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Bienvenu Sidobé : le rire qui tue.

Evacué à Paris suite à un accident de la route survenu sur la nationale 2 au Congo-Brazzaville, le comédien Bienvenu Sidobé a brutalement tiré sa révérence ce 28 novembre 2016, jour anniversaire de la proclamation de la République du Congo. L’accident a eu lieu alors que le convoi officiel se rendait à Ouesso. Le ministre de la Culture, Léonidas Motton, également blessé, faisait partie des voyageurs à destination de la Sangha. Sidobé avait 48 ans.

(lire aussi : http://zenga-mambu.com/2016/12/04/hommage-a-bienvenu-mepepe-sidobe-les-vip-et-les-pierres-precieuses/)

Amuseur public, Bienvenu Sidobé était peu connu sur le plan international. Il suffit de compter le nombre de clics sur ses cinq ou quatre vidéos postées sur YouTube pour s’en rendre compte. Pas plus de 300 « vues » au moment où nous rédigeons ce papier. Et pourtant ce professionnel du rire n’avait rien à envier à un Gohou (Côte d’Ivoire) à un Petit Pays+ (Cameroun), un Vu de loin (RDC).

Comme notre pays promeut mal ses artistes, la notoriété de Mepepe Bienvenu Sidobé n’a jamais traversé le cadre restreint de la République du Congo.
« Mais c’est cet homme qui devrait être ministre de la culture ! » s’est exclamé un internaute sur Facebook après avoir noté la dimension intelligente de son sketch sur les rimes en terre.

Spécialiste du One Man Show, Bienvenu Sidobé alias « Cœur à cœur  » a développé un humour caustique dans la pure tradition des grands maîtres de la critique sociale comme Molière. Le champ de prédilection du comique était la satire politique. Dans un univers où la critique est insupportable par la classe politique, Cœur à cœur subtilisait le rire à des attaques en règles contre les dysfonctionnements du système.

Pierres précieuses

Les accidents sociaux comme les arriérés des salaires, le népotisme, les abus de pouvoirs, la violence des mœurs, la guerre civile, les bombardements militaires n’avaient pas grâce à ses yeux. Sidobé s’appuyait sur le principe que la dérision d’un roi passe mieux quand elle est formulée par un fou. Comme Sékélé le fou dans Le « Pleurer-rire » d’Henri Lopes. Car il n’y a pas de Roi sans fou pour se foutre de lui. Et il faut être fou dans nos contrées pour oser critiquer le Prince de Mpila.

L’œil malicieux, Sidobé adorait saquer le public des cérémonies officielles où l’oligarchie occupe les premiers rangs, par exemple au Palais du Congrès. Alors, le rire franc des politiques, passait indubitablement du blanc au jaune.

Suivez le sketch Les pierres précieuses , imaginez la tête de Pierre Ngolo, Pierre Oba, Pierre Mabiala (j’en passe) pour s’en convaincre. Et, par ricochet, le jeu de mots (ou le jet de pierre) frappe Sassou, l’architecte du mausolée Pierre Savorgnan de Brazza. C’est d’un comique désopilant. Regardez la pièce sur l’apartheid des Bantou que dénonce un jeune autochtone (Pygmée). C’est la parabole de la paille et de la poutre. On se moque des Blancs en Afrique du Sud alors que des compatriotes congolais en excluent d’autres dans leur propre pays : voilà la morale de la pièce.

Dans « Arriérés de salaire », c’est la gabegie des opérateurs économiques fictifs qui est fustigée. Le FMI qui a inscrit le Congo à l’Initiative Pays Pauvres et très Endettés en prend aussi pour son grade.

Des textes structurés

Bienvenu Sidobé construisait ses textes avec une subtile logique où l’amateurisme n’avait pas place. La scène du retraité qui prétend se faire payer sa pension avec une carte d’identité nationale périmée est un morceau de bravoure aristotélicien. Au Trésor Public, lieu par excellence de l’irrespect humiliant, un vieil homme réussit à se faire payer son dû alors que d’ordinaire la maltraitance est le lot des retraités. Comment procède ce misérable ? En jouant sur le fait que dix ans auparavant, au moment où il devait logiquement encaisser sa pension, sa carte était encore en règle. Toute problématique (CQFD) doit se replacer dans le temps. Ce n’est donc pas sa faute si au temps où sa carte était valide les autorités passaient leur temps à voler au lieu de redistribuer correctement le PIB. Mais à sa nouvelle épouse qui lui réclame sa part, le même bonhomme (un vrai singe) oppose un Niet catégorique sous prétexte qu’il y a dix ans (période où il aurait dû obtenir sa pension) elle n’était pas encore au foyer. Idem pour l’ami opérateur économique qui réclame sa dette alors que le retraité a touché sa pension. « Tu n’es pas au courant que la Banque Mondiale a effacé toutes les dettes du Congo. N’es-tu pas opérateur économique ? Alors je ne te dois rien » l’envoie paître le renard.

Prof de philo, Sidobé a su dénicher l’argument psychologique qui met le Congolais du côté des rieurs. En dictature, le peuple adore quand on se moque de ses dirigeants car éclater de rire est en dictature ce que l’élection pluraliste est à la démocratie : une soupape, un lieu d’évacuation sanitaire des tensions.

Les moralistes étaient étonnés qu’il se mit au service du pouvoir. Certes, conseiller à la communication du ministre de la Culture (Léonidas Motton) « Cœur à cœur » se définissait comme correcteur des mœurs par le rire. Tout comme le politique et le savant, le politique et le comique font rarement bon ménage. Jean-Baptiste Poquelin dit Molière n’aurait jamais été ministre d’un Roi qu’il critiquait. C’était incompatible. La question est : que diable Sidobé était-il allé faire dans la galère Motton ?

La pensée sauvage

Cela dit, Mepépé Sidobé évacuait les tares de la société par le rire. C’est, du reste, le propre de la pitrerie. Reste que le rire est un couteau à double tranchant. En définitive, c’est un genre mineur qui fait peur aux dictateurs. Avec son système qui consistait à imiter l’accent mbochi dans ses numéros, il a dû fâcher le Prince dictateur d’Oyo.

Adepte de la pensée sauvage, le public n’a pas toujours de temps à perdre avec la rationalité. Aussi a-t-il vite mis sa mort sur le dos de Jean-François Ndenguet et Jean-Dominique Okemba, grands clients du syncrétisme maçonnique-ndjobiste. Piégé par son compatriote Léonidas Motton, le Molière congolais aurait été mystiquement sacrifié pour être allé trop loin dans l’art comique.

Thierry Oko

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