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Pour Charles Zacharie Bowao, ancien ministre de la Défense de Sassou, c’est "NON" au changement de Constitution

Zacharie Charles Bowao, philosophe et homme politique aurait-il endossé le statut de « l’intellectuel sans attache, situé au dessus de la mêlée » ? « Oui », si l’on considère qu’il navigue à contre-courant au moment où le PCT fait chorus pour le changement de la Constitution. « Non » si l’on considère que, en dépit des critiques, il fait encore partie de la famille idéologique de Sassou. Il reste qu’après son "JE RECUSE" , il ne fait pas l’ombre d’un doute que l’interview ci-après sonne le glas de la rupture avec le Chemin d’Avenir. In extenso, le texte d’Afrique-Asie du mois de mars 2015.

Charles Zacharie Bowao est professeur des universités, ancien ministre de la Coopération puisde la Défense du président Denis Sas- sou Nguesso et membre du Bureau politique du Parti congolais du travail (PCT, au pouvoir). Dans sa lettre ouverte, il refuse le changement de la Constitution qui permettrait au président de se maintenir au pouvoir après le terme légal de son actuel mandat, prévu en 2016.

L’ancien ministre de Denis Sassou Nguesso a créé l’événement en s’adressant au chef de l’État dans une lettre ouverte, le 20 janvier dernier. Il en appelle à l’éthique et au respect des valeurs républicaines pour lui demander de ne pas se compromettre dans un « coup d’État constitutionnel  ». Explications.

Charles Zacharie Bowao :« Préparons-nous à affronter toutes les situations, y compris l’alternance  »

Afrique Asie : Quelle est votre analyse du contexte politique actuel au Congo, qui vous a amené à écrire cette « lettre ouverte » ?

Charles Zacharie Bowao : Le contexte politique actuel est dominé par le débat sur le changement, ou pas, de la Constitution du 20 janvier 2002. Il y a une telle effer- vescence que l’espace politique congolais va nécessairement se recomposer à l’issue de cette querelle, qui prouve clairement que les Congolais n’acceptent pas de chercher leur avenir dans un passé historique fait d’autoritarisme, d’intolérance politique, de sclérose idéologique et de nivellement dans la pauvreté et dans la mal-gouvernance. En 2005 déjà, mon livre intitulé La Refondation politique à l’aune de « la nouvelle espérance (1) traitait de la refondation du PCT liée à la question
de la recomposition de l’espace public dans notre pays.

Après les événements de 1997 [la guerre civile, ndlr], il était question de mettre en place une dynamique qui permette de stopper les ethno-partis et de recomposer le champ politique sur des bases idéologiques. Le temps a passé vite. À la faveur du deuxième mandat du chef de l’État, nos préoccupations demeurent les mêmes : sortir des partis de gouver- nance fossilisés et parasités par la per- sonnalisation (ou la paternalisation) du pouvoir. Il ne s’agit pas d’un débat de refondation interne, si tant est que cela puisse exister, car tout débat dans un parti doit avoir pour objectif de conquérir l’opinion, rien ne peut se faire en cachette.

La réflexion se poursuit.

Au cours des deux réunions du Bureau politique de novembre et décembre 2014, j’avais pris l’engagement de m’adresser ouvertement et publiquement au président de la République pour attirer son attention sur cette affaire qui est plus une escroquerie politicienne autour du pouvoir qu’une volonté positive de recadrage institutionnel. La lettre ouverte m’est apparue comme la meilleure expression intellectuelle de cet engagement citoyen. Je suis satisfait de l’intérêt qu’elle continue de susciter sur la place publique. La réflexion se poursuit et chacun mesure où est sa responsabilité citoyenne, surtout la jeunesse.

On vous a accusé de servir vos intérêts personnels lorsque vous êtes sorti du gouvernement après l’explosion meurtrière de 2012 (2)…

Je m’incline devant la mémoire de toutes les victimes de cette explosion et exprime ma compassion à toutes les personnes qui en souffrent. J’étais ministre de la Défense quand il y a eu ce tragique événement. On a cherché à faire de moi non pas un fusible, ce que j’aurais bien compris, mais un bouc émissaire, et cela je ne pouvais l’ac- cepter. Je me suis publiquement défendu. Je ne pouvais pas laisser faire un complot qui pouvait avoir raison de ma vie. J’ai été inculpé à tort dans cette triste affaire. Heureusement, la Cour suprême m’a mis hors de cause, dans le fond comme dans la forme. Le procès s’est déroulé sans que je ne sois concerné à un titre ou à un autre. Je dirai un jour ma part de vérité sur cette tragédie qui engage la responsabilité collective du gouvernement de la République. Dans ce cadre, j’assume ma part.

