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Les 3A un nouvel orchestre congolais

Dans le brouhaha musical dominant, conséquence d’un désopilant impérialisme culturel dont la tête de pont est la mouvance Wengué / Extra-Musica, je viens d’écouter un autre son de cloche.

Ce bonheur m’est arrivé grâce aux 3A, groupe congolais. Il vient de réaliser une K7 de musique dans la pure veine de l’identité musicale érigée par Les Bantous de la Capitale et léguée à une postérité qui n’en mesure toujours pas la valeur artistique..

Pour juger la qualité du travail effectué, voici la liste des musiciens qui se sont dépensés dans cet album entièrement fabriqué à Brazzaville de A à Z. Je livre le nom des musiciens pour (comme dirait J. Béranger) pouvoir mettre un visage sur chaque erreur entendue :

 Micky Malékat (lead guitare), Ringo Ngavouka (chant et guitare rythmique), Bienvenu Malékat (basse), Hervé Nsondé (chant), Gaétan Malékat (clavier), Jean-Raphaël Chicky (percussion, batterie), Bazébi ( chant), Ebengui, Sayo Yves Godet Bahoukala.

Ces musiciens sont des requins de studio. On peut lire leurs empreintes sur une foule de morceaux donnés à savourer par le patrimoine musical congolais des deux dernières décennies. En vérité ces musiciens appartiennent chacun à des formations respectives. Seule l’envie de rompre avec la monotonie musicale ambiante a décidé de les réunir autour de cet album.

Bien qu’issus d’horizons culturels différents, la rencontre de ces artistes autour de ce volume ne vise pas le projet ambitieux, voire prétentieux, de monter un orchestre national comme osa le faire jadis Bikouta Biks et qui légua à la réflexion de notre discographie le mythique titre de Vision.
La sélection impitoyable que supposerait la structuration d’un tel ensemble représentatif de la nation artistique susciterait tellement d’animosité dans le monde hétéroclite des musicos que ça serait ajouter aux trouble socio-politiques actuels que d’envisager, un seul instant, une telle perspective.

9 morceaux se disputent la vedette : Vie privée (compositeur Alex), Retour (Ringo), Flashuyi (Alex), Bonguisana (Alex), Sé boongo (Alex), Le rescapé (Alex), , Message sacré (Ebhyns) Gnigni né wé (folklore Mondzombo, adaptation Alex), In vino veritas (Alex), Variation (Ebhyns),

Le tempo dans l’ensemble est calme, à l’image de cette façon chez Congolais d’un certain âge de se mouvoir dans le jeu de la danse, image rendue par le concept lari de « Bou grand ». Rien à voir avec la célérité du rythme ambiant dont nos oreilles sont saturées ces temps-ci, généralement qualifiée par la notion, non moins péjorative d’« orchestre mazanza » illustrée par les mégas concerts à Bercy (où l’enjeu n’est pas de faire une bonne prestation mais de faire salle comble !)

Le titre du volume des 3A : Suspension .
« Les 3A » (on l’aura compris) est un sigle : Artistes Amateurs Associés.

La sens, ai-je dit, coule de source : il s’agit de musiciens d’horizons culturels différents ayant décidé de se regrouper pour briser le statu quo du tempo des deux rives aligné sur le phénomène Wengué, symbole de la décadence non pas musicale mais politique de nos pays..

« On s’est retrouvé pour faire un produit pur, dans le sens de la musique » explique Bienvenu Malékat, leader des 3A.
Ringo sort du moule de SBB-Super Boboto, Hervey Nsondé de Télé-Music.

HISTORIQUE

L’idée de monter « l’orchestre » des orchestres germa en 1993. En faisaient partie, à cette époque, Kali Diatu, Féfé Diambouana (Sax, aujourd’hui donné pour mort, qui prêta ses talents à Youssou N’Dour), Serge Sylver, Cédric (guitare lead) Judith Ndéko (chant)

A cette date, le studio unique autour duquel gravitent les groupes est l’IAD. Ce monopole rendra la vie difficile aux formations musicaleS dont l’innovation paraissait la règle d’or. On ne devinera jamais par quel miracle un Rapha Boundzéki put se frayer un chemin dans cette chasse gardée, notamment quand on sait que la priorité et le privilège d’entrer dans ces studios étaient davantage accordés à des monuments comme Ok-Jazz (cf. la série Maya) qu’à des iconoclastes comme l’enfant terrible de Super Mandolina de M’filou.

