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Ingénierie oratoire

L’antithèse du "Club France Libres Propos" sur le génocide des Laris de Dominique Kounkou

Le comble du paradoxe c’est de rendre populaire un ouvrage en cherchant à l’étouffer.

Les oreilles du Pasteur Dominique Kounkou ont beaucoup sifflé ce jeudi 29 novembre 2018 tant le fruit de ses entrailles « Le génocide des Laris au Congo » a fait l’objet d’un passionné débat sous l’égide du Club France Libres Propos / CFLP, une association (selon ses membres) qui ne « date pas d’aujourd’hui ». L’échange a eu lieu dans la salle dite Amphithéâtre Rouge (L’Ecole Optimal Sup-Spé), à un jet d’encre du Centre Georges Pompidou, à Paris. Animaient cette dispute, Emmanuel Dupuy, politologue, Asie-Dominique de Marseille (journaliste) et Odilon Obami (juriste et écrivain). Modérateur : Marie-Alfred Ngoma du Club France Libres Propos.

Chaque intervenant avait un quart d’heure pour convaincre.

L’amphi rouge doté d’une centaine de places était rempli au tiers de sa capacité. Pour un jour de semaine, il s’agit d’un beau score car bouger la diaspora parisienne sur un sujet politique n’est pas une sinécure.

A noter la présence dans la salle du légendaire Afoumboulé dit Koko Waya, immortalisé par Papa Wemba.

Problème. Dominique Kounkou, avocat congolais au barreau de Paris, a jeté un pavé dans la mare en accusant l’actuel gouvernement congolais d’avoir perpétré un génocide sur les Laris, un peuple du Congo. Lorsqu’on imagine les conséquences juridiques encourues par les présumés auteurs dudit crime, on comprend les moyens mis en branle par le pouvoir de Brazzaville pour se dédouaner de la lourde accusation que Dominique Kounkou a fait peser sur lui. De toutes les stratégies de défense mises en place par le gouvernement congolais, le débat de ce jeudi 29 novembre 2018 peut passer pour l’une des plus offensives. Policé, il l’a été ; musclé aussi ; courtois également bien qu’aucun partisan de la thèse génocidaire ne composa le trio des conférenciers. Les moyens médiatiques mis en branle en disent long sur l’importance que Le Club France a accordé sur sa feuille de route. Le débats ont été retransmis en direct sur les réseaux sociaux par la chaîne numérique Ziana TV.

Arguments

Pour Emmanuel Dupuy, l’ouvrage de Dominique Kounkou a le mérite de sortir au moment où le Congo a besoin d’un « récit national » (pour son unité et sa conscience collective) dans un environnement géopolitique assez problématique. Pensez que le Gabon, un voisin, vient de changer un article de sa Constitution en une nuit ; le Cameroun traverse une zone de turbulence avec les élections controversées ; le Tchad a maille à partir avec sa démocratie ; La RDC est dans l’incertitude des élections de décembre 2018 ; La RCA est sujette à une crise parlementaire. Autant dire que dans cet univers hautement critique, le Congo est un « havre de paix ».

Usant d’une admissible précaution oratoire, Emmanuel Dupuy invite à relativiser le terme de génocide. Ayant connu les cas du Cambodge, de l’Arménie et du Ruanda, tout est-il génocide ? Ce type de tragédie doit être mesuré par les historiens et non par des littéraires, par des idéologues. L’urgence, pour le Congo, selon Dupuy, serait d’ouvrir un procès sur le CFCO, une entreprise coloniale qui a occasionné des milliers de morts.
Pour E. Dupuy, Kounkou pointe du doigt les industriels français. Or, à force de focaliser sur la France, on oublie d’autres Etats, par exemple La Chine colonisant l’Afrique (Le Congo) ainsi que Les Etats-Unis. Dominique Kounkou a l’autre mérite de poser la question des frontières et celle de l’intégration des Laris, un peuple qui compte des millions de sujets répartis dans les deux Congo et en Angola (NDLR, le politologue a voulu sans doute parler du peuple Kongo ). Il est judicieux de travailler davantage dans un monde globalisé que dans un monde parcellaire tracé à la Conférence de Berlin (19è siècle).