Vision d’avenir

J’ai été malmené à cause de mon indépendance d’esprit dans cette affaire. Quand j’ai pris position en faveur de la refondation du PCT en 2004-2005, j’avais déjà des responsabilités importantes au plus au niveau de l’État. Jamais je ne me laisse guider par des rancœurs, des aigreurs ou autres amertumes. J’ai été sorti du gouvernement pour des raisons qui relèvent de la discrétion du président de la République. Je n’en dis pas plus. Mais, croyez-moi, cela n’a rien strictement rien à voir avec ma lettre ouverte.
J’ai pris position une première fois en novembre 2014 au Bureau politique : le président burkinabè Blaise Compaoré venait d’être chassé du pouvoir, nous risquions des débordements si le débat sur le maintien du président Sassou Nguesso après 2016 était mis à l’ordre du jour. Je n’étais pas d’accord, je voulais que nous en discutions justement, et que nous tirions les conclusions qui s’imposent. De nombreux camarades ont alors estimé qu’il valait mieux d’abord reculer puis revenir à la charge et nous engager dans la voie insolite du changement de Constitution.

À votre avis, c’était une bonne stratégie ?

Pas du tout, j’ai commencé à faire de la contradiction. Nous devons assumer le fait que le président part en 2016. Préparons-nous plutôt à affronter cette situation. Soit nous sommes capables de nous organiser pour ne pas perdre l’initiative politique en présentant un candidat à la hauteur des enjeux du moment, un vrai candidat d’avenir, soit nous nous préparons à l’alternance en engageant une réflexion en profondeur pour refonder le Parti, travailler à une opposition véritablement républicaine, pour pouvoir, sept ans plus tard, revenir aux affaires par la voie démocratique. Il s’agit donc d’être conséquent, en respectant la légalité constitutionnelle et la légitimité populaire. Tout le problème de la refondation politique et nationale se joue dans cette consé- quence historique. Faire autrement, ce n’est pas être républicain ou démocrate. J’ai été mis en minorité au sein du Parti, mais il s’agit plutôt du triomphe d’une minorité politicienne, alors qu’il s’agissait de faire preuve de majorité prospective. Vous savez comment se prennent les décisions dans un parti moulé par le centralisme dit démocratique. Les choses se sont passées dans une grande confusion procédurale.

Vous n’avez reçu aucun soutien ?

Au niveau du Bureau politique, non. Nous étions minoritaires. Plusieurs fois, j’ai demandé avec insistance à voir le président, mais son calendrier était trop chargé. Je ne m’en plains pas. Je le comprends. Depuis que je ne suis plus au gouvernement, je n’ai plus eu le privilège de discuter avec lui. Mais il connaît mes convictions. À mon avis, le président n’est pas surpris par mes prises de position intellectuelles et publiques. À lui de jouer sa partition de sagesse pour le bien de ce pays et pour le sien propre. En ce qui me concerne, je mesure combien il est difficile à un intellectuel d’accomplir sa fonction critique dans un environnement pollué par la couardise, l’arro- gance, l’affairisme et le clientélisme, dont le pouvoir est la meilleure conformité structurelle. Un intellectuel qui se respecte pour ce qu’il est, mais aussi pour ce qu’il n’est pas, sera difficilement à l’aise dans un carcan partisan ou ethnique, ne serait-ce que parce qu’il ne peut prendre parti que sous l’angle éthique.
Un intellectuel doit savoir réagir en résistant courageusement, voire orageusement, à la servitude volontaire ou involontaire. Je l’ai appris à mon corps défendant.

Le président n’a-t-il pas réagi ?

Non, il est resté énigmatiquement silencieux… La véritable question n’est pas d’avoir la majorité « politicienne  », il faut avoir la vraie majorité politique. Or, dans l’opinion nationale, la position du Bureau politique du PCT est minoritaire. Les dernières évolutions prouvent à suffisance que l’écrasante majorité des citoyens est contre l’anachronisme politique, qui est au principe du changement de la Constitution. Le PCT est minoritaire aussi bien au sein de la majorité présidentielle que dans l’opinion nationale. Nous devons vite tirer les leçons de ce discrédit politique avant qu’il ne devienne disqualification historique. Nous risquons de sombrer dans la tragédie du pouvoir comme au Burkina Faso ou au Niger de Mamadou Tandja. Le président doit réagir à temps en privilégiant l’intérêt supérieur de la nation et de la République. Il sait mieux que tous comment et pourquoi le Congo a basculé dans l’horreur en 1997.

