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Roman congolais : "Sur les ailes du temps" de B. Tchibaméléla

« Sur les ailes du temps » (1) de B. Tchibaméléla : une enfance congolaise au bout de la plume.

Ecrit à un moment où l’auteur se retrouve loin de son pays natal, ce roman qui tire son sujet dans le réalisme primaire congolais, apparait comme un véritable récit autobiographique car utilisant la narration homodiégétique. C’est un roman de l’enfance des Congolais des années 40-50 qui se révèle ici avec l’odeur de Brazzaville et du Pool environnant dans une réalité kongo qui traverse le récit du début à la fin. Et des souvenirs qui accentuent l’univers des Congolais de ces années précitées tant les émotions que dégage le narrateur de ce récit sont fortes.

« Sur les ailes du temps » est l’histoire d’un jeune Congolais marqué par la période coloniale dans laquelle se dilue une partie de sa scolarité primaire. Une enfance qui construit un pont entre le village de sa mère et la ville avec son père au service du colon. Ce dernier n’a pas eu l’occasion d’aller à l’école qu’il impose à son enfant. Dès son enfance, celui-ci connait l’école indigène avec l’interdiction de parler la langue maternelle sous peine de tomber dans le piège du désagréable « symbole ». Et ce récit plein de rebondissements de l’époque avec l’évocation du stade Yougos de Bacongo et des équipes comme La Macumba, La Squadra Azura et Dragons Noirs, des films tels Fû Manchu, Aigle blanc, Superman, nous conte la beauté de la jeunesse de Brazzaville des années 50-60.

L’ombre maternelle

L’enfance scolaire du héros narrateur est marquée par les vacances qu’il passe au village avec sa mère qu’il accompagne dans les travaux champêtres. Et avec elle, il apprend beaucoup sur les techniques agricoles traditionnelles : « (…) le nouveau relief favorise la pénétration et le développement des racines des plantes. La perte en fertilité diminue et la quantité d’énergie d’eau augmente considérablement » (p.41). Toujours avec sa mère, il découvre une multitude de techniques de culture comme celle du brûlis. Et les travaux champêtres lui révèlent une « pédagogie agricole » qui va marquer sa vie. Et, derrière l’ombre maternelle, se dégage celui de l’oncle maternel qui vit au village, un malafoutier qu’il accompagne souvent en forêt pour la récolte du vin de palme. Un homme érudit dont il tire une grande éducation à travers les contes qu’il dit aux jeunes du village. Pour le héros, les contes apparaissent comme une grande école de la vie car initiatiques et didactiques : « L’homme était très futé, très érudit. On le sentait quand il disait les contes. Jamais il ne s’en laissait accroire même par les hommes de la ville plus rusés que lui » (p.67). Aux côtés de la mère et de l’oncle, il découvre la nature et le bestiaire qui l’accompagnent tout au long de son séjour dans le village de Mabaya.

Brazzaville ou la présence perpétuelle du père

La véritable image du père apparait quand le héros l’assiste à la mort de son cousin Miyouna au village. Et malgré le travail du nganga-guérisseur, l’irréparable sera là. Du point de vue du scriptural, « l’histoire » de Miyouna ainsi que le voyage qu’effectue le héros avec son père pour se rendre au village et la mort par accident de MBaki se lit comme une mise en abyme d’une partie du premier roman de l’auteur, « La bouche de la lettre » publié en 2005. C’est à Brazzaville que le héros découvre réellement la personnalité de son père. A la veille de la « Bonne Année », son père les emmène, ses sœurs et lui chez son patron, un certain Giraud. Pendant la soirée, le Blanc fait l’apologie de « sa » France que découvrent les enfants à travers le discours de Giraud, arrosé par l’alcool qu’il boit sans retenue. C’est à cette soirée que le jeune garçon réalise la promotion de son père au niveau du travail. Et Mampouya entre chez lui à Bacongo avec ses trois enfants conduits par le chauffeur de son patron. L’enfant comprend que son père est différent de ses amis. Aussi le lendemain, la fête se poursuit à leur domicile quand ce dernier reçoit plusieurs invités accompagnés de leurs épouses. Il offre un festin de brochettes et l’alcool que lui avait offert son patron.