Puis, histoire de sortir du débat sans trop se mouiller, le Français Emmanuel Dupuy a suggéré que cette question génocidaire soit traitée par les Congolais entre eux et qu’il eut été intéressant d’inviter à la conférence de ce jour Dominique Kounkou. A noter toutefois que pour un havre de paix, selon E. Dupuy, le Congo gère une crise de l’Education (7 enfants sur 10 n’ont pas accès à l’école ) et en tant qu’entité globalisée, de l’Afrique dont fait partie le Congo, partent 25% de migrants climatiques vers l’Europe.

Invité à une autre réunion à 16 heures, Emmanuel Dupuy quittera l’amphithéâtre rouge sous les remerciements du modérateur.

Second intervenant à prendre la parole, Asie-Dominique de Marseille, venu de Brazzaville croiser le fer avec Dominique Kounkou, opère une rupture avec la théorisation des débats par E. Dupuy en « allant à l’essentiel  », en l’occurrence la composition typographique de l’ouvrage. Ce livre, en effet, le directeur du journal Le Choc, a passé un temps fou à en débattre sur les plateaux des télévisions locales congolaises. Sa première charge anti-Kounkou porte sur l’iconographie qui, dans sa première édition, reproduit une photo usurpée sur Google et multi utilisée par ailleurs pour illustrer les crimes de masse en Afrique (cas du Ghana, du Cameroun, RDC). « Faux et usage de faux !  » s’indigne Asie Dominique en constatant que Kounkou s’en sert pour appuyer la thèse du génocide Lari. Après une première salve de critiques, Dominique Kounkou retire la photo de couverture qui montre un tombereau de cadavres pour la substituer par celle d’une colonne humaine, baluchons sur la tête, qui semble fuir une zone de conflits. C’est ce que constate Asie de Marseille. Les morts de la première édition, ironise Asie, deviennent des vivants dans la deuxième édition. «  Ça enlève le crédit à l’ouvrage  » argumente Dominique Asie. « Lorsqu’on attaque une banque en France et qu’on illustre l’attaque avec une photo prise au Congo, ça fausse tout.  » compare au micro le journaliste congolais imbu de déontologie. « Mensonge ! Diffamation  » s’insurge le polémiste brazzavillois.
Voilà pour la forme.

Pour le fond, la méthodologie de Kounkou, selon Asie, pêche par l’amalgame. «  Ntoumi est une fabrication de Sassou  » écrit l’auteur du livre sur le génocide. La chose étonne Asie de Marseille. « Comment se fait-il que la créature de Sassou censée massacrer les Laris soit accueillie à bras ouvert par les mêmes Laris ? »

Projetant à l’écran une vidéos Youtube sur une farandole religieuse de Ntoumi en rase campagne à Soumouna dans le Pool, Asie de Marseille, balaie d’un revers de la main la thèse de la collusion entre l’actuel Président Congolais et le chef rebelle du Pool. « C’est contradictoire que bourreau et victimes festoient » conclue le débatteur.

Comble de contre-vérités, Dominique Kounkou, aurait mis en doute l’attaque du 4 avril 2016 d’un commissariat de Bacongo par les Ninjas de Ntoumi. L’affirmation irrite évidemment le journaliste du Choc puisque, sans cela, les militaires n’auraient pas exercé un droit de poursuite des assaillants dans le Pool. La dernière guerre du Pool serait partie de cette attaque rebelle. Dominique Kounkou se tromperait également d’analyse en imputant à Jacques Opangault la haine anti-lari des Mbochi. « Mensonge !  » dit Asie d’une voix tonituante, car le premier coup d’Etat de l’histoire du Congo aurait été perpétré par L’Abbé Fulbert Youlou qui fit voter des lois en l’absence des députés du MSA dont on avait corrompu un membre (le député Yambo -NDLR). La guerre de 1959 se déclencha à la suite de ce changement de majorité entre UDDIA et MSA à Pointe-Noire, capitale du Territoire du Moyen-Congo. Dominique Kounkou, selon Asie, aurait été influencé dans sa diatribe anti-Opangault par la théorie du larisme de Pierre Kikounga-Ngot. Dominique Asie n’en dira pas plus sur cette théorie.

De la discrimination intellectuelle, Asie de Marseille reproche à Dominique Koukou de défendre dans son livre la thèse de la bosse cognitive des Laris opposée à la bêtise de «  l’homme du nord  ». L’éthique capitaliste des Laris et l’esprit d’entreprise susciteraient la jalousie des nordistes.

