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La rhétorique du Dr Marcel Guitoukoulou ou comment démystifier Sassou

Bien qu’il ait une voix douce et monocorde comme un mantra tibétain ; bien qu’il ait l’air timide, Sassou est un homme redoutable.

Aussi bien chez ses partisans que chez ses opposants, personne n’a jamais osé hausser le ton quand on parle à Sassou, bloc de marbre impassible. On puisait dans le réseau dense des hyperboles pour s’adresser à notre autocrate : « Son excellence, le bâtisseur infatigable, Kani, Otchombé, Lékufé, oloma niama ; etc. » autant de marques de déférence qui sentaient bon la flatterie.

Ca c’était avant le drame constitutionnel ; avant que le joueur de poker-menteur du bord de l’Alima n’abatte sa dernière carte à double détente : le dialogue articulé au référendum.

Sassou démystifié

Fatigué par une mystification qui n’a que trop duré, le peuple abandonne de plus en plus la langue de bois. Depuis le coup de théâtre référendaire, la rhétorique anti-Mpila a brutalement changé. L’entêtement de l’homme des actions secrètes a poussé quasiment tout le monde à la rupture avec les règles de politesse dues à un Président, fut-il tyran. Comme dans la fable du lion malade, en fait il ne se passe pas un jour sans qu’on ne dénigre Lékufé dans toutes les couches de la société, coup de pied de l’âne assené au félin édenté. Ne parlons pas des lettres ouvertes où il est simplement traîné dans la poussière.

Depuis la voix condescendante d’un Mathias Dzon jusqu’au ton très ferme du Dr. Marcel Guitoukoulou (président du Congrès du Peuple) en passant par celui très tranchant du président de la Coordination Jean-Luc Malékat et les sévères remontrances de Paulin Makaya de l’UPC, les volées de bois vert de Sosthène Samba depuis le Canada, les coups de massue des Combattants de la diaspora, la rhétorique est devenue musclée. Le pouvoir de Sassou est en train d’être humilié sous nos yeux. Et cela n’est pas pour déplaire. A part ses partisans (et encore ! car quand on voit Bowao…) plus personne ne prend les gants pour s’adresser à cet homme, hier craint, aujourd’hui démystifié, pour avoir caressé le rêve d’être Président à vie au Congo comme Mobutu rêva l’être au Zaïre. Pour Mobutu, on connaît la suite. Pour Sassou on devine la suite. Et, rien ne ressemble plus à un chant de cygne que ses dernières tergiversations à la BBC. Bras d’honneur à un peuple qui lui échappe de plus en plus ? Baroud d’honneur d’un général en train de perdre la guerre ?

CDD

En l’espace de deux semaines, le Dr Marcel Guitoukoulou, 54 ans, a occupé au moins trois fois l’espace médiatique. Avec un accent d’une rare fermeté, le médecin congolais invité au JT d’Africa 24 ce 7 avril 2015, n’a pas enrobé la pilule de miel. L’anesthésiste a été catégorique quant au sort de Sassou en 2016 : « Il est partant  ». Il n’a donc pas le choix. Diantre ! D’ordinaire la déontologie médicale est plus métaphorique pour annoncer un diagnostic. Comme à la boxe, là, c’est un direct de gauche qui est balancé à l’adversaire. Uppercut.

Mais pourquoi « L’homme des masses » serait-il donc sur le départ en août 2016 ? C’est que son passage au pouvoir depuis 2002 n’est rien moins qu’un « contrat à durée déterminée ». Et comme la récidive est un trait de l’homo politicus congolais, en l’occurrence Denis Sassou-Nguesso, notamment en matière de coup fourré et foireux le constitutionaliste verrouilla le «  contrat de travail » à l’aide de deux clauses intangibles : l’âge et le nombre de mandats.

L’âge du capitaine

Ouai, deux précautions valant mieux qu’une, en plus de ne pas se présenter plus de deux fois à la magistrature suprême, on ajouta la clause de l’âge. Quel âge a Sassou ? 72 ans ? En pratique. En théorie, ainsi qu’ironisa Claude Ernest Ndalla rien ne certifie réellement que Sassou ne nage pas déjà au-delà des 75ans. Certes ça fait plus jeune que Robert Mugabé, mais comme a su bien le dire Eric Patrick Mampouya dans La Griffe « Le Congo n’est pas le Zimbabwe  »

Donc pas de Contrat à durée indéterminée. A 73 balais en 2016, vu l’âge du capitaine (pardon du général), c’est la retraite. C’est ce que le Président Denis Sassou a reçu comme injonction du Président du Congrès du Peuple, le Dr. Marcel Guitoukoulou. Comme ces choses-là lui sont dites en des termes très peu flatteurs ! Le crocodile de l’Alima n’effraie plus.

Nonault purgée du journal

Suite à un heureux concours de circonstances, Africa24 a consacré cinq minutes aux injonctions du Dr. Guitoukoulou alors qu’au départ des courses, dans une première diffusion en direct, l’inévitable Arlette Nonault Soudan (épouse de François Soudan de Jeune Afrique), présente sur le plateau de la chaîne parisienne, avait bouffé énormément le temps de passage du Président du Congrès du Peuple. Se mêlant les pinceaux sur le prétendu droit de Sassou de changer la Constitution comme cela s’est fait sous la 4ème République française ou comme ce serait son droit le plus libre, selon elle, de se présenter pour un troisième mandat (dont l’issue n’est même pas envisagée par ses partisans comme un fiasco) Mme Soudan née Nonault sera dégagée de la deuxième version du JT d’Africa24 après montage. Du coup, des trois minutes qui lui étaient consacrées dans un premier temps, le Docteur gagnera deux minutes supplémentaire. Un bonus qui donnera plus de cohérence et d’impact à sa mise en garde à Sassou. Mais encore on lui aura sucré deux minutes car au total il aurait sermonné le ploutocrate congolais durant sept bonnes minutes.

Notons, au passage, le paradoxe des autorités congolaises hostiles à l’ingérence française, promptes à se référer à l’histoire constitutionnelle de la France pour légitimer des forfaitures.

Quels étaient les non-dits du toubib phocéen sucrés par Africa24 ? Il a félicité Brice Parfait Kolélas et Zacharie Bowao pour avoir pris le courage de dire NON au changement de Constitution. Notons le fair-play du médecin, opposant félicitant des adversaires.

Irrespect

Ce qui est nouveau dans les rapports des Congolais avec la fonction présidentielle c’est la rupture sémantique. Finies les précautions oratoires. Exit l’urbanité dans les propos. A bas les civilités. Foin de protocole. Ca ne vous dit rien ces rapports horizontaux ?

Souvenons-nous la mise en garde du candidat François Mitterrand ramenant le Président Giscard d’Estaing au rang de simple débatteur en 1981, en direct à la Télé. Sassou est en train de subir le sort de Giscard d’Estaing avec la nuance que Giscard était encore candidat alors que Sassou ne l’est plus ; en raison de l’âge et pour avoir épuisé ses mandats. La méthodologie de l’irrespect chère au sociologue Eric Neveu semble le traitement auquel ont droit les monarques en fin de règne. Mon Dieu ! plus personne n’a de la considération pour Sassou à quelques mois de son départ à la retraite ; un manque de respect qu’il s’ingénue à rendre personnellement plausible en raison de son égocentrisme politique. « Congo, Congo ya mountou mossi vé » : on aurait dit qu’il n’a jamais écouté ce refrain populaire !

Coup d’état permanent

Mieux ; les références politico-littéraires à la théorie de la magouille ont émaillé les injonctions du Dr. Guitoukoulou, notamment l’allusion au « coup d’état permanent » chère à François Mitterrand. Sassou, d’abord champion du coup d’état militaire avec effusion de sang, voilà qu’il travaille à faire le coup d’état institutionnel. Le Dr Marcel Guitoukoulou le lui a dit (j’allais dire) les « yeux dans les yeux  » car si Sassou ne suit jamais sa propre Télé (Télécongo) Sassou regarde tout le temps la presse internationale.

Caniche

Il y a des chiens qui ont l’air méchant. Mais il suffit de marteler le sol avec son pied pour les voir détaler. Il va de l’attitude actuelle de Sassou comme celle d’un canidé peureux ayant des apparences de pit-bull alors qu’en réalité, ce n’est qu’un caniche domestique.

Quant au dialogue, il n’est plus question de discuter. Le médecin phocéen d’origine congolaise est catégorique.

On n’a rien à se dire avec un employé en fin de contrat en 2016. « Il est partant  » rappelle le médecin. Dialoguer avec Sassou c’est comme un dompteur qui entre dans cage aux fauves sans le fouet. Carnage !

Dans son passage à Africa 24 ainsi qu’à Télé-Sud le Dr a usé d’une tonalité de tribun : doit-on décoder quelque tendance à la magistrature suprême ?

En tout cas ceux qui croient qu’après Sassou c’est le déluge, ceux qui pensent que Sassou est indispensable au point de lui accorder un contrat à vie ceux-là devraient analyser les discours des Congolais en général. On dirait un remake de la Conférence Nationale de 1991 où il y eut un immense défoulement verbal. A cette époque Sassou assuma. Aujourd’hui tout le monde est d’avis qu’il sera consumé.

Thierry Oko

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