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Les derniers voeux de Denis Sassou-Nguesso à la Nation

C’étaient peut-être les vœux présidentiels les plus attendus de Sassou, lui qui, dès son retour de Cuba, n’avait pas de mots assez explicites en faveur du changement de la Constitution via le referendum alors que tout le pays appelle au respect des Institutions. Eh bien le bâtisseur infatigable a botté en touche. Mais peut-être pas tant que ça. Disons qu’il a, comme on dit, mis l’eau dans son vin. Morceaux choisis :

« Travaillons d’abord, viendront le temps des joutes électorales. Je les entends. Qu’un débat soit instauré. Que les opinions divergentes s’expriment. C’est cela la démocratie. Personne n’a le droit de mener cet exercice dans le désordre et la violence. On en connaît les conséquences pour les avoir vécues récemment. Personne n’a envie d’y replonger. Rien ne doit compromettre la paix. Notre souveraineté ne doit être tenue à la lisère par personne. Les affaires seront réglées par les Congolais eux-mêmes, de préférence par le dialogue. Le peuple sera amené à trancher. Ca ne saurait être autrement. »

C’est un Chef de l’Etat maniant le flou artistique qui s’est adressé à la Nation ce mercredi 31 décembre 2014. Après avoir exprimé sa compassion aux sinistrés des dernières intempéries ayant ravagé son fief électoral de Talangaï, le locataire du Palais du Plateau a versé une larme sur la violence à travers le monde. De manière sélective, le chef de l’Etat et président du PCT a immédiatement abordé la situation internationale, mentionnant le réchauffement des relations entre Cuba et les USA mais évitant soigneusement la bérézina de Washington, le Waterloo de Dakar au sommet de la francophonie où son candidat, le romancier Henri Lopes, a été recalé à la présidence de cette organisation.

L’île de Fidel Castro, selon les mauvaises langues, serait sa future terre d’exil. En tout cas les mises en garde faite aux chefs d’Etats Africains qui caresseraient le projet de s’éterniser au pouvoir ne présagent rien de bon pour l’année qu’on va entamer. Aussi tout peut arriver en 2016 si ce n’est avant.

Evidemment les injonctions de Barack Obama et de François Hollande ont été soigneusement évacuées du discours présidentiel de la St-Sylvestre. Exit également le « mbata ya ba kolo  » assené avec une rare brutalité à son pote Blaise Compaoré chassé du pouvoir par un peuple Burkinabé révolté et survolté.

Autant dire que tous ceux qui avaient l’attention fixée sur les inévitables propos annuels de Denis Sassou-Nguesso ont été cruellement déçus, car de révision constitutionnelle ou de statu quo il n’a point été question. Il n’a pas parlé de ce dont tout le monde parle. Un ramassis de non-dit, de refoulements, d’actes manqués, d’ellipses, de circonvolutions, de broderies : voilà ce qu’a été la rhétorique Sassou en cette fin d’année.

Ce fut un exercice douloureux pour l’Homme des masses de ne plus affirmer de manière claire ce qu’il a pourtant martelé à Maya-Maya à son retour de Cuba, à savoir que le Congo, pays souverain, n’avait de leçon à recevoir de l’extérieur. Ce mercredi il a changé de fusil d’épaule.

Du coup on en a perdu son latin. Modifiera, modifiera pas ? Mystère et boule de gomme. Aurait-il finalement entendu les semonces de Hollande, d’Obama, de la diaspora congolaise en particulier et du peuple congolais en général ? Et pourtant, baroud d’honneur, cet homme qui se soigne chaque fois à Marbella en Espagne, cet Africain qui a été ramené au pouvoir en 1997 grâce à Jacques Chirac, indiquera qu’il n’avait d’ordre à recevoir depuis la lisière de son pays. Mais ce n’est qu’un pied de nez fait à l’opinion, histoire probablement de ne pas perdre la face. On le dit doté d’un Ego démesuré. Alors il crâne, roule les mécaniques, bombe le torse, fait des « escantènes ». Matalana.

Evidemment, personne ne s’attendait à un scoop ce dernier jour de la difficile année 2014 où le pétrole a pourtant rapporté des milliards à notre pays. Il faut croire au père Noël pour penser que Sassou allait dire tout de go : « cette fois-ci, c’est bon, j’arrête les frais. » Du fric Sassou en a empoché. L’émission « Complément d’enquête » du mois de décembre a révélé que si Sassou voulait sortir le Congo du merdier, il l’aurait fait vu les milliards que lui reversait Elf/Total.

Alors lorsqu’il promet construire des hôpitaux dans chaque région, comment ne pas crier : « Démagogie ! »

Promesses de Gascons

Après avoir entretenu un flou artistique sur ce point clef, il a émaillé son propos de classiques poncifs qui structurent d’ordinaire cette phraséologie annuelle de Sassou, notamment les difficultés liées à la baisse du prix du baril du pétrole, la hausse de l’indice salarial (de 225 à 250), l’équipement du territoire en infrastructures (en l’occurrence 12 hôpitaux régionaux comme celui d’Oyo qui, pourtant, comme chacun sait s’est révélé un éléphant blanc), création de sociétés de transports urbains, eau et électricité pour tous. Les promesses de Gascon, vous connaissez ? Ce sont des promesses qui manquent de sérieux.

Puis cerise sur le gâteau : organisation des jeux africains en septembre 2015 cinquante ans après ceux initiés par le Président Alphonse Massamba-Débat. Le peuple veut « à manger ». On lui offre des jeux. Les Romains faisaient pareil. Sauf que les Romains, eux, étaient de grands bâtisseurs, de vrais ! Enfin, last but not the least, son fameux attachement à la paix dont, évidemment, il est l’artisan.

En bon guerrier Sassou, « L’homme de Kimongo », parle de batailles.

« Ces batailles ne connaîtront aucun répit  » a assené Sassou. En somme, en langage politique c’est le fameux « j’y suis (au pouvoir) j’y reste. »

Conclusion : ce discours fut un fourre-tout. L’essentiel y a manqué. Puisque Sassou n’a pas voulu cracher le morceau, c’est probablement dans la rue que les Congolais lui feront comprendre ce qu’ils ont pensé de ces trentièmes vœux que l’homme d’Oyo voudrait mordicus réitérer en 2016 et au-delà, des vœux que le peuple à 99% voudrait qu’ils soient les derniers.

Thierry Oko

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