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Déclaration du Dr Marcel Guitoukoulou

Une déclaration est un « aveu que l’on fait à une personne de l’amour qu’on éprouve pour elle. » (Le Robert ). Nous ajoutons qu’une déclaration est la source d’un projet humain, le moteur d’une attente chez la personne à laquelle on s’adresse. C’est un exercice politique.

C’est ce à quoi s’est livré le Dr Marcel Guitoukoulou, Président du Congrès du peuple, en date du mercredi 15 avril 2015. Durée totale : quinze minutes. La déclaration est visible sur sa page Facebook relayée par YouTube. L’orateur, c’est le moins qu’on puisse dire, s’est exprimé avec, « solennité  ». Il l’a fait face aux caméras de son propre service de communication. La méthode a l’avantage de restituer l’intégralité du discours, à l’inverse des médias officiels qui, eux, coupent, montent, cadrent, recadrent le locuteur à leur guise. « On n’est mieux servi que par soi-même » dit le proverbe. Avis à ceux qui luttent pour le même objectif, à savoir : mettre hors d’état de nuire Sassou. Qu’ils en prennent de la graine.

Précisément, d’aucuns nous diront que notre site en fait trop pour le bon docteur. Nous récusons qu’un médecin ne peut se guérir soi-même. Congopage accorde la parole à quiconque « ne peut pas être prophète chez lui ». C’est le cas de tous les poids lourds de la diaspora à l’image de Jean-Luc Malékat.

Ce serait une lapalissade de dire que ce médecin congolais aime son pays le Congo. Mais qu’on ne se leurre pas. Sa déclaration d’amour à son pays repose sur une critique implacable de ceux qui veulent changer la Constitution selon leur bon vouloir, convoquer des dialogues pour attraper des gogos, imposer des référendums pour ruser avec la Loi fondamentale que tout citoyen honnête devrait respecter comme le Saint Graal.

Analyse de contenu du discours

La Congolaise

Dans cette déclaration solennelle aux Congolais, le Président du Congrès du Peuple a commencé par jouer des symboles de notre unité nationale, notamment le chant commun, « La Congolaise ». Le sociologue Erving Goffman dit : « réveiller le sentiment national est un rite d’interaction et d’intégration. » Et, en cette période de visées séparatistes chez certains (de guerre lasse), il est de bon ton de procéder à des réaffirmations, à des réajustements liés à l’unité de tous autour de notre hymne qui invite « d’oublier tout ce qui nous divise » et proclamant la levée de l’astre solaire et spécifiant la splendeur de notre pays.

Mais le thème nodal traité par le Président du Congrès du peuple demeure la Constitution, un espace où le Président Sassou s’amuse à faire des volte-face depuis son discours de fin d’année jusqu’à sa « dernière livraison à la BBC ». Un coup, je respecte la Constitution, mais lorsque l’échéance approche, je m’assoie dessus. Or l’histoire des crises politiques a montré que c’est plus doux de s’asseoir sur la pointe d’un javelot que sur la loi fondamentale. Résultat, le peuple profond pique une colère noire comme les Français en mai 68. Vous vous en souvenez ?

Je vous ai compris

Justement : « Congolais, je vous ai compris » dit le Dr M. Guitoukoulou au peuple effarouché comme de Gaulle la veille, également, d’une crise institutionnelle en 1968. Sassou, et ce n’est pas son moindre défaut, n’a jamais compris le subconscient des Congolais, une incompréhension qui est source de plusieurs crises dont celle des années 1990 qui tourna à son éviction. Par déformation professionnelle, de la même manière qu’il sait tâter le pouls du corps humain, le Dr Guitoukouou sait le faire pour le corps social. Le bon toubib a compris que le Congo réclame une « gouvernance autrement ». Au contraire, ce que semble entendre Sassou c’est l’appel du clan. Une idée-fixe qui fige le débat. Comme dirait Georges Balandier, à la demande de l’Etat , Sassou oppose le lignage. L’Etat contre le lignage, la modernité contre la tradition mystique. Il a confisqué le pouvoir au profit de son propre Ego. , Or notre beau et cher pays « mérite autre chose que le chaos » vers lequel va nous entrainer ce recul barbare.

