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Quand les critiques littéraires ne lisent pas ou font semblant d’avoir lu...

Le moins qu’on puisse dire c’est que Tirthankar Chanda, critique littéraire sur le site MFI de Radio-France Internationale semble un peu dépassé par son propre travail, et cela se ressent par l’interview que je reproduis ci-dessous et que lui a accordée Léonora Miano, Camerounaise, auteure de "L’Intérieur de la nuit" (Editions Plon), considérée par la critique comme une découverte de cette rentrée littéraire.

Le 16 octobre dernier, lors du Salon du livre de l’Outre-mer à Paris, nous avions d’ailleurs eu une table-ronde avec cette auteure, Ernest Pepin, A. Waberi et Suzanne Dracius, table-ronde animée par... Tirthankar Chanda ! Celui-ci donnait l’impression de n’avoir lu personne, poussait les auteurs à parler d’autres choses que de leurs livres au point que la jeune Camerounaise, excédée d’avoir parcouru des centaines de kilomètres - elle vit à Saint-Etienne - pour cette rencontre, a tapé du poing sur la table en public afin de houspiller cette forfaiture notoire."Je ne suis pas venue jusqu’ici pour ne pas parler de mon livre ! Et si on parlait enfin de ce livre, hein ?" fit-elle, laissant l’animateur dans l’embarras total... "Alors, parlez-nous de votre livre !" se contenta de balbutier Tirthankar Chanda, sans doute pris de court par une telle effronterie applaudie par une salle comble...

L’interview ci-dessous sonne ainsi comme un petit cours de rattrapage de notre critique littéraire, puisque durant cette table-ronde les auteurs paraissaient ronfler, tripoter les crottes de nez, se gratter sans discrétion les aisselles, s’échanger les adresses électroniques au vu et au su du public, jouer les promoteurs de leurs livres, écarquiller les yeux de stupéfaction...

Jugeons donc rien que par les questions si vraiment ce critique littéraire a enfin pris le temps de lire le livre de Léonora Miano ou n’a voulu simplement que se racheter :

Un auteur à découvrir
Rencontre avec... Léonora Miano

Eku. Un village des fins fonds d’Afrique, figé dans ses traditions immémoriales. Des miliciens font main basse sur la région et obligent les habitants d’Eku à participer à un rituel barbare et inhumain pour les punir d’avoir trahi leur identité culturelle. D’une manière quasi-clinique, sans exotisme ni sentimentalisme, Léonora Miano analyse la réaction des hommes et femmes représentatifs d’une Afrique engluée dans ses peurs et ses atavismes. Léonora Miano est camerounaise, mais vit en France depuis 1991. Elle livre avec L’intérieur de la nuit un premier roman puissant et sans complaisance. Entretien.

Thithankar Chanda :

Est-ce que "L’intérieur de la nuit" est un roman sur le cannibalisme ?

Léonora Miano :

Non, ce n’est pas un roman sur le cannibalisme, mais un roman où il y a une scène de cannibalisme. Je me suis inspirée d’un reportage à la télé sur les conflits armés qui se déroulent actuellement en Afrique. Dans ce reportage, on voit un jeune soldat expliquer comment des hommes armés ont fait irruption un jour dans son village et l’ont obligé à participer à un rituel morbide pendant lequel lui et d’autres villageois ont été forcés à manger le cadavre de son petit frère tué sous ses yeux. Ces miliciens voulaient ainsi punir les villageois pour avoir oublié les pratiques culturelles et spirituelles de leurs ancêtres. C’est cette histoire que j’ai tenté de raconter dans mon roman. On peut la lire aussi comme une métaphore des dangers du retour forcené aux valeurs ancestrales.

Vous condamnez les soldats qui imposent leur loi aux villageois, mais aussi ces derniers qui acceptent de participer à cette abomination sans réagir.

J’ai voulu comprendre pourquoi ils n’ont pas réagi, pourquoi ils ont accepté de manger la chair d’un enfant qu’ils ont vu naître. Je n’aurais jamais pu faire ça. Les villageois acceptent cette abomination parce qu’ils ont peur, parce qu’en Afrique on ne combat pas le mal : on s’y soumet avec l’espoir de lui survivre.

Votre roman a eu un formidable écho dans la presse française. Est-ce que cela s’explique par la seule qualité de votre écriture ?

Je ne suis pas naïve. Mon éditeur à qui j’ai soumis plusieurs manuscrits, a préféré publier celui-ci en premier. C’est sans doute parce qu’une histoire écrite par une Africaine sur des Africains a quelque chose de sulfureux. Ce n’est pas très grave car s’il y a des lectures littérales de ce roman, il y en aura aussi des lectures intelligentes. Je serais satisfaite même si un seul lecteur réussissait à comprendre que, à travers cette histoire de Noirs qui se mangent entre eux, j’ai voulu attirer l’attention des Africains sur leur responsabilité propre dans ce qui leur arrive. Les malheurs d’Afrique ne viennent pas toujours d’ailleurs.

Vous vivez en France depuis une quinzaine d’années. Est-ce que dans vos prochains romans vous parlerez toujours des malheurs de l’Afrique ?

Pas nécessairement. Que l’on ne nous force pas d’écrire toujours sur les tropiques parce que nous avons la peau noire. Beaucoup d’entre nous vivent en Europe et nous avons tous des choses à raconter sur notre vécu ici. Par ailleurs, les enfants noirs qui grandissent aujourd’hui en France ont besoin de lire des récits avec des personnages qui leur ressemblent. Il est temps de voir émerger une littérature noire en France, comme il y a une littérature noire américaine.

Propos recueillis par Tirthankar Chanda et parus sur le site RFI, rubrique MFI le 28 octobre 2005.

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