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La SAPE, art ou futilité ?

La Sapologie dans tous ses états et dans toutes ses tendances

L’art vestimentaire est devenu une religion pour les "sapeurs" congolais. Les adeptes de la Société des Ambianceurs et des personnes Elégantes (SAPE) et les Sapephiles (ceux qui aiment la sape) ont en fait récemment une démonstration au Mémorial Pierre Savorgnan de Brazza pour honorer la mémoire de l’artiste musicien Rapha Boudzéki, « le Brazzavillois ».

Une journée qui avait débuté par une messe d’action de grâce en Eglise Saint Pierre Claver de Bacongo à Brazzaville. Dans son homélie, l’abbé Anselme Badiabio, aumônier des Forces armées congolaises, nous a livrés ce message : « Notre vie sur terre est un passage. La sape est une étape de la vie mais, il faut passer de la sape extérieure à la sape intérieure. Par la sape, nous cherchons à reconnaître la valeur de Dieu pour saper notre cœur, pour que la beauté ne soit pas extérieure mais surtout intérieure » a-t-il dit. Poursuivant « que la sape est un atout, un tremplin pour l’unité nationale. »

Belles parades

Dans une ambiance époustouflante, aux rythmes de Rapha Boudzéki, les sapeurs, très fashion, allaient et revenaient à pas synchrones en exhibant leurs griffes. L’on a vu et admiré les madiata haut de gamme : La mythique chaussure du cordonnier français, Jean Marc Weston, la double boucle du bottier britannique John Lobster, la paire de chaussures derby de l’Italien Berlutti, les lunettes de Giorgio Armani, les chaussettes à fil d’Ecosse.

D’autres arboraient les dernières collections des costumes Dufursac, Angelo Pontelli, Ted Perkings, Marcel Lassans etc. Ils s’immobilisaient sur l’esplanade, aspirant des bouffées de fumée d’une pipe ou d’un gros Havane.

La sape, c’est le culte du beau linge, l’élégance et les soins du corps. Belinda Ayessa, directrice générale du Mémorial Pierre Savorgnan de Brazza, vêtue d’un ensemble de chez Céline à Paris, n’a pas caché son inclination pour la sape : « La sape est un genre, une particularité pour le Congo. De l’extérieur, elle fait sensation. »

Véritables artistes

Le mythe de l’élégance à la parisienne déclare Hector Médiavilla, est né parmi la jeunesse congolaise du quartier de Bacongo avec l’arrivée de la colonisation, lorsque les Français ont débarqué au Congo au début du 20e siècle. André Mastoua et d’autres jeunes congolais qui avaient vécu quelques temps à Paris en furent les figures de proue. Leur retour provoqua un émoi parmi leurs compatriotes. Ils furent désormais connus et reconnus comme les premiers grands sapeurs. Forts de ce sentiment, les Sapeurs se considèrent aujourd’hui comme de véritables artistes. Tous partagent le même rêve : se rendre à (Poutou) Paris et revenir au Congo en aristocrate de l’élégance suprême.

Chris Mbembé

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Sape et Développement

Si, pour une institution internationale comme l’UNESCO : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social », la Sape ou Sapélogie ,et peu importe le nom qu’on lui donne, fait partie de la culture congolaise. Un trait distinctif des congolais peu importe l’endroit, où ils se trouvent. C’est un fait, et il serait difficile et inutile de demander aux congolais de renoncer, à ce qui est devenu, une partie de leur identité.

La Sape est très étroitement liée à la diaspora congolaise en France. Ce ne sont pas ceux qui prétendent connaitre l’essence de ce mouvement qui nous diront le contraire. Elle est, jusqu’à preuve du contraire, sa principale contribution à l’évolution de la société congolaise.
On peut, effectivement, se poser la question, en trente ou cinquante de Sape, qu’est ce que ce mouvement a apporté à notre jeunesse en particulier et à notre pays en général ? Quel impact sur l’évolution des mentalités et dans son processus de développement démocratique et économique ?

Personne n’ignore le poids des diasporas chinoises, juives, ou maliennes dans la marche en avant de leurs pays respectifs. Finalement, alors que les chinois ont inondé de leur produit bon marché les marchés internationaux grâce à leur relais sur place, que les juifs sont présents dans toutes sphères de décisions de ce monde prêt a défendre les intérêts d’Israël et que les maliens construisent des écoles, des fontaines d’eau et des dispensaires pour soulager les souffrances de leurs compatriotes restés au pays, les congolais, eux, alimentent leur pays de Sape.

Mais qu’apporte la Sape dans notre pays, en termes d’emploi et de création de richesse ? En quoi soulage t elle les souffrances de nos parents et contribue t elle à sortir notre pays du sous-développement et de la pauvreté ?

La Sape est une culture, un état d’esprit, oui ! Raison de plus, pour qu’elle place important dans l’économie congolaise. Nous pouvons citer des tas d’exemple où la culture est source de revenus pour l’état et pourvoyeuse d’emplois.

La musique, la littérature, la peinture, l’artisanat, etc. créent des emplois, vont venir des touristes et font parler du Congo dans le monde entier.
Il est, peut être temps, pour les sapeurs de s’interroger sur l’opportunité de créer une véritable industrie qui se nourrirait du succès que connait leur mouvement non seulement dans notre pays, mais dans toute l’Afrique. Pourquoi continuer à faire uniquement la promotion des marques occidentales ? A quand les première griffes congolaises ?

L’offre vestimentaire accessible au français moyen n’est plus confectionnée en France. Il y a belle lurette que les grandes marques du prêt à porter français ont délocalisé leur production dans les pays à bas coût de main d’œuvre. Il est fort à parier que la majorité des fringues que nous ramènent les « parisien » ne sont pas fabriqués en France, mais en Chine ou dans les pays du Maghreb.

Pourquoi, nous, congolais, ne serions nous pas capable de confectionner la même chose que les chinois ou les maghrébins ? Que nous manque t il ? Le matériel industriel, les techniques de confections et les entrepreneurs. Là, justement, devrait s’exprimer le dynamisme de nos compatriotes installés en France [1], l’un des berceaux de l’industrie du prêt à porter.

Les membres de la diaspora ne devraient plus se cantonner dans ce rôle de promoteur de la mode française, anglaise ou italienne. Ni à celui de simple importateur de voiture d’occasion d’Europe, même-ci cette dernière activité crée des emplois.

Pour être un sapeur, il faut faire preuve de beaucoup d’imagination, y consacrer énormément de temps, d’énergie et d’argent. Comment faire pour que ces qualités se mettent au service du développement de notre pays ?

Notre jeunesse et notre pays ne peuvent plus se contenter des mots et des postures. Et comme toutes les diasporas, la congolaise si elle existe vraiment, doit s’interroