email

La rumeur du rond-point Moungali

Comme la statue de St-Janvier à Naples en Italie, à Brazzaville, un paisible monument a craché du sang, à la stupéfaction nationale. C’était à la fin du mois de juin, dans un contexte de conflit postélectoral. Rien n’est plus coriace qu’une rumeur. Plus c’est gros, plus ça passe.

Orléans

Edgar Morin parla de la rumeur d’Orléans dans un essai sociologique devenu un classique de la théorie de la communication. Une rumeur se répandit à Orléans selon laquelle il y avait une traite de femmes blanches dans la ville. Ce trafic était organisé par des commerçants juifs qui droguaient les femmes dans les cabines d’essayage. E. Morin constata qu’une rumeur circule d’un centre vers la périphérie. Plus l’information s’éloigne du centre, plus elle grossit. La nouvelle selon laquelle une femme blanche fut retrouvée inconsciente dans une cave, se métamorphosa à mesure qu’elle se répandait dans la ville, dans les autres villes et sur toute la France. Colportée par le bouche à oreille ou par les médias, l’objet de la rumeur évolua vers un réseau de proxénètes se livrant à un trafic de jeunes femmes pour alimenter la prostitution. Il s’agissait cette fois-ci non plus de traite négrière mais européenne.

Test ADN

Récemment, au rond-point Moungali, la stèle sous forme d’obélisque égyptienne érigée par Sassou dans le cadre de la municipalisation accélérée, se mit à libérer sur ses parois un liquide pourpre. Avec la vitesse de l’éclair, aussitôt la rumeur s’accéléra. Dans un système de communication où radiotrottoir a le vent en poupe, elle se répandit comme une trainée de poudre. Sans même procéder à des tests ADN, il s’agissait, disait-on, de sang humain. Avec la même méthode qu’après le 11 septembre aux Etats-Unis, la théorie du complot prit le relai soit pour tout nier soit pour proposer une autre explication car, c’est connu, « on nous cache tout. La vérité est toujours ailleurs ». L’info se retrouva rapidement sur les réseaux sociaux où elle fut le sujet de toutes les spéculations.
« Un monument de marbre qui suinte en saison sèche ? Incroyable » balaie d’un revers de main le public brazzavillois généralement assidu aux églises de réveil. Pour lui il s’agissait de la manifestation du diable (sous-entendu Sassou dont il est l’associé).

Comme à Orléans, la rumeur enfla. De l’explication pseudo rationnelle de la rouille qui donne la couleur magenta au liquide, on passa à celle d’un rituel maçonnique ( avec une once d’andjibisme) auquel se livrait un pouvoir maléfique assoiffé de sang pour s’éterniser.

Et c’est ce sang humain qui coulait des jointures des blocs de marbre de la stèle haute de 17m.

Les caves du Vatican

Mieux : sous l’obélisque de Moungali se trouverait une cave où se tiennent des messes sabbatiques auxquelles assistent les francs-maçons de la grande loge dont Sassou est le grand-maître.

Et, comme si cela ne suffisait pas, pour compliquer la situation, Sassou dépêchera la maréchaussée pour étouffer la rumeur. Le très féroce commissaire de police Jean-François Ndenguet va s’employer de disperser à coups de bombes lacrymogènes la foule de badauds venus assister à cette magie noire.
« Vous voyez qu’ils nous cachent quelque chose » disent alors en chœur les complotistes.

Poussant loin leurs hypothèses, pour les partisans de la théorie du complot, il y aurait deux Brazzavilles, une en surface, l’autre souterraine. Ceux qui ont lu «  Voyage au centre de la terre » de Jules Verne peuvent se faire une idée de la complexité de notre ville . Dans Brazzaville sous terre, il y aurait un labyrinthe de galeries en connexion avec la morgue de Brazzaville. Cette morgue municipale n’aurait pas les apparences VIP si Sassou n’était un habitué des lieux. L’homme de Mpila s’y rend nuitamment découper les linceuls pour s’équiper en mouchoirs blancs, ceux-là même qu’il agite dans les manifestations publiques afin d’endormir le peuple. Par ailleurs, la forme phallique de l’obélisque du rond-point de Moungali symboliserait la sodomie du peuple par Sassou.

Voilà pour la rumeur de Moungali.

Soif de changement

Dans une ville sans eaux et sans électricité, la pénurie selon les partisans de la théorie du complot, s’explique du fait que la SNDE (compagnie des eaux) n’arrive plus à creuser afin d’installer ses tuyaux, car Brazzaville underground serait truffée de souterrains maçonniques servant à la fois de lieux de cultes ésotériques et de prisons pour opposants au régime de Sassou. De toute manière, il n’existe aucun dictateur qui n’ait des bunkers ensevelis sous la terre qui lui servent de PC.

Quand un peuple veut se débarrasser d’un pouvoir, il s’agrippe à tout ce qui est insolite pour justifier son dégoût. Si ce pouvoir n’était pas aussi figé qu’un sphinx, il aurait procédé à des expertises pour faire taire la rumeur. Mais, une fois de plus, au Congo, la logique mystique triomphe sur la logique scientifique.

Thierry Oko

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.

Recevez nos alertes

Recevez chaque matin dans votre boite mail, un condensé de l’actualité pour ne rien manquer.