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Le Théâtre de Guy Menga

Une Thèse sur Guy Menga

L’imagination romanesque chez Guy Menga

Guy Menga a hésité entre le politique et le savant dans la construction de son oeuvre. Son théâtre et son roman semblent, au bout du compte un excellent compromis des deux partis-pris.

Le théâtre et le roman de Guy Menga ont fait l’objet d’une thèse universitaire soutenue ce samedi 27 mars 2004 à la Faculté des Lettres de l’Université de Nice Sophia/Antipolis.

Guy Menga sur scène, 2è de droite à gauche

L’enracinement de l’œuvre de Guy Menga marque-t-il les limites de créativité de l’auteur Congolais ? C’est la question à laquelle a tâché de répondre Victor Béri qui s’est penché sur une oeuvre enfantée entre 1967 et 1991, résultat de trente ans de gestation/production.
La construction narrative menguienne s’est faite autour des figures symboliques du gaullisme et du matsouanisme, deux dimensions qui renvoient au thème de la lutte contre l’ordre établi et du syncrétisme religieux lié au messianisme noir. En témoigne notamment le travail de récupération effectué par les adeptes d’André Matsoua au Congo-Brazzaville et de Simon Kibangou au Congo-Léopoldville, tous fascinés par une identification d’une force noire à celle du Christ des Evangiles chrétiennes.

De Gaulle, une figure syncrétique du matsouanisme

C’est ainsi que, dans l’iconographie de cette religion messianique, la "Croix de Lorraine" fusionne avec la figure d’André Grenard Matsoua dont la liturgie considère que le leader de l’Amicale n’est pas mort ; lui et De Gaulle sont en France en attendant qu’il (Matsoua) revienne libérer son peuple. L’imaginaire romanesque menguien mobilise entre autres thématiques « Les 3 Francs », un impôt de capitation qui rendra furieux Matsoua. Le leader congolais appela les Laris de ne pas s’en acquitter. Une autre catégorie thématique, la palabre, à laquelle l’auteur adjoint l’épithète « stérile », fonctionne dans le système narratif méguien comme élément ironique pour railler une représentation politique du pouvoir marxiste dont on cherchera en vain, en trente ans d’activisme, les résultats concrets dans la vie des individus et des peuples. La stérilité qualifie, par métaphore, l’improductivité des discours idéologiques reçus au Congo-Brazzaville durant des décennies alors qu’aucun indice économique ne marque l’environnement industriel.
La catégorie thématique du fétichisme de Menga fonctionne dans son théâtre (La marmite de koka Mbala) et donne lieu à une série de remises en cause et de contestations non seulement des « garants métaphysiques » rétrogrades (la mise à mort notamment de l’auteur d’une agression magique, le ndoki) mais aussi de l’ordre politique lorsque notamment les sujets du roi de Koka Mbala défient sa parole avec, en arrière-fond, une stratégie putschiste de prise du pouvoir pour être « Calife à la place du Calife ».

Prémonition ou non (c’est nous qui soulignons) la Conférence Nationale (1991) illustre au Congo-Brazzaville cette prise d’assaut du pouvoir politique par le verbe public. La permanence au 21è siècle des procès à charge contre la sorcellerie (avec mise à mort) sera rappelée au cours de cette soutenance par un membre du jury dont la mémoire est encore hantée par le supplice du pneu auquel a droit le présumé coupable en sorcellerie, en milieu urbain.

André Matsoua Grenard

Le travail de la tradition dans cette œuvre a conduit Victor Béri à faire l’hypothèse que le contexte politique marxisant des années 68/90 détermine la créativité de Guy Menga. L’auteur puise dans la culture ancestrale pour signifier sa rupture avec l’ordre des choses politique. Partisan du socialisme bantou (frère ennemi du socialisme scientifique), l’hostilité de l’auteur vis à vis de l’idéologie communiste incarnée par les marxistes « tropicaux » (l’expression est de Sony Labou Tansi) l’aurait incité à tourner le dos à l’utopie (u-topos). Critique : De ce fait dans sa méthodologie de l’écriture, Guy Menga aurait été incapable de dépassement, de rupture, (dixit Abel Kouvouama) se cantonnant à un statut de porte-parole du peuple au lieu d’être le sujet pensant kantien, capable de produire une œuvre romanesque au sens pur de la fiction.

