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Salon du Livre, Porte de Versailles - Ecrivains congolais : de la visible invisibilité de la culture et des Lettres congolaises

(Article déjà paru chez AFRIK.COM.  )

Dans le cadre du cinquantenaire des indépendances en Afrique, le Salon du Livre -Porte de Versailles à Paris- (du 26 au 31 mars) a fait une grande place aux écrivains africains, dont ceux du Bassin du Congo. Samedi 27 mars, les écrivains congolais y étaient à l’honneur. D’Henri Lopes à Henri Djombo en passant par Charles Zacharie Bowao, Jean Claude Gakosso, Wilfied NSondé, etc, tous se sont livrés à une séance de dédicaces. Mais, au-delà de ce prestige d’un jour, combien y a-t-il d’écrivains visibles originaires du Congo ? Contrairement aux années 1970-1980, il semble qu’ils se comptent sur les doigts d’une main.

Pour la postérité, il y a eu une absence regrettable, celle de Télécongo. La chaîne nationale aurait dû demander une accréditation et dépêcher une équipe pour immortaliser ce moment unique. Rien de tout cela. Sans doute le patron de la chaîne, Jean Obambi, a-t-il estimé que, une fois dans Paris, les journalistes-présentatrices se seraient évaporées. Et pour cause : tout le monde, pour paraphraser Baudelaire, veut fuir le spleen de Brazzaville. Sans Les Dépêches de Brazzaville, le vide médiatique sur l’événement aurait été total.

Ce samedi 27 mars, donc, c’était la journée des dédicaces pour les auteurs et écrivains congolais – un moment sublime où le narcissisme des écrivains, quels qu’ils soient, est flatté par leurs lecteurs. Le stand qui leur était alloué, 135 mètres carrés, a vu défiler des centaines de visiteurs, une affluence qui venge l’humiliation du Congo de n’avoir pas été présent, voici un mois, au dernier salon de l’agri… culture, au même endroit, Porte de Versailles. Cependant, en dépit de la présence d’écrivains congolais au salon, les Congolais de France, fâchés avec la lecture à l’image des nationaux, étaient aux abonnés absents. Ils ont eu tort : le ministre/philosophe Charles Zacharie Bowao a présenté son dernier Essai, La tolérance, un exposé pertinent qui tombe à point nommé dans un pays devenu de plus en plus violent et intolérant. Le ministre/romancier Henri Djombo transpirait. C’est qu’il n’en finissait pas de dédicacer ses quatre romans, parmi lesquels figure Sur la braise, récemment adapté au théâtre. Entre ces deux ministres, la chaise réservée à leur collègue Jean Claude Gakosso, était vide de son précieux destinataire. Ce dernier, debout, bavardait ici et là, faute de sollicitations de dédicaces : Brûleurs d’ombres n’attire personne.

Puis c’est au tour de Wilfried NSondé, d’Henri Lopes et de Jean Blaise Bilombo Samba, de se livrer aux dédicaces. Un monde fou se pressait vers les deux premières plumes. Jean Blaise Bilombo Samba, lui, s’ennuyait : aucun visiteur ne faisait attention à son auguste personne. Et le pire était à venir. Aux questions : « Pourquoi les lettres congolaises sont-elles en panne ? Y a-t-il encore des écrivains au Congo ? », Jean Blaise Bilombo Samba proteste, ou plutôt rugit : « Vous êtes inculte, monsieur ! Un écrivain, c’est celui qui écrit des livres. C’est ça la seule et l’unique définition du mot "écrivain. » La théorie de Bilombo suscite chez Henri Lopes un petit sourire. Jean Blaise Bilombo Samba semble se contenter d’une définition étriquée du mot "écrivain". Que dire du président de la République Denis Sassou Nguesso qui a lui aussi écrit des livres ? Est-il écrivain ? En fait, Jean Blaise Bilombo, ce fanfaron fantasque, oublie qu’il ne suffit pas de traverser plusieurs « déserts » (métaphore bachelardienne de la feuille blanche) ou de publier des bricoles, comme il l’a fait, sans autres lecteurs que lui-même, pour être écrivain. Encore faut-il faire de l’écriture une vocation. Pour un écrivain, chaque instant est un moment d’écriture, de mariage des mots ; chaque instant est un dépassement de soi. "Un écrivain, ce sont des histoires et une manière ; ou des histoires mariées à une quête de style. Evidemment, c’est un travail de tout instant", estime Laurence Reux, écrivain qui émet d’ailleurs des regrets : "Je lis beaucoup d’auteurs et écrivains congolais, je dois dire que le compte n’y est plus." A vrai dire, il y a plus d’auteurs que d’écrivains au Congo. Tchicaya U’Tamsi et Soni Labou Tansi ont emporté avec eux les clés de la visibilité des Lettres congolaises. Par année, il y a un, deux, trois livres de qualité. Le reste, très souvent, n’est que poursuite du vent. Des livres qui résonnent tels les bêlements de la guitare de Roga-Roga. Toutefois, il faut reconnaître que la page blanche est un "désert difficile à traverser", pour citer Gaston Bachelard.

