email

Existe-t-il une justice au Congo Brazzaville ?

Existe-t-il une justice au Congo Brazzaville ? Quand on regarde la gestion des affaires judiciaires dans ce pays, voilà la question que l’on se pose devant l’imbroglio, le désordre et l’incompétence notoire de ceux qui doivent dire le Droit, rien que le Droit.

Non seulement le principe de la séparation des pouvoirs appliqué dans la plupart des Etats démocratiques et modernes, et qui donne à la Justice toute sa force et toute son indépendance, ne semble pas de mise dans ce pays,
mais en plus, au Congo, l’Exécutif s’immisce dans le Judiciaire jusqu’à le rendre inefficace ou le mettre sous sa tutelle.

Pour preuve, les notes circulaires du ministre de la Justice, Aimé Emmanuel Yoka, qui annulaient jadis les décisions rendues par les tribunaux ; les ordres que son successeur, le ministre Pierre Mabiala, donnait au procureur de la République, au cours de ses conférences de presse, pour lui demander d’ouvrir des dossiers judiciaires contre tels ou tels autres citoyens ayant, à ses yeux, commis des délits.

Mais, il y a aussi ces nombreuses affaires qui traînent encore dans les bureaux du Palais de Justice que les juges n’arrivent pas à arracher soit des mains de l’Exécutif soit de celles des politiques.
Nous citons, en l’occurrence, toutes ces affaires qui sont liées au référendum et à l’élection présidentielle anticipée du 16 mars 2016.

Dans cet article, nous voulons examiner quelques affaires dans lesquelles la Justice congolaise se perd complètement et révèle son impuissance ainsi que son incompétence devant l’Exécutif, le Politique et le peuple congolais. Il s’agit des Affaires Ntumi, Dabira, Mokoko, Okombi Salissa et Makaya.

Affaire Ntumi

L’ « Affaire Ntumi » commence dans la nuit du 3 au 4 avril 2016, dans les quartiers sud de Brazzaville, la capitale congolaise, lorsque des soi-disant partisans de Frédéric Binsamou alias Ntumi, connus sous le nom de Ninjas, brûlent semble-t-il la mairie de Makélékélé, dans le 1er arrondissement.

Aussitôt, le procureur de la République lance des poursuites judiciaires contre Ntumi et ses partisans. Un dossier judiciaire est donc ouvert au parquet.

Cependant, malgré la guerre que cette affaire avait engendrée et les nombreux dégâts humains et matériels qu’elle avait provoqués, elle a été résolue à partir d’un accord de cessez-le-feu et de cessation des hostilités, signé le 23 décembre 2017 à Kinkala, entre le gouvernement et Jean-Gustave Ntondo, le représentant de pasteur Ntumi.

Selon cet accord, Frédéric Binsamou et tous ses miliciens qui ont combattu dans ses rangs bénéficient donc de la rémission de tous leurs crimes de guerre. Quelques proches collaborateurs de Ntumi arrêtés à Brazzaville et gardés à la Maison d’arrêt, à savoir Gustave Ntondo, Euloge Mpassi et quelques proches parents de Ntumi sont, eux aussi, libérés. Tandis que d’autres partisans plus nombreux et qui sont, eux aussi, arrêtés et jetés en prison pour cette même affaire, n’ont pas recouvré leur liberté. Ils croupissent encore dans les prisons s’ils n’ont pas été assassinés.

Mais, la Justice congolaise perd tout son crédit dans cette affaire lorsqu’une autre affaire dite « Affaire de Ghys Fortuné Dombe Bemba » qui est pourtant directement liée avec l’ « Affaire Ntumi » ne soit pas résolue dans les mêmes circonstances ou après l’accord de cessez-le-feu et de cessation des hostilités qui avait été signé entre le gouvernement et le représentant du Pasteur Ntumi.
Pour le rappel des faits, Guy Fortuné Dombe Bemba, journaliste, avait été arrêté pour avoir tout simplement publié un message de Frédéric Binsamou dans son journal Talassa.

Le pouvoir l’avait accusé d’être de mèche avec le Pasteur Ntumi. Il avait donc été poursuivi pour « complicité d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat », et placé, depuis le 11 janvier 2017, à la Maison d’Arrêt de Brazzaville.

Maintenant, dossier judiciaire ouvert contre Ntumi étant définitivement clos à l’issue de cet accord de cessez-le-feu et de cessation des hostilités entre le gouvernement et Ntumi, la Justice congolaise, si elle veut être juste, ne peut-elle pas étendre les mêmes droits qui couvrent et protègent Ntumi à tous ceux qui, de près ou de loin, seraient liés à cette affaire ? Autant demander à un loup affamé d’accorder la charité à un agneau.