La goutte qui fait déborder le vase , c’est l’affirmation « koukoudominicaine » selon laquelle les Laris au Congo ne « meurent que de génocide  ». Pour Dominique Asie, Dominique Kounkou feint d’ignorer que le paludisme et autres maladies cardio-vasculaires font des ravages dans ce pays.

En somme, la stratégie avec laquelle Dominique Kounkou veut étayer la thèse du génocide subi par les Laris part d’une mauvaise foi. Quand on sait ce que les Juifs, les Cambodgiens, les Arméniens, les Ruandais ont vécu, Asie Dominique de Marseille est effrayé à l’idée que son pays, le Congo, ait été le théâtre d’un génocide. En sa qualité de journaliste, lui, se base sur les faits, rien que les faits. Or il n’existe aucun faisceau d’indices qui permet d’inférer un génocide Lari ; encore moins quand on a du mal à faire le distinguo Lari/Kongo dans une région (le Pool) dont l’auteur, de surcroit, accuse Alphonse Massamba-Débat d’avoir contribué à la marginalisation des Laris qui sont pourtant aussi des Kongo stricto sensu. Mais alors qui est Ntoumi s’il n’est pas Lari, ainsi que le prétend D. Kounkou ? Un Mbochi ? On frise la fantasmagorie.

Le troisième intervenant à contribuer à la dispute est Odilon Obami, débarqué lui aussi de Brazzaville, élégant dans son costume bleu ciel. Juriste, cet enseignant à l’ENAM de Brazzaville compatit à la douleur de Dominique Kounkou d’avoir perdu sa mère dans la guerre civile au Congo avant de se lancer dans la définition du mot génocide. Ce concept est grec. De guenos (groupe) et de cide (tuer). Cette notion est à manier avec prudence. Quant à la démonstration de la thèse génocidaire, il faut procéder par syllogisme (une proposition majeure, une mineure et une conclusion) Le fameux « Tout homme est mortel, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel. »(NDLR)

Ayant compati à la douleur filiale de Dominique Kounkou, Odilon Obami ne reste pas moins dubitatif sur la démonstration de l’auteur. Pour qu’il y ait génocide, il faut une concertation d’un groupe dans lequel on décide l’extermination. C’est le cas de l’opération Cristal qui décida du sort des Juifs par les Nazis. Total de Juifs exterminés : 6 millions. 3 millions de Tziganes et de Noirs.
« Nous sommes en Droit, une science non pas ésotérique mais exotérique » assènera O. Obami. Lui-même, en 1997, à la fin de la guerre Lissouba/Sassou (gagnée par Sassou), lui-même fut tenté par la thèse du génocide lorsque Sassou l’envisagea contre Lissouba. Odilon Obami fit marche-arrière quand il s’aperçut que les critères juridiques n’étaient pas réunis pour soutenir l’accusation.

En vérité, selon Odilon Obami, Dominique Kounkou a confondu génocide et crimes de guerre. Il ne faut pas « blaguer avec le mot génocide  » dit sérieusement le juriste. Ecrire que les Laris ne «  meurent que de génocide, ils ne meurent pas autrement » est une aberration.

Il ne reste pas moins que le Code Pénal congolais incorpora dans son contenu en 1998 la notion de génocide. (Dans quel but ? Pour mieux le conjurer ? )

De toute manière, «  Lari n’est pas une ethnie mais une tribu » dit le professeur Odilon qui se définit comme «  intellectuel engagé  ». « Il s’agit d’un croisement de groupe ethnique kongo  ». O. Obami ne précise pas la différence entre « tribu » et ethnie. D’aucuns soutiennent que les Laris sont une interaction de kongo stricto sensu et de téké. (Comme si une société pure existait en ce bas monde globalisé)

Débats

Dans les échanges avec la salle est revenue la notion du plan concerté quand il s’agit de génocide. Mais alors le plan Mouébara n’a-t-il pas signifié une entente du pouvoir dans l’intention d’en finir avec le Pool (sous-entendu les Laris ? ).

«  Balivernes !  » rétorque Asie de Marseille. « Le plan Mouébara est une fiction  » dont le nom de l’auteur (Issongo) n’est ni attesté ni avéré.