En 1996, éclate la guerre civile. Les orgues de Staline éclipsent la musique.

En 1998, reprise des activités, avec de nouvelles recrues. Les 3A renaissent des cendres de la terrible conflagration..

Le studio Eben Ezer (centre-Ville) sert de place forte à des groupes qui veulent se recomposer après la guerre civile. Le preneur de son : Guy Noêl Nkombo semble posséder son métier sur le bout des doigts.
Le volume Suspension a été mis en boîte par cet as de la console. Son studio digital n’a rien à envier à ce qui se fait de mieux à Paris ou à Londres..

ANALYSE

Micky Malékat a osé ce que nombre de guitaristes congolais ont pratiquement oublié : l’usage de la pédale wawa. Notamment dans Flashuy. L’effet produit a un je ne sais quoi de transhistorique qui fait penser à Woodstock, célèbre festival de musique pop en 1967 où Jimmy Hendrix fut révélé à l’immensité de la galaxie rock.

On peut déplorer l’absence des cuivres. Toutefois le e jeu de fifre dans la roumba/salsa sauve la mise. mais on sait aussi que les saxophones ont quitté la scène musicale congolaise depuis belle lurette ! L’énergie que donnent les instruments à vent fait dire à des musicologues qu’ils symbolisent, dans l’évolution d’un morceau, soit la colère divine soit le choeur des anges. Voilà pourquoi la section cuivre notifie le coup de semonce qui réveille un morceau dont la dynamique commence à aller crescendo.

L’ombre de Youlou Mabiala plane sur l’album. Le timbre de sa voix caractéristique (ténor et alto à la fois ) semble avoir été emprunté par le chanteur ténor du groupe. Le diapason de ses cordes vocales vibre dans le chœur des chanteurs. Cela a le bonheur de renforcer l’intention de l’arrangeur de donner une touche de maturité teintée de nostalgie à l’album.

Il y a, dit-on, deux écoles dans la musique congolaise : l’école cubaine incarnée par Les Bantou (Essou, Nino) et L’African Jazz (Kallé Djeff, Nico, Rochereaud), Cercul Jazz, et l’école française à la Tino Rossi incarnée par L’Ok-Jazz (Franco de mi amor, Vicky Longomba).

Dans l’entre-deux, des formations comme Zaïko, Stukas Boys, Bella Bella, Sinza Kotoko, ont créé des petits courants dont la classification par les musicologues sera difficile à établir tant on y retrouve les indices des deux courants musicaux majeurs dans le moule desquels la musique des deux rives s’est calée.

Le troisième morceaux des 3A (Flashuy) est un pur fruit de l’école latino cubaine. Il a des connotations kallédjeffiennes de l’African Team ou de Rico Jazz à Paris (début années 1970).Rien donc d’étonnant, une fois les classification théoriques admises, que Bienvenu Malékat, dans son discours, relie ce morceau à un concept de son cru : roumba-salsa. En vérité quand on écoute la production des Bantou selon la problématique de la composition chez Nino Malapet et quand on savoure les salsa de Kallé Jeff dans African Jazz ou dans Africa Team (cf. le morceau dédié à Essou Jean Serge) la composition musicale s’inscrit déjà dans la roumba-salsa. Du reste Les Bantou de la Capitale, tout le long de leur carrière, n’ont rien fait d’autre que la roumba-salsa.

L’anecdote prête à Bakoubila Essou Jean-Serges Spiritus alias 3S la formule anthologique suivante : « Voir Cuba et mourir », formule que la fascination de l’île caraïbéenne (Mecque du wawanco) avait inscrit dans l’esprit de la plupart des musiciens congolais des années 1960.

