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Don Fadel "revisite" avec brio les Bantous de la Capitale

Formé à l’école cubaine, le Congolais Don Fadel est certainement le meilleur spécialiste de la Salsa. Il est de la même veine que le Malien Boncana Maïga d’"Africando" dont il fut le collègue au Conservatoire de La Havane. Il donna la touche salséro à "Antoinette Mouanga" de Franklin Boukaka. Aujourd’hui il vient de reprendre les anciens tubes des Bantous de la capitale : impressionnant !

Don Fadel le génie méconnu de la musique congolaise

Don Fadel a reproduit les vieux tubes des Bantou de la Capitale. Cette prouesse a été réalisée grâce au jeu additionnel des voix et des instruments. En effet il y a eu deux niveaux d’enregistrement. La première partie a été réalisée à Brazzaville par les musiciens des Bantous proprement dits. Par exemple la ligne de basse dans les roumbas a été jouée par Ntaloulou Alphonso peu avant sa mort. En dehors de Nino Malapet et de Mountouari Kosmos, tous les musiciens des Bantous ont mis leur main à la pâte.
Le deuxième niveau d’enregistrement et le mixage ont été faits à Paris par Don Fadel en compagnie de musiciens cubains. La reprise des anciens morceaux des Bantous par Don Fadel est un chef-d’œuvre.
Le travail parisien a consisté à corriger les "lignes harmoniques" de Brazzaville pour les mettre aux normes internationales. C’est à ce moment que les Cubains sont entrés en jeu, particulièrement sur les morceaux latinos comme Comité ya Bantou, Bantou patchanga, Les Bantous de la capitale, Tantina, Merci maman. Don Fadel est intervenu à la flûte et au violon sur les salsas et les roumba dans lesquels il a joué le güiro ; Master Mwana Congo à la guitare sur les roumbas "typiques".
Durée des travaux : plus de deux ans.
Le résulat est ahurissant.
« Je remercie Gabriel Mawawa Kiessé. Il m’a présenté au producteur Cyriaque Bassoka. Ce fut une véritable passe en or » avoue Don Fadel.

Le CD de la résurgence des Bantous de la Capitale a été produit par Afrisson/ Cyriaque Bassoka. Il comporte 13 morceaux
« On y redécouvre les anciens succès réactualisés, des musiciens tels que jean serge essous (Bantou pachanga, Tantina) Célio Célestin Nkouka (Rosalie Diop, Comité Bantou, Les Bantous de la Capitale) ; Edouard Nganga Edo ( Butsiélé) ; Alphonse Ntaloulou (Eve, Merci maman) ; Mermans Mpassy Ngongo (A mon avis) ; Ricky Siméon ( Pitié) ; Pamelo Mounka Pablito ( Masuwa) ; Nino Malapet (Pot pourri sur le passé) » (in Congo ya Sika lokasa ya ba yémbi n°2 )
« Pour certains morceaux typiques de roumba, c’est Master Mwana Congo qui a repris la rythmique, la guitare solo et la basse. Pour les morceaux latino, ce sont les Cubains qui ont tout fait » précise Don Fadel.

Le génie de cet album c’est la rencontre entre les Caraïbes et la terre mère Afrique. Ca montre que la roumba vient bien d’Afrique et pas des Caraïbes.
L’un des objectifs de Cyriaque Bassoka était de faire entrer cet album dans le circuit de la world music et que les Bantous soient reconnus comme l’un des plus grands orchestre d’Afrique. C’est l’un des premier album congolais distribués par la multinationale Pias.

La formation cubaine

Don Fadel, médecin de son état, a étudié à Cuba.
« Je suis arrivé à la Havane en 1966, j’avais 18 ans. Je venais de passer le bac. C’était sous le gouvernement du Président Massamba-Débat. A La Havane, je me suis inscrit au Conservatoire de Musique où les cours étaient gratuits »
« Mon instrument de prédilection c’est la flûte. Mais je joue d’au moins dix instruments. »
« J’ai obtenu deux diplômes : celui de médecine et de musique »
J’avais comme condisciple Boncana Maïga d’Africando, Tolo, un Malien.
Il y avait également un compatriote nommé Ange Balossa Beloz, le frère de Ntari kalafar. Beloz n’était pas au Conservatoire..