Convivialité

En dépit de la crispation ambiante, le bon Docteur (et c’est à son honneur) émaille son propos de thèmes de convivialité stimulante. Ecoutez-le remercier opposants de l’intérieur qui bravent le régime clanique et partisans de la majorité qui, eux, jouent des « notes dissonantes ». Concilier est une façon de se mettre au dessus de la mêlée, C’est le propre de ceux qui ont une vision vers les sommets. Il n’est pas le seul qui soit doté d’esprit d’ouverture. Mais il est le seul à le dire. C’est cela aussi, disions-nous, le dialogue, le vrai.

N’ayons pas peur

Le Congo, pays à 80% chrétien (n’en déplaise à ceux qui veulent y imposer l’Islam à grande échelle par des constructions monumentales moyen-orientales) En effet à ceux qui admirent, angoissés, les braves qui chantent un autre refrain que celui entonné par Sassou à la veille de la fin légal de son mandat, le Dr dit « N’ayez pas peur, n’ayons pas peur  ». Et pour cause ! la peur est mauvaise conseillère. Jean-Paul II se crut bon de le dire urbi orbi à ceux qui doutent que Jésus ait tout pris sur la Croix et que son sang est la « seule chose agréée qui protège » des obus de l’adversaire (pour paraphraser le chanteur chrétien Jean Sylvain Akouala).

C’est particulièrement non sans surprise qu’on entend les victimes de Sassou se livrer à des jérémiades du style « Laissez-le diriger jusqu’à ce que Dieu en décide autrement, au moins nous avons la paix  ». Le spectre de la guerre civile : quelle aubaine pour L’homme des masses ! « Tremblez peuple car après moi c’est le déluge ! » clame et proclame l’autocrate de l’Alima.

Non ! précisément : on ne doit pas avoir peur de l’Apocalypse qui est, selon la Bible non pas chaos mais « Révélation ». Quand Dieu est avec moi, personne n’est contre moi. C’est parce que les gens ont peur des tyrans qu’ils en deviennent des complices.

Du vin nouveau dans des outres neuves

Si, demander le respect de l’ordre constitutionnel c’est troubler l’ordre public alors, troublons-le cet ordre public (plutôt cet ordre des saigneurs de guerre) comme Jésus troubla l’ordre romain qui était en connivence avec les grand prêtres (les francs-maçons de l’époque). Le fauteur de trouble c’est moins celui qui réclame le changement que celui qui milite manu militari pour le statu quo. Celui qui a peur du changement est historiquement suspect. De quoi a-t-on peur si les projets qu’on n’a pas pu mener à terme en quatorze ans de règne sans partage (voire plus) sont exécutés par d’autres agents sociaux, plus jeunes, dynamiques, amoureux de la nation, ayant tellement mal à leur pays qu’ils tiennent mordicus à le sortir du marasme économique et spirituel dans lequel il se vautre. Vous voyez la mauvaise foi de ceux qui désormais vous parlent de « dialogue », vinaigre avec lequel on veut attirer des mouches !

Le nouvel esprit repose sur la rupture avec l’ordre ancien ; du vin nouveau dans de nouvelles outres. Pas de tissu neuf sur de vieux vêtements, au risque de voir la déchirure devenir plus importante qu’avant.

France, grandeur perdue

Un autre thème a étayé l’allocution du Président du Congrès du Peuple : les liens historiques avec la France. Il n’y a pas de honte d’affirmer les rapports culturels avec ce pays dont on parle la langue, langue dans laquelle on étudie, pays d’où viennent les médicaments, pays où vont se soigner nos hommes politiques. Quand on aura établi des rapports gagnant/gagnant, ce pays nous sera d’une grande aide. Côme Manckassa ne dit pas autre autre chose dans son ouvrage « Grandeur perdue de la France. » . Selon le sociologue, « La France aurait trop vite décolonisé son empire suite au référendum de 1958. »

On sait que le torchon brûle actuellement entre Sassou et L’Elysée. En soulignant les liens structurels avec le pays de De Gaulle, le Dr Marcel Guitoukoulou fait une piqûre de rappel à l’homme de Mpila. Hollande et Obama ont mis en garde « L’homme des masses » et son petit voisin Joseph Kabila. En effet, à ce sujet, l’amnésie de Sassou est stupéfiante. L’exemple de la jeunesse burkinabé ne semble pas impressionner « L’homme du 5 juin 1997 ». Or voici peu, le Mossi Blaise Compaoré qui engagea un bras de fer avec François Hollande et Barack Obama, mordit la poussière. « Jamais un sans deux » dit un autre proverbe.