C’est difficile à envisager…

Oui, mais c’est la réalité qui interpelle la conscience des hommes d’État. Souvenez-vous de la perestroïka en Union soviétique : le Parti communiste était très fort, mais son incapacité à anticiper l’a balayé. Le Congo n’a pas pu faire l’économie des conséquences de la perestroïka. Mentalement, nous sommes aujourd’hui dans le même type de débat, avec les mêmes personnes et les mêmes arguments. Il s’agit de changer de logiciel mental en changeant de rapport au phénomène corruptible du pouvoir. Résister à la corruption du pouvoir n’est pas une mince affaire, mais ce n’est pas impossible, et des exemples historiques ne manquent pas ! Aujourd’hui, dans l’opinion nationale, c’est le parti qui a perdu l’initiative, parce que mis en minorité, y compris par les alliés.

Vous avez alors décidé d’écrire cette lettre ouverte…

Fort de mes convictions, j’ai dit que je me réservais le droit de m’adresser ouvertement et publiquement au président de la République, celui de tous les Congolais, et pas seulement au président du parti, même si c’est la même personne. Le président de la République au Congo n’a pas de responsa- bilité partisane. Il est au-dessus de la mêlée. D’où mon interpellation persistante.

Que peut faire le président Sassou Nguesso ?

Il est comme nous, il analyse la scène politique nationale et la situation internationale. Je suis certain qu’il y aura une petite voix qui lui fera dire : je recule. Il a lui-même laissé se tenir le débat public, raison pour laquelle je peux recourir à une formule publique pour exprimer mes opinions. Je vais publier un livre sur cette question, dans lequel je reprends chacun des arguments énoncés par la majorité présidentielle et le comité central. Je démontre que c’est une affaire de pouvoir, certes, mais qu’il faut y mettre de l’éthique en politique pour que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous ne retombions pas demain dans les mêmes travers qu’hier. Le président devrait trouver la formule convenable pour arrêter ce vrai faux débat sur le changement de la Constitution. Il l’a perdu. En persistant, il sera perdant.

Considérez-vous la situation du Congo comme similaire à celle d’autres pays où la question du changement de Constitution est brû- lante ? Une comparaison est-elle possible ?

À Kinshasa, le débat est clos, sauf surprise. Le changement de Constitution est mis de côté. Le parti au pouvoir a voulu conditionner l’élection à un recensement. Votée par l’Assemblée nationale, rejetée par le Sénat, la loi n’est même pas arrivée devant la commission paritaire, parce que les députés ont battu en retraite. Du coup, la loi électorale n’intègre plus le recensement comme conditionnalité. En revanche, la Commission électorale nationale indépendante travaillera sur les listes électorales, de façon à faire consensus, surtout que le calendrier électoral est connu.

Un tel processus peut-il advenir au Congo ?

Je n’en sais rien. Je sais cependant que la majorité présidentielle est maintenant minoritaire sur cette question. Le PCT a été isolé par ses alliés, dont certains sont au gouvernement. Je ne serais pas surpris de voir s’organiser une plateforme de tous ceux qui sont contre le changement de Constitution, qu’ils soient de la majorité, de l’opposition ou de la société civile.

Qu’est-ce qui vous faire dire ça ?

Ce que j’ai suivi des débats ! La société civile s’organise déjà, l’opposition est en voie de le faire, cela risque de changer la donne. Je ne vois pas, dans ces conditions, comment le président de la République pourrait persévérer dans la voie du changement de Constitution. Si le parti est mis en minorité, si les autres forces se coalisent, sur qui, sur quoi va-t-on compter ? La manipulation des esprits ? Impossible… La stratégie du clientélisme montre ses limites chaque jour un peu plus.

Le PCT détient quand même une majorité écrasante, s’il reste uni…

Le PCT a une majorité écrasante au Parlement. Il aurait donc pu faire un passage en force. Il ne l’a pas fait parce que ce serait illégal et politiquement hasardeux. D’où la pirouette dite du changement. Sur cette question, le PCT n’a pas de marge de manœuvre. Dans l’opinion nationale, la majorité parlementaire du PCT a cessé d’être écrasante. Elle est écrasée, pour ainsi dire, par la puissance de volonté populaire. La volonté de puissance ne peut rien contre cela !

