son action corrosive sur les mentalités erronées, et à notre peuple et au Parti, une appréciation et un jugement plus objectifs.

Croyez, Camarade Président, à mes sentiments cordialement révolutionnaires.

Brazzaville, le 30 Avril 1974

Pascal Lissouba se consacre alors à ses activités scientifiques et pédagogiques. L’assassinat du Président Marien Ngouabi en 1977, le ramène dans les tribunaux. il est condamné à perpétuité. En 1979 à la faveur du mouvement du 5 février il est libéré par Denis Sassou Nguesso. Il s’exile en Europe. Il rebondit à l’occasion de la conférence nationale souveraine de Juin 1991.

En Août 1992, son élection à la magistrature suprême, avec le soutien du PCT qui l’avait tant combattu [3], signe son retour à la scène politique avec son parti l’UPADS.

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