ARRANGEMENTS

L’arrangeur, Alex Bienvenu Malékat, bassiste, a un jeu assez distinct qui sait éviter de coller à la guitare rythmique. Son frangin, Micky Malékat développe des rifs que ne renierait pas Gérard Bitsindou alias Géry
Le clavier est pianoté par Kisito.

« Mais alors vous représentez la mémoire de la musique congolaise ? »
« En quelque sorte. Nous voulons faire des adaptations de tout genre (Zouk/Roumba, roumba/salsa) en restant dans l’identité congolaise » observe Alex Bienvenu Malékat.

DISTRIBUTION

A Brazzaville fonctionnent en concurrence quatre stations radio : Radio/Brazzaville, Radio Congo, Canal FM, Radio Liberté.
Il existe une chaîne Télé.

La promotion de la K7 s’avère difficile malgré cette pluralité de chaînes de radio. Les réalisateurs radio hésitent à programmer des morceaux qui sortent du schéma de Wengué comme si cela allait provoquer des chutes d’audience.. Même les distributeurs font la fine bouche, accordant leur préférence aux chants religieux.
Le sentiment d’échec pressenti de l’album est dû au fait que la prise d’assaut de la forteresse Wengué relève du mythe de Sisyphe.

L’impression de ringardise est si dominant chez les moins de trente ans à l’audition de la musique dite « des grands » qu’il y a de fortes chances (malheureusement ) pour que les ventes de Suspension frisent le fiasco général. C’est à se demander s’il n’existe pas un grave problème d’éducation musicale au Congo. Qu’il y ait un sentiment général de rejet des musiques issues de l’école cubaine incarnée par Les Bantou, cela dénote une sérieuse crise des valeurs.

L’hypothèse est que sollicitée par des problèmes sociaux d’une complexité très ardue, les 15, 25 ans (voire plus) cherchent une échappatoire dans une musique simplifiée à l’extrême. Les écuries Wengué sont là pour répondre à cette extrême simplification du monde par une musique dont la naïveté désarme ceux-là même qui la font, à commencer par Koffi Olomidé ou Papa Wémba (qui, de temps en temps, va se ressourcer auprès de Tabu Ley.)

Papa Wémba, conscient de la soupe qu’il propose au public populaire et conscient du tort que cette soupe cause à sa propre évolution musicale a jugé nécessaire d’avoir deux formations musicales : une pour le public kinois, une autre pour des mélomanes plus avisés refusant de se contenter du rythme binaire redondant dans lequel se complaisent Wengué et Cie..

Distribuer les quelque milliers de K7 imprimées est forcément un challenge difficile à relever, de l’aveu même du leader Bienvenu Malékat. La promotion, dit-on, privilégie le sacré et le profane. La préférence tend vers la musique sacrée puisque, dit-on, le religieux est un phénomène dont le retour en force se vérifie dans tous les secteurs de l’existence au Congo-Brazzaville.

NOSTALGIE

En 1999, Les 3A firent une rétrospective de la musique congolais depuis l’époque des pères fondateurs Wéndo et Moundanda, en passant par Lucie Yénga, Les Bantou jusqu’à nos jours.

Le titre de cette édition , Bal Assimil, voulut marquer et la fin de l’année et la fin du millénaire.
« Les mamans de la Violette étaient à ce bal » dit Alex, en essuyant une larme sur la joue.

La Violette symbolisait une société de groupies des années 1950, à l’époque des jupons gonflées et des djiguita (ceinture de perles). La Violette rivalisait avec Bana Odéon, La Rosette. Ces beautés noires que remarqua d’ailleurs le sociologue Georges Balandier se livraient de violents duels vestimentaires chez Faignond, chez Beauté Brazza, chez Photo-Bar ou chez Congo-Bar.

Les invités d’honneur au bal Assimil furent Claude Alain, kally Diatu, Séba Senemen, un certain général Makoumba Nzabi.

Prix de la K7 : 2.000 Fcfa soit 3 euros.

Bassouamina 20 sept 2002

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