Affaire Dabira

Les Congolais avaient appris, par la voie de la presse, que le général Norbert Dabira préparait un coup d’état. Il voulait faire exploser l’avion présidentiel en plein vol.
Le journal ayant fait cette révélation avait parlé d’une conversation téléphonique entre le général Norbert Dabira et le général Ngatsé Nianga Mbouala, commandant en chef de la garde républicaine, qui aurait mis en alerte les services de la Direction générale de la surveillance du territoire (Dgst). Les deux généraux avaient été entendus à la Dgst et leurs domiciles respectifs perquisitionnés. Le général Ngatsé Nianga Mbouala sera vite relevé de ses fonctions, et le général Dabira gardé à La Maison d’Arrêt. Deux poids, deux mesures.

Cependant, alors que les enquêtes n’ont pas encore abouti et le procès n’a pas encore eu lieu pour prouver la véracité des faits et permettre au juges de dire le droit, le général Norbert Dabira est gardé à la Maison d’Arrêt de Brazzaville. Mais, le général Ngatsé Nianga Mbouala qui semble être son complice ou le témoin assisté dans cette affaire, est encore libre. Pourquoi lui et pas l’autre ?

D’ailleurs, les Congolais apprennent qu’il serait nommé Commandant de la Zone autonome de Brazzaville.

Affaire Mokoko et Okombi Salissa

Les affaires pour lesquelles Jean Marie Michel Mokoko et André Okombi Salissa, deux candidats à l’élection présidentielle anticipée de mars 2016, ont été arrêtés et gardés, l’un à la Maison d’Arrêt de Brazzaville, l’autre dans les locaux de Dgst, se ressemblent comme deux gouttes d’eau, pour ne pas dire que c’est la même affaire.
Même quand le pouvoir de Brazzaville les accuse « d’atteinte à la sûreté de l’Etat », les Congolais ne croient pas à cette version des faits. Eux, ils disent et sont convaincus que leurs leaders politiques ont été arrêtés et jetés en prison tout simplement parce qu’ils ont osé se présenter à l’élection présidentielle anticipée de mars 2016, à l’issue de laquelle Denis Sassou Nguesso n’a obtenu que 8% des voix. Mokoko et Okombi Salissa ne sont donc que des prisonniers politiques.

Pourtant, les Congolais ne comprennent plus rien dans cette affaire où le pouvoir a voulu se passer de la Justice pour troquer la liberté de Jean Marie Michel Mokoko contre son silence, la perte de certains de ses droits politiques et sa mise à résidence.

Aussi, certaines personnes arrêtées comme actrices ou témoins dans cette affaire ont retrouvé leur liberté et seraient déjà sorties du pays, alors que le procès n’a pas encore eu lieu.

Mais, ce qui révèle l’amateurisme des juges congolais en charge du dossier de Jean Marie Michel Mokoko et pousse les Congolais à se poser les questions sur la justice de leur pays, c’est cette immunité de juridiction dont bénéficie Mokoko et qui, d’après ses avocats, devait carrément annuler toute la procédure.

Mais, les Congolais sont surpris de voir que cette question divise les juges en deux camps. En effet, si certains juges veulent complètement clore le dossier et sortir Mokoko de la Maison d’arrêt sans un jugement, d’autres, au lieu de dire le Droit, seraient allés consulter le pouvoir politique. Pourtant, ils refusent que l’ « Affaire Mokoko  » soit politique.

Néanmoins, nous avons appris à la dernière minute que le problème que pose cette immunité de juridiction ne serait plus celui de sa force d’annuler ou pas toute la procédure qui est engagée contre Jean Marie Michel Mokoko ; mais il serait celui du retard avec lequel cette immunité a été signalée aux juges d’instruction.
Du n’importe quoi !

« En attendant, Mokoko doit rester en prison » auraient conclu les juges d’instruction. Mais, quel est le message que cache cette petite phrase ?

Affaire Paulin Makaya

Arrêté le 23 novembre 2015 pour avoir participé à la marche pacifique organisée par les partis de l’opposition, Paulin Makaya, président fondateur du parti Uni pour le Congo, avait été arrêté pour « incitation au trouble à l’ordre public ». Jugé, il avait été condamné à deux ans de prison. Et, Paulin Makaya a purgé toute sa peine. Il aurait dû être libéré le 1er décembre 2017. Pourtant et malheureusement, Paulin est toujours en détention à la Maison d’Arrêt. De deux choses l’une : ou c’est un prisonnier et, on le libère puisqu’il a purgé sa peine ou ce n’est pas un prisonnier mais on le maintient en détention pour le liquider à petit feu pour avoir osé défier Sassou.

Devant toutes ces affaires qui manquent de clarté, s’il existe une justice au Congo, ce n’est pas celle qui lit le Droit, c’est celle des forts et des fous.

Serge Armand Zanzala, journaliste et écrivain

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.

Recevez nos alertes

Recevez chaque matin dans votre boite mail, un condensé de l’actualité pour ne rien manquer.