Le fantôme du Burkina flotte…

Oui, et aussi le fantôme du Niger. Mamadou Tandja, comme Denis Sas- sou Nguesso, était officier supérieur, à la tête d’un ancien parti unique, avec une forte majorité politique, élu et réélu confortablement. Dans un pays riche d’uranium comme nous de pétrole. Il a estimé qu’il lui fallait changer la constitution pour rester au pouvoir et finir les projets entrepris. En août 2009, il va au référendum, il gagne avec un pourcentage confortable, mais avec un taux de participation sujet à caution. Février de l’année suivante : coup d’État militaire.

Il est vrai que, sur le plan de l’histoire contemporaine, la situation du Congo est similaire…

Oui, le Congo comme le Niger, a une histoire politique tumultueuse, faite de crispation politique et de décrispation populaire, de tractations et de rétractions autour du pouvoir, en fait la quête démocratique est une pro- messe forte, mais un acquis fragile.

Au Congo, il y a trois hypothèses.

La première est : le président décide le passage en force, crée les conditions pour aller au référendum et gagne. Cela signifie que toutes les institutions s’effondrent. Il y aura nécessairement une période de transition au cours de laquelle il lui faudra regagner une légitimité dans le cadre de cette nouvelle Constitution. Quel est le génie politique qui pourrait le faire passer d’une Constitution d’où il a tiré sa légitimité vers une autre légitimité tirée d’une nouvelle Constitution, tout en gardant un consensus politique ? Je n’y crois pas. D’où une période de troubles. Les Congolais ne sont pas aussi résignés qu’on le crois.
Deuxième hypothèse : le peuple met en déroute le processus conduisant au référendum. Par conséquent, le président doit démissionner puisqu’il aura engagé sa responsabilité. Il faut ensuite environ quatre-vingt-dix jours pour organiser les élections, ce qui ne sera pas possible. Il faut donc négocier une période de transition.

Trois cas perdants

Dernière hypothèse, le peuple s’enflamme et chasse le président. Ceux qui arrivent s’appuient sur la Constitution pour négocier le tournant politique. Comme au Burkina, on peut opter pour une charte…
Dans tous les cas, le Congo aura perdu sa crédibilité sur tous les plans : interne et international. On n’a pas besoin d’un tel recul.

Pensez-vous que le président Sassou Nguesso tienne un tel raisonnement ?

Oui, car il aime la prospective. J’ai beaucoup travaillé avec lui, il réfléchit beaucoup sur l’évolution du monde. La dernière fois qu’on s’est entretenus, c’était à propos des printemps arabes. Il en a tiré un certain nombre de conclusions. Je pense qu’il finira
par prendre la bonne décision, malgré le poids de ceux qui, enfermés dans une vision clanique du pouvoir, réussissent momentanément à désorienter les esprits fragiles, y compris sur des bases ethniques.

S’il s’orientait plutôt vers l’une de vos trois hypo- thèses, cela signifierait-il votre départ du PCT ?

Ma position est simple : ce sera une rupture stratégique. Nous aurons poussé jusqu’au bout le débat de la refondation et de la modernisation du parti, pour faire le constat de l’échec. Le parti, par une pirouette dont il a le secret, nous aura embarqués dans l’aventure inutile d’un coup d’État constitutionnel. Si par extraordinaire le président décidait d’aller au référendum, je serai de ceux qui diront non, c’est juridiquement illégal et politiquement irrationnel. Dès lors, ma présence au sein du PCT ne se justifiera plus.

S’il s’orientait plutôt vers l’une de vos trois hypothèses, cela signifierait-il votre départ du PCT ?

Ma position est simple : ce sera une rupture stratégique Ma position est simple : ce sera une rupture stratégique. Nous aurons poussé jusqu’au bout le débat de la refondation et de la modernisation du parti, pour faire le constat de l’échec. Le parti, par une pirouette dont il a le secret, nous aura embarqués dans l’aventure inutile d’un coup d’État constitutionnel. Si par extraordinaire le président décidait d’aller au référendum, je serai de ceux qui diront non, c’est juridiquement illégal et politiquement irrationnel. Dès lors, ma présence au sein du PCT ne se justifiera plus.

Pourquoi un référendum serait-il illégal ?

Parce que la Constitution du 20 janvier 2002 ne prévoit pas de dispositions relatives au référendum d’initiative populaire. En revanche, sur un certain nombre de questions précises concernant l’organisation des pouvoirs publics et les accords internationaux, il y a un article qui donne au président et au Parlement la possibilité d’aller au référendum. L’article 185 prévoit les matières exclues de toute révision constitutionnelle, notamment le nombre de mandats, les droits et les devoirs des citoyens et le caractère laïque de l’État. Tout cela, on ne peut pas y toucher.

Comment se fait-il, dans ces conditions, qu’il y ait débat ?

La question de la conservation du pouvoir est l’intrigue majeure de cette nébuleuse constitutionnelle. Le fameux article 57 de la Constitution [une seule réélection possible, ndlr] est frappé par la clause de fermeture, exactement comme au Niger. C’est pour cette raison que ce pays avait décidé de changer la Constitution plutôt que de la modifier. Sincèrement, je ne vois pas comment le président Denis Sassou Nguesso, qui a été deux fois président de l’Union africaine, pourrait se retrouver dans un tel contexte de conflit interne. Il est médiateur en Centrafrique, dans les Grands Lacs… La charte de l’Union africaine a été toilettée à Brazzaville et adoptée sous sa présidence, or on y stipule clairement qu’on ne doit pas tripatouiller les Constitutions pour accéder ou conser- ver le pouvoir. À plus forte raison, si l’on veut changer les instruments relatifs à l’alternance politique.

C’est parfois difficile de quitter le pouvoir…

Le problème n’est pas là. Il faut se projeter dans l’avenir. Je pense que le président est un homme d’expérience et de destin. Dans le contexte actuel, je suis certain que, quittant le pouvoir honorablement, il sera sollicité partout où il y aura des besoins. Il faut savoir quitter les choses avant que celles-ci ne vous quittent. Qui vous prévient vous aime, dit-on. Qui vous pousse au chaos vous trahit. Il faut absolument dédra- matiser le pouvoir pour en percevoir la grandeur et la beauté. Le président Sassou Nguesso ne le sait que trop.

Un nouveau Mandela…

En tout cas, je préfère l’inscrire dans le sillage de Mandela plutôt qu’à l’image de Robert Mugabe. Mieux il aura négocié sa sortie, moins il sera rattrapé par des erreurs de gouvernance inévitables lorsqu’on est aux affaires, et mieux il instruira son successeur dûment mandaté par le peuple sur ce qu’il ne faut pas faire ! Nous ne sommes que des humains, c’est-à-dire des mortels. Ne pas le comprendre est une stupidité qui ne réussit qu’à ceux qui se prennent pour Dieu.

◗ Jeune génération

Il y aura une recomposition de l’espace public ; celui qui émergera en bénéficiera et devra savoir en tirer profit. Il y a une jeune génération montante. La classe politique doit se renouveler. Nous devons construire une dynamique intellectuelle et politique, une force morale qui transcende les égoïsmes et les ethnocraties. C’est de notre responsabilité d’intellectuels, de sorte que demain, que le meilleur gagne ! Nous sommes à un tournant important. Si nous traversons cette période, le Congo aura atteint sa maturité politique. Il aura gagné sur lui- même son pari avec l’avenir !

Comment expliquer au public« l’imposture de l’ethnocentrisme » (3) ? Le titre de votre livre implique que ce n’est pas une ten- dance réelle, mais une manipulation politique…

C’est ma conviction. Le Congo n’a pas connu, à travers son histoire, de conflits séculaires de nature à obstruer indéfiniment l’avenir, en désarticulant durablement les trajectoires historiques, les spécificités culturelles et les valeurs universelles qui doivent cimen- ter une communauté de destin. Toute la prégnance ethnique du jeu politique est une fabrication des élites à court d’imagination et d’ambition. Ce n’est pas un héritage indépassable. Autrefois, il y avait des alliances impossibles entre certains clans, mais c’était sur des espaces très restreints. Aujourd’hui le métissage ethnique et culturel est un « air de famille » que respire le gré l’existence d’un remarquable fac- teur linguistique d’intégration natio- nale. La pauvreté aidant, le jeu politique est ramené à des luttes de clans sans projet politique. Espérons fortement qu’une certaine élite se démarque par la force du destin et impose un tournant vers la modernité.

Le Congo transcende-t-il cela ?