Autre thème : la dégradation des mœurs. Le Congo de Sassou demeure à ce jour un violent terrain où on exécute des personnes de façon sommaire, un champ de prostitution des jeunes filles pour des « cuisses de poulet  », un champ de chômage structurel de jeunes diplômés. Scandaleux ! Famine, et précarité doivent disparaître dans un pays dont le budget s’élève à 3.800 milliards de francs cfa (cf. Benjamin Bilombot Bytadis - Congopage). Il faut que cette précarité cesse ! Ça doit cesser.

La rupture comme remède

Que préconise le Dr Marcel Guitoukoulou ? Eviter fusion et confusion. Faire une rupture. La Constitution est claire. Les notions comme le « dialogue » et le « référendum  » prêtent à confusion. La preuve ? Le taux de nuisance enclenchée dès l’annonce du dialogue et du référendum, deux catégories subversives.

Logés à la même enseigne, les pro et les anti-dialogue, ont croisé le fer et, du coup, donné à boire du petit lait à Sassou. Grâce à ses nguiri, rien n’interdit de dire que Sassou a prôné le dialogue pour semer la confusion dans le camp de l’opposition.

Certes le Dr Guitoukoulou n’a pas le monopole du NON au dialogue, au référendum et, last but not the least au changement de la Constitution. Jean-Luc Malékat, Président de la coordination des assises est également clairement opposé au dialogue et au référendum. Il faut le dire.

Exit le dialogue ?

Donc le Médecin de Marseille n’est pas seul à crier dans le désert. Il ne reste pas moins que depuis le passage du Dr Guitoukoulou à RFI, TéléSud et Africa24, les thèmes du dialogue et du référendum sont évacués petit à petit du discours général. Sassou est désormais incapable de donner une date et pour son « dialogue » et pour son « référendum ». L’opposition dite « modérée » représentée par les énigmatiques Dzon, Kinfoussia, Mierassa n’a pas obtenu gain de cause quand elle a « exigé » à Sassou de convoquer ledit « dialogue  ». Alors exit le dialogue et sa suite logique le référendum ? Ni Pierre Ngolo, ni Sassou n’y font plus allusion. Le monstre est mort dans l’œuf. Tant mieux. « C’est quoi la suite ?  » diraient les invités aux Noces de Mpila « Euh, on ne sait pas » dit le maître de cérémonie.

Conclusion : depuis que le Président du Congrès du peuple est entré en scène, les données de la politique semblent changées. On aurait dit qu’il a coupé l’herbe sous les pieds de Sassou. Ce dernier a comme avalé sa langue depuis que le Dr a récusé clairement et fermement son projet de dialogue et son référendum. Sassou est devenu muet comme un silure de l’Alima.

La structure de la Diaspora

Quelque part c’est une méthode de travail qui est en cause ici. Sans vouloir sous-estimer le travail abattu à la « Place de Paris », il ne demeure pas moins que la dynamique de la place forte, de la plate-forme que représente Paris est atténuée par la foule des associations et des acteurs. Résultat : la cacophonie règne. Au grand plaisir des « épigones du Chemin d’avenir  », lesquels semblent jouer avec le calendrier pour, précisément, pourrir la situation ; pourrir pour se présenter comme l’alternative en dernière instance.

Le lion de Judas

Sans vouloir prendre le Dr Marcel Guitoukoulou pour le Lion de Judas qui impose le silence quand il rugit (C’est la Bible qui le dit) il reste que Sassou est devenu aphone. Dzon a déjà déclaré sa candidature. C’est le seul. Si malgré tout Sassou, en dépit de l’âge et du nombre de mandats qui le disqualifient, si Sassou persévère dans sa folie du continuum présidentiel, le seul rugissement qui le fera taire serait, au bout du compte, celui du Dr Guitoukoulou, Mwana ngo (ngo substantif de la panthère, du lion) ?

Du reste, dans son laïus, le Médecin phocéen a lancé l’appel à tous les Congolais, de l’Est, du Sud, du Nord et de L’Ouest de mettre hors d’état de nuire un système clanique qui veut tout confisquer. Il invite tout le monde de mettre en place un Congo nouveau.

Thierry Oko

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