Cette rupture épistémologique a pu être opérée par Sony Labou Tansi, qui, dans "La vie et demi" se positionne comme auteur de fiction, prenant ses distances avec le statut de porte-parole du peuple et, s’incarnant dans le "sujet pensant" kantien (ou "l’intellectuel sans attache" d’Antonio Gramsci) en se projetant dans l’utopie sans négliger un enracinement dans le passé. Tati Loutard, par exemple, s’en tire sans trop de dégâts dans le refus de faire fusion entre le savant et le politique dans son œuvre. S’en sort également à merveille Henri Lopes dans cette question de dédoublement du "savant et du politique" au sens weberien. Reste que Sony Labou Tansi essuie un échec quand il s’emploie à faire de la politique (il sera député MCDDI de Bernard Kolélas). Serait-ce également le cas de Guy Menga lorsqu’il devient ministre de la communication sous le gouvernement de la Transition dirigé par André Milongo ? Selon une critique du jury de la thèse, on aurait aimé que l’auteur (Victor Béri) ne négligeât pas, dans son analyse de contenu, l’environnement oral dans lequel s’est structurée l’écriture de Guy Menga, un auteur dont la traduction en français du deuxième nom « Bikouta » n’aurait pas été inutile, ce d’autant plus que le nom de plume, Menga , veut littéralement dire « sang ». Pour la petite anecdote, au cours de la soutenance, plusieurs hypothèses, à la demande d’Arlette Chemain, seront proposées par Victor Béri (homme de théâtre aussi et ami de Guy Menga) sur le sens du nom Bikouta : à en croire Victor Béri, "rassembler" semble être la meilleure explication de ce nom kongo.

Existe-t-il un éventuel comparatisme intra-africain et inter-congolais quand on regarde l’œuvre de Guy Menga ? Un rapport possible peut être fait avec l’Ivoirien Hamadou Kourouma (Le Soleil des indépendances) et La marmite de Koka Mbala, deux romans contemporains qui convoquent les thèmes de la dénonciation de l’ordre établi, aussi bien l’ordre ancien que moderne. Une autre mise en contextualisation, selon Arlette Chemain, eut été formulable avec l’auteur congolais Létémbé Ambilly dans L’Europe inculpée, où la contestation vise directement le pays colonisateur, la France.

Cela dit, la rupture avec la négritude senghorienne ne saurait être mise en doute dans la stratégie littéraire de Guy Menga en connivence avec la distance que prend, par exemple, son compatriote Tchicaya U Tam’Si.

Structure du jury de soutenance

Le jury était composé de Mme Arlette Chemain Degrange, directrice de thèse, de Jean-Pierre Trifaux, rapporteur et d’Abel Kouvouama (Congolais titulaire de la chaire d’Anthropologie politique à l’Université de Pau), président. Le quatrième membre du jury, absent, s’est contenté d’envoyer un rapport de pré-soutenance.
La salle était comble. Dans l’auditoire on a pu noter la présence de Mme Aurèlie Jullien, née Menga, fille de l’auteur.

Bibliographie non exhaustive

1. Congo, la transition escamotée (1993)

2. Les gens du fleuve Guy Menga ; illustrations de Nathalie Winsberg (3 février 1992)

3. Case de Gaulle (17 avril 1992)

4. Moni-Mambou : Retrouvailles (10 mars 1997)

5. Les aventures de Moni-mambou (1975)

6. L’affaire du Silure (2 décembre 1981)

7. "Nsi, Mbanza" poèmes de Guy Menga écrits en kongo et traduits en français in Nouvelles Congolaises no 021 Sept /Oct 1998 Harmattan

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