Il peut le transcender, en tout cas. C’est le devoir de l’élite. Il vaut mieux élire un notable qui habite sur place, qui connaît la population et ses soucis, même s’il appartient à une autre ethnie, plutôt que d’aller chercher un enfant du terroir installé depuis des années ailleurs. D’ailleurs, personne ne veut que l’on restaure les chefferies et les royaumes : les gens veulent des emplois, des écoles, des hôpitaux, des bourses d’études pour leurs jeunes, etc. C’est un appel chaque fois renouvelé à la modernité !

S’il part, qui pourrait lui succéder ?

Il y aura inévitablement quelqu’un, pourvu que les règles du jeu soient consensuelles et que la culture démocratique fasse le reste. Des talents et des intelligences foisonnent dans ce pays. Les hommes de caractère, compétents et libres ne manquent pas.

Jeune génération

Il y aura une recomposition de l’espace public ; celui qui émergera en bénéficiera et devra savoir en tirer profit. Il y a une jeune génération montante. La classe politique doit se renouveler. Nous devons construire une dynamique intellectuelle et poli- tique, une force morale qui transcende les égoïsmes et les ethnocraties. C’est de notre responsabilité d’intellectuels, de sorte que demain, que le meilleur gagne ! Nous sommes à un tournant important. Si nous traversons cette période, le Congo aura atteint sa maturité politique. Il aura gagné sur lui- même son pari avec l’avenir !

Comment expliquer au public « l’imposture de l’ethnocentrisme » (3) ? Le titre de votre livre implique que ce n’est pas une tendance réelle, mais une manipulation politique…

C’est ma conviction. Le Congo n’a pas connu, à travers son histoire, de conflits séculaires de nature à obstruer indéfiniment l’avenir, en désarticulant durablement les trajectoires histo- riques, les spécificités culturelles et les valeurs universelles qui doivent cimen- ter une communauté de destin. Toute la prégnance ethnique du jeu politique est une fabrication des élites à court d’imagination et d’ambition. Ce n’est pas un héritage indépassable. Autre- fois, il y avait des alliances impossibles entre certains clans, mais c’était sur des espaces très restreints. Aujourd’hui le métissage ethnique et culturel est un « air de famille » que respire le Congo. On peut donc espérer.

C’est le cas en Centrafrique, un voisin…

Le taux d’analphabétisme, l’intolérance religieuse et l’irresponsabilité citoyenne des cadres sont tels que la population centrafricaine est traversée par une sorte de nullité identitaire, malgré l’existence d’un remarquable facteur linguistique d’intégration nationale. La pauvreté aidant, le jeu poli- tique est ramené à des luttes de clans sans projet politique. Espérons forte- ment qu’une certaine élite se démarque par la force du destin et impose un tournant vers la modernité.

Le Congo transcende-t-il cela ?

Il peut le transcender, en tout cas. C’est le devoir de l’élite. Il vaut mieux élire un notable qui habite sur place, qui connaît la population et ses soucis, même s’il appartient à une autre eth- nie, plutôt que d’aller chercher un enfant du terroir installé depuis des années ailleurs. D’ailleurs, personne ne veut que l’on restaure les chefferies et les royaumes : les gens veulent des emplois, des écoles, des hôpitaux, des bourses d’études pour leurs jeunes, etc. C’est un appel chaque fois renouvelé à la modernité !

L’épisode de la guerre civile est clos ?

Si nous ne gérons pas bien la période qui s’annonce, un recul en arrière n’est pas impossible. On peut avoir des problèmes, mais peut-être pas comme en 1997. Je crois qu’il y aura un autre type de discours et de réflexe qui l’emportera sur le scepticisme ambiant. Je suis optimiste quant à notre capacité à dépasser l’incertitude politique et le soupçon de modernité dans lequel baigne le pays, pour négocier à haute échelle les défis d’humanité qu’impose la temporalité. Le Congo est à la croisée des chemins. Denis Sassou Nguesso est un homme seul face à son peuple, un président seul face à la République, un mythe seul face l’Histoire, une légende seule face à l’avenir. À lui de savoir et savoir faire. Sa sortie intelli- gemment négociée est une promesse à tenir, qui fait signe à la capacité des Congolaises et des Congolais à se pro- jeter dans un avenir épanoui.

Propos recueillis par Valérie Thorin

◗ (1) Éditions Hémar, 149 p.

(2) Le 4 mars 2012, une série d’explosions dans un dépôt de munitions du quartier Mpila à Brazzaville faisaient près de 300 morts.

(3) L’imposture ethnocentriste, Plaidoyer pour une argumentation éthique du politique, Éditions Hémar 2014, 117 pages.

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