D’aucuns pointent du doigt le manque d’éditeurs et de diffuseurs. Peut-être. Mais le Congo dispose d’une maison d’édition, Hémar, et nombre de ses publications, quoique mal diffusées, sont excellentes. Les maisons d’édition africaines sont multiples à Paris ou ailleurs. Ce ne sont pas les éditeurs, c’est la qualité qui pose problème à la littérature congolaise. Les romans et la poésie en sont les premières victimes. La chute dans le néant a commencé à partir des années 1990...

Un pays mal aimé

1992, c’est l’année qui a vu arriver à la tête de l’Etat le professeur qui a le plus fait de tort à l’école et la culture : Pascal Lissouba. Il a plus dispensé des cours sur la laideur que sur la beauté. Pour information, le professeur/président a écrit un livre imbuvable, Les fruits de la passion partagée (et chaotique, serait-on tenté d’ajouter) ; un livre qui, à certains endroits, rappelle les couplets de L’enfant noir de Camara Laye et de La gloire de mon père de Marcel Pagnol... D’un ego urticant, portant haut l’étendard du narcissisme, Pascal Lissouba a tracé le chemin du déclin culturel inéluctable, qu’a ensuite emprunté son successeur, par le biais du ministre de la Culture et des Arts Jean Claude Gakosso. En effet, ce dernier, hagard au salon du livre, comme un mythe errant, paraît avoir réussi le coup d’état permanent (Mitterrand) contre la culture congolaise dont il fait tomber le « chapô » de l’esthétique vers les abîmes de l’impensée discursive. Plus féru de festivals sans intérêt (Fespam, Feux de Brazza, etc., le tout dans un stade moyenâgeux), son Excellence, Gakosso, ne dispose pas de vrais projets culturels : pas la moindre salle de cinéma ou de théâtre, à son actif. Pas de bibliothèque de quartier non plus... Songe-t-il aux musées ? Il est incapable d’initier, par exemple, des ateliers d’écriture ou de chant dans les écoles, les collèges et lycées. Jean Claude Gakosso ne restera pas dans les annales intellectuelles du Congo. Ses collègues de l’Education Nationale sont encore pires. Inutile de citer leurs noms ici, au risque de verser dans la propagande ou de générer un fleuve lacrymal. L’image des écoliers assis à même le sol pour prendre des cours est insupportable dans un pays qui produit du bois. En vérité, c’est justice que les visiteurs du salon du livre soient restés froids devant Ombres et lumièresde Jean Claude Gakosso. Tant mieux si cette indifférence peuple ses nuits de cauchemars.

Les médias congolais, dans leur ensemble, ne sont pas innocents dans l’hibernation de la culture congolaise. « La plupart d’entre eux n’abordent que la politique. Difficile d’y trouver des rubriques culturelles digne de ce nom », constate Joachim Boudzoumou, professeur de français dans un lycée brazzavillois, de passage au salon du livre. Et de se demander : "Dans ce cas, comment voulez-vous promouvoir la culture congolaise à travers une presse inintelligente ? » Il n’existe pas au Congo des magazines du genre Lire, Les inkoruptibles, etc. En revanche, la corruption des mœurs, l’arrogance, l’insulte, l’intolérance, dirait une concierge, « ça y va fort ! »

Le Congo est un pays mal aimé des Belles-Lettres. Les hommes politiques qui n’ont rien compris à la politique, ces journalistes qui ne savent pas quoi faire du journalisme, ces écrivains qui n’écrivent pas mais qui gribouillent, se sont amarrés à un Titanic culturel, du moins à un amateurisme mature. Les Lettres congolaises sombrent. Ô combien de marins, combien de capitaines sont partis à jamais, emportés par le typhon de la médiocrité nationale… Aussi paradoxal que cela paraisse, sous Sassou 1, la culture congolaise était prolifique et de qualité ; le Congo était scolarisé à cent pour cent. Sous Sassou 2, 3, 4, la culture congolaise patauge dans un paléolithique normatif. Triste Congo !

Bedel Baouna

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