La présence du père pour le héros, c’est aussi la découverte d’une partie de l’histoire coloniale sur fond de la guerre mondiale 39-40 que retrace l’ancien combattant Du Guesclin sous l’effet de l’alcool.

Superposition auteur/narrateur dans « Sur les ailes du temps », le premier récit atypique de l’enfance congolaise sous la colonisation

L’enfance du héros dans ce roman épouse les réalités congolaises sur le plan historico-géographiques et même sociologiques de l’époque coloniale. On remarque le langagier du héros-narrateur dont l’essentiel est puisé dans la réalité kongo. Déjà cette réalité se reflète dans l’univers des personnages ayant existé et qui existeraient encore : « Mon père avait invité ses amis, Ta Bouendé, Ta Nganga, Ta Zoba, Ta Niamankessi, Ta Milandou (…) Amboulou, papa Olangué, Ta Gabou… » (p.111). A cette génération paternelle, se rattache la sienne qui représente son âge, son enfance comme on peut le remarquer à travers quelques uns de ses souvenirs : « Je me rendais à la piscine de Moungali avec mon neveu Benoît Ntari et des amis comme séraphin Mianfoutila, Didier Golingo, Jean Michel Bouono, Rojas Moukana, Placide Eléka » (p.139). Et tous ces souvenirs baignent dans le Brazzaville colonial avec son « centre ville » où la géographie des bâtiments occupe une place prépondérante. Et le Brazzavillois des années 40 et 50 peut se mirer dans ce récit tout en rencontrant une partie de son moi juvénile : « Juste après le palais derrière le magasin Kitoko se trouvait le terrain municipal de tennis (…). Je poursuivais une promenade et léchais les vitrines des magasins : le magasin Kitoko ; le Monoprix, les Frères Marquès, le Presto … » (pp. 133-134).

« Sur les ailes du temps » : un récit style parfum colonial

Des romans qui retracent les souvenirs de l’époque coloniale, le récit de Tchibambéléla semble être le plus prolixe par la recherche au niveau du langagier où la syntaxe du français classique se voit à certains moments bousculé pat les tropicalités du « français enfantin » de l’époque : « Il fit « olec » ou « bitchangui » (…) Kaya lui appliqua le « double pattes » (p.39), « Les commissaires Nzingoula et Matingou escortés par leur horde de policiers firent la ronde » (p.40), « j’ai appris de François Mpélé ce que nous appelions la comptesse, c’est-à-dire le rebond de la balle sur le pied, chaque rebond était compté » (p.42), « (…) [papa] s’inondait du parfum « Plum Plum » et se saupoudra de « Joli Soir » (p.83) (…) Tata Zoba s’avançait en fermant la braguette de son pantalon tralala » (p.119). Et des congolismes ainsi que certains mots kongos (mpoungou nvouaza, mbongui, moutête, n’songui, nzô za noungou…) traversent parfois le texte pour révéler les réalités du terroir et de la période coloniale dont certains ont disparu avec l’indépendance. « Sur les ailes du temps », un récit autobiographique où le narrateur dilué dans l’auteur et où la dimension fictionnelle s’effrite au fur et à mesure que se découvrent les réalités du Brazzaville colonial.

Et s’il y a un roman dans lequel on peut lire une partie réelle de la jeunesse des Congolais des années 40 et 50, c’est cet « itinéraire d’une enfance africaine » de Tchibambéléla. Un texte où l’auteur utilise un style limpide qui nous rappelle les classiques étudiés à cette époque sur fond d’une théâtralisation de quelques personnages tels Giraud, Du Guesclin et Nkéoua Dia Loufoulamba.

Noël KODIA (essayiste et critique littéraire)

Note

(1) B. Tchibambéléla « Sur les ailes du temps : itinéraire d’une enfance africaine », Ed. Paari, Brazzaville/Paris, 2009, 139p.

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