Aragon au Congo : un intrus parmi les Cubains

Le célèbre groupe cubain, Aragon, est invité au Congo.
« Comme tu es Congolais, tu feras partie de notre tournée à Brazzaville » lui disent les musiciens Cubains.
En 1972, Don Fadel séjourne au Congo avec l’orchestre cubain Aragon dont les musiciens comme Bakayaou sont ses professeurs au Conservatoire de la Havane.
« Lorsque nous arrivons à Maya-Maya, c’est le Président Ngouabi en personne qui vient nous accueillir ».
Le Président Ngouabi demande en lingala : « Wapi ba Cubains yango ? ».
« Ba zali ba mindélé ? ».
« Bo méma bango na Hôtel Cosmos ».
C’est là qu’on découvre le côté mélomane du chef de l’Etat de l’époque.
Personne ne se doute que parmi les musiciens cubains figure un Congolais.
« Comme personne ne pouvait imaginer qu’il y avait un Congolais parmi ces musiciens pro, nos hôtes se mirent à parler en lingala .Je comprenais tout ce qui se disait sans qu’on se doute que j’étais un fils du pays ».
Les amis Cubains dont les ancêtres sont Africains sont curieux de nature. Certains foulent le sol africain pour la première fois.
« Que disait votre Président » me demandent les musiciens quand nous prenons le chemin de l’Hôtel.
« Je fis la traduction ».
« Il se demandait si vous étiez Blancs ou Noirs »

Franklin Boukaka

J’avais un ami à Cuba qui faisait des études militaires : Maurice Boukaka, frère de Franklin Boukaka.
Grâce à lui, dès notre arrivée à Brazzaville, je me présente chez Franklin Boukaka qui venait d’enregistrer Les Bûcherons à Paris :
« Les Cubains veulent interpréter un morceau congolais. Qu’est-ce que tu peux leur proposer ? »<br>
Franklin Boukaka me dit de prendre « Antoinette Mouanga »
« C’est dans la chambre de l’Hôtel Cosmos que je retravaille "Antoinette Mouanga" avec ma guitare. Pour donner une touche salséro au morceau, j’introduis des paroles en espagnole. Les Cubains sont impressionnés. Je leur avais mâché tout le travail. Arrangements, harmonies, accords : tout était fait par moi. Ils étaient aux anges. Le morceau fut repris par Aragon avec le succès qu’on sait. »
"Antoinette Mouanga" sera repris par des géants comme Celia Cruz.

Retour à Cuba : Don Fadel téléphone Franklin Bouka. Il lui fait le compte-rendu des travaux d’Aragon sur "Antoinette Mouanga" »
Franklin Boukaka écoute le morceau : « Petit frère, kéti tabouka ngabou » dit-il en guise de commentaires.
En février 1972, Franklin Boukaka meurt, emporté par la furie des hommes.
Peu après cette tragédie, Don Fadel rentre au Congo et entreprend d’intégrer Les Bantous de la Capitale.
« Je me présente chez Nino Malapet, à côté du carrefour Mampassi à Ouénzé. Pamélo, Géry, Nino, Essou, tout ce monde me regarde avec des grands yeux, l’air de dire : « Vous dans les Bantous ? D’où sortez-vous ? »
« Je viens de Cuba » dit Don Fadel.
Il sera tout simplement éconduit. Don Fadel entreprendra la même démarche chez Les Cépakos. Même refus net.
Il décide alors de monter son groupe, Les Sublimes. Sa spécialité : la salsa.

En 1977, Ngouabi meurt. Le Comité Militaire du Parti organise des veillées funèbres dans chaque siège d’arrondissement.
Les Bantous furent conviés d’aller chanter à ces rassemblements rituels devant les Douze du Comité Militaire du Part (CMP). Il s’y passa quelque chose qui doit interpeller les philosophes. En effet, après leur prestation, les Bantous, satisfaits, saluent les autorités sous les applaudissements du public. Mission accomplie.
Puis, l’animateur de la soirée s’empare du micro et annonce le passage d’un groupe. C’est la surprise de la soirée : Les Sublimes.
Dix parfaits inconnus montent sur scène sous le regard indifférent des stars des Bantous de la Capitale. Deux morceaux plus tard, Les Bantous ba kolo mboka reçoivent la gifle de leur vie. Les Sublimes exécutèrent leurs deux chansons à l’aide de violons et du piano : de la salsa comme l’auraient jouée les Cubains eux-mêmes. Ce fut la douche froide.
« Mais d’où venez-vous ? » s’écrient Essou et Nino secoués par la prestation/surprise.
« De Cuba » dit humblement Don Fadel.
« Vous ne me reconnaissez plus mais j’étais déjà venu vous voir. »
Les Cépakos recevront également leur part de leçon de piano, chez Macédo Lumicongo à Bacongo. Subjugué par leur prestation, le sax Nona Arthur approcha Don Fadel en catimini : « A partir de maintenant considérez-moi comme l’un des vôtres. Je quitte mon groupe mais ne le dites à personne ».
Ce fut le plus bel hommage rendu à Don Fadel.

