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Quelque vérité sur la crise en République Centrafricaine

Le débat auquel ont participé Me Michel Langa de l’Association des Amis de la République Centrafricaine (ARC), Jean-Pierre Mara, député centrafricain, Thierry Vircoulon chercheur à l’IFRI, Jean-Pierre Letoquart, médecin chirurgien de MSF, sur France 24 (25 octobre 2017) fait partie des rares moments où la réflexion voit le jour autour de l’épineuse question centrafricaine. Depuis le début de la crise, toutes les solutions envisagées en RCA ( Sangaris, Minusca, Casques Bleus, Forces africaines d’interposition ) ont fait long feu. Tout se passe comme si l’intérêt que ce pays se stabilise était inférieur à l’intérêt qu’il sombre dans le chao.

En cette fin du mois d’octobre 2017, pour avoir consacré sa première mission en RCA rien ne dit que le nouveau Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, changera quelque chose à la tragédie centrafricaine.

Les quatre intervenants sur le plateau n’ont pas eu de mots assez clairs pour énoncer une vérité, à savoir que depuis la chute de Bedel Bokassa, la RCA est un éternel recommencement d’erreurs commises. Des chefs de guerre agissant au nez et à la barbe d’un pouvoir démocratiquement élu (en effet, malgré l’arrivée d’un Président démocratiquement élu, quatorze préfectures sur seize sont hors de contrôle de l’Etat central ) ; des populations pauvres assises sur des mines de diamant. Voilà l’état de l’Etat centrafricain en 2017. Un pays paradoxal.

La RCA n’est pas le Liban...

Que faire ? Le diagnostic est d’autant moins évident à établir qu’on a du mal à identifier la racine du mal. Et puis, il y a la fausseté des grilles d’analyse. L’une des erreurs d’interprétation a été de poser la crise centrafricaine comme une opposition mystique des religions ; d’un côté des chrétiens, couteaux entre les dents (Antibalaka), de l’autre des musulmans résolus à en découdre (Séléka). Comme au Liban. Cette analyse est par trop réductrice. Comment expliquer, par exemple, que des musulmans pourchassés à Bangassou par des chrétiens trouvent refuge dans les églises ? On oublie que dans ces sociétés bantoues l’animisme est surdéterminante, que christianisme et islam agissent comme épiphénomène. On oublie souvent que ces populations sont imbues de solidarité dans leurs profondeurs depuis des millénaires.

... ni le Rwanda

Une autre erreur a été de considérer le drame centrafricain comme un conflit interethnique. Comme au Ruanda. Or la RCA est l’un des rares pays d’Afrique subsaharienne qui peut se vanter d’avoir réalisé son unité linguistique autour d’une langue commune : le sango. Chrétiens, musulmans, animistes pratiquent la même langue.

En revanche, selon Me Michel Langa et l’honorable Jean-Pierre Mara, une thèse vérifiée sur le terrain est que l’activisme des milices coïncide avec la carte minière de la RCA. Le sang coule plus là où circulent les trafiquants de diamant. On est loin de la structure religieuse du conflit.
Par conséquent, sans réseau administratif, sans écoles, sans hôpitaux et sans armée républicaine, le risque de plonger la RCA dans une guerre de cent ans est majeur. Ici, les générations futures sont à jamais sacrifiées.

Déloger ou dialoguer ?

Que faire ? Négocier ou frapper ceux qui frappent de plein fouet les Institutions légitimes ? Dialoguer avec les chefs rebelles ou les déloger de leur espèce de micro-états. Si Me Michel Langa, homme politique indépendant, est partisan de la négociation, le député Jean-Pierre Mara, pour sa part, ne semble pas défavorable à la méthode forte visant au respect de l’autorité de l’Etat. L’actuel Président, Faustin Archange Touadéra, légalement élu, ne doit pas tolérer que les différents chefs de guerre agitent le drapeau de l’anarchie sous son nez. L’honorable Jean-Pierre Mara n’a pas tort de préconiser la force pour faire entendre la loi. mais, pour sa part, Me Michel Langa a également beau jeu de souligner les échecs de la manière forte chaque fois qu’elle est menée en RCA. Souvenons-nous du fiasco de l’opération française Sangari, rappelons-nous les dérives éthiques de certains contingents africains en poste à Bangui.

Non seulement, les différents groupes armés qui contrôlent la jeune démocratie centrafricaine ne sont pas prêts de lâcher du lest tant le gâteau est juteux, en plus, la crise en RCA est structurelle et régionale. Un voisin du sud jette l’huile sur le feu avec un rare cynisme.« Dans le secteur industriel (congolais), une exception demeure : la MACC, l’unité de production de cartouches qui alimente le conflit centrafricain en fournissant toutes les parties rivales. » (Olivier Mouebara in www.congo-liberty.com 2 novembre 2017). Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Le chao en RCA arrange les affaires d’un Sassou en fin de règne qui doit se dire : « après-moi le déluge. »

Frappés par la crise financière, non seulement la plupart des Etats de la CEMAC sont des petites RCA en sursis mais en plus ils boivent du petit lait quand ça brûle dans l’enclave centrafricaine. Avec les mines de diamants en RCA, les puits de pétrole au Congo, au Gabon au Cameroun et au Tchad, rien ne ressemble plus à la RCA qu’un autre pays de la CEMAC. Endetté jusqu’au cou et en rupture de stock de cash, avec une rébellion dans sa partie sud, le Congo de Sassou devra bientôt gérer une crise sans précédent au lieu de se mêler de ce qui ne le regarde pas à Bangui.

Enfin dernière vérité : pour avoir réussi sa transition démocratique avec Samba Pandza, la RCA est l’exception qui confirme la règle. La règle étant qu’aucun pays ne peut construire la paix sur la base du mensonge et de la triche électorale.

Thierry Oko

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