Propos critique d’intervenant  : Il ne faut pas s’appuyer uniquement sur le livre de Dominique Kounkou pour fonder l’antithèse du génocide. L’ouvrage est le produit d’une émotion de son auteur excédé par ce qui est arrivé à son peuple. En réalité la raison critique recommande de remonter plus loin pour valider ou invalider la thèse. En 1978, au procès des présumés assassins de Marien Ngouabi, il y a eu des exécutions en masse dont les corps des suppliciés n’ont jamais été rendus aux familles. Se baser sur l’ouvrage du Pasteur Dominique Kounkou c’est courir le risque de prendre un serpent au milieu. Avant les pogromes de 2017 sur lesquels s’appuie l’auteur pour démontrer le génocide, il faudra se souvenir des autres guerres civiles à la suite desquelles des populations du Pool s’étaient réfugiées dans les forêts avant de traverser en RDC (Mbanza-Ngungu) .

Le terme de Disparus du Beach n’apparaîtra pas dans l’échange. Il ne reste pas moins qu’il était sous-jacent dans les propos de Richard Samba dia Nkoumbi. C’est à la faveur des accords de paix en 1999 que s’amorça la tragédie du Beach. Au débarcadère de Brazzaville, on sélectionnait les victimes sur le critère ethnique, indice méthodologique d’une entreprise génocidaire selon les définitions juridiques.

Quid l’association CFPL (Club Français de la Parole Libre ) Club France Libre Propos, fondée la veille des débats et qui se retrouve du jour au lendemain à Paris pour débattre du génocide ? s’étonne le lanceur d’alerte Bedel Baouna surpris de voir Asie Dominique de Marseille, lui et personne d’autre, dans cette affaire où on remarque une overdose d’interventions et deux poids « une mesure » du fait que l’autre livre sur le génocide (Congo-Brazzaville : chronique du génocide des Laris du Pool de Nsaku Kimbembé paru également chez L’Harmattan est sujet à un black-out. Réponse de l’intéressé : « je suis journaliste, je fais mon métier. Je ne suis pas le seul à parler du livre de Kounkou  ».

Asie Dominique se sort de la critique en produisant d’autres coupures de presse de confrères ayant traité du sujet génocidaire. En effet Afrique Education en a fait état tandis que dans les débats le livre du révérend Nsaku Kimbembé (qualifié de Satan par conférencier) est mentionné.

Autre critique essuyée par Dominique Asie de Marseille, son absence d’enquête sur le champ de bataille dans la région du Pool. « Vous vous êtes borné de produire ici des vidéos que tout ne monde peut voir sur le net. Avez-vous des photos qui invalident la thèse du génocide Lari ?  » a demandé la journaliste Nzoumba.
Réponse du journaliste Asie : « je ne suis que journaliste, madame, ce n’est pas moi qui fabrique les faits. »

Même si on soupçonne Asie-Dominique de partialité, en revanche il condamne avec force la crainte du général Nianga-Mbouala sur l’avenir des Mbochi. « Ca tire le pays vers le bas » critique-t-il.

L’ouvrage sur le génocide Lari est interdit au Congo et l’auteur poursuivi par la Justice de son pays. Rien de tel pour faire de la pub à celui dont on veut nier la thèse estimée nocive.
Question d’épistémologie : morte la bête, mort le venin ? Alors morts les débats puisque l’auteur est bâillonné ?

Qui pourrait croire que les hostilités ont pris fin sous prétexte qu’on a brandi l’épouvantail judiciaire ?

« S’il s’agit d’inepties pourquoi organiser des débats à Genève, à Paris, à Brazzaville ? » s’est interrogé un auditeur critique.

« Article 13 punit l’incitation à la haine ethnique. » précise Odilon Obami.

Difficile de comprendre qui a le monopole de la haine, qui détient la légitimité de l’amour des uns et des autres au Congo.

A signaler les regrets de Dominique-Asie de Marseille de n’avoir pas pu débattre avec Dominique Kounka ici à Paris, ville des lumières. Mais joie d’avoir débattu sans que la dispute ne dégénère.

Bien évidemment, en dépit des injonctions du régime de Brazzaville, le débat génocidaire n’étant pas clos, peut-on dire que ce n’est que partie remise ?

Le Pasteur Kounkou, le moins qu’on puisse dire, a réveillé de vieux démons avec son ouvrage.

Simon Mavoula

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