José Missamou le maître de la salsa au sein des Bantous fut également séduit par Les Sublimes. Il intégra le groupe et s’aperçut qu’il était loin d’avoir acquis les techniques du chant cubain. Les Sublimes furent finalement l’étalon de mesure de la salsa à Brazzaville. A la sortie officielle du groupe, Don Fadel n’en revint pas : « Je ne savais pas que tous les grands musiciens de la place étaient dans la salle. De Nino Malapet à Max Masségo dit Max Clari des Négro-Band en passant par Nino, Pamélo, Edo et Nkouka Célestin. »
Finalement les maîtres étaient venus écouter le disciple.
« De tous les grands musiciens présents dans la salle, seul Nganga Edo vint me féliciter à la fin du concert » se souvient Don Fadel.
Les Sublimes se disloquèrent du jour au lendemain quand Don Fadel reçut une bourse pour venir faire une spécialisation en Médecine à Paris.

Aujourd’hui Don Fadel a rendu hommage aux Bantous plus de trente ans après que ces derniers l’eurent éconduit.
« Maintenant nous savons que la relève est assurée » lui ont dit à l’unanimité les muciens du célèbre groupe après le Festival d’Angoulême cet été 2007.
« Nous pourrons mourir en paix »
La pierre que Les Bantous jetèrent était en fait la pierre angulaire.

L’origine de la Soukous

Don Fadel fait partie de ces génies méconnus. Il est en train d’écrire l’histoire de la musique congolaise. Pour lui la roumba vient du Congo-Brazzaville, ainsi que la soukous. Pour étayer ses arguments, il a effectué un travail de terrain à Brazzaville et Kinshasa. Il y a interviewé Diaboua, Wendo. Des entretiens vidéo de plus d’une heure avec Diaboua seront exploités. Ce travail fera l’objet d’une publication intitulée "L’histoire à l’endroit".
On y apprend des informations de première main.
Par exemple, Diaboua fut le premier maître de Jean-Serge Essou. Il lui apprit la flûte puis lui offrit sa première clarinette. Diaboua fut le premier musicien à introduire les congas dans la roumba congolaise. Au grand étonnement de Kabassélé dit Kalé Jeff, Diaboua suggéra d’insérer les percussions dans la chanson Parafifi. Ca marcha. Avant, les groupes comme Victoria Brazza de Paul Kamba utilisaient les paténgués (tambourins rectangulaires). Depuis, on ne peut plus se passer de congas dans la musique congolaise.
Don Fadel tient à rétablir la vérité historique. Il repart vers les sources, notamment sur l’autre rive du fleuve Congo discuter avec les acteurs des premières heures de la roumba.
« Que veux-tu ? Qui es-tu ? » vociféra Wendo quand Don Fadel débarqua chez lui à Kinshasa pour enquêter sur les origines de la roumba.
« Je suis citoyen congolais. J’aimerai vous interviewer » se présenta Don Fadel.
« Ouai, j’avais imité Victoria Brazza en 1948 » confia Wendo Kolosoy.
« En fait ce patriarche avait débauché un musicien de Victoria Brazza pour renforcer Victoria Kin » explique Don Fadel.
Quand Rocheraud dit après son passage à l’Olympia en 1969 qu’il est le père de la Soukous, ça fait rigoler Don Fadel.
« Tout est inversé. Il faudra remettre les choses à l’endroit » promet cet ethnomusicologue.
« La soukous est née à Ouénzé avec l’orchestre Sinza. La personne qui popularisera ce rythme c’est Pamélo Mounka. Se promenant dans la nuit à Ouénzé, Pamélo entend jouer un orchestre au bar Vis à Vis. C’était Sinza Kotoko. Le rythme lui plaît. Il compose "Mama na mwana" sur ce tempo. Ca fait un grand succès. Mais Pamelo Mounka n’est qu’un médiateur. En vérité, la soukous est née en 1959 grâce à un musicien nommé Ibombon avec son groupe Air Mambo. Ibombon jouait dans un bar à côté du marché de Ouénzé. Comptable de son métier, Ibombon est affecté à Dolisie. Il décide alors de vendre son matériel aux jeunes musiciens de la rue Mouila qui venaient de créer Sinza Kotoko ( Mousse, Ya Gabi, Don Fadel…)
« Je vous laisse le matériel moyennant une modique somme, mais je vous laisse aussi un rythme. Exploitez-le. »
« Le conseil ne tombe pas dans les oreilles d’un sourd. Piere Mountouari compose la chanson Vévé et Ma Loukoula dont le swing a fait le tour de l’Afrique. La soukous est née de là » note Don Fadel.

Titre de l’album : Ba kolo mboka : Prix à la FNAC 17 euros
et aussi en vente sur le site www.bassoka.fr et chez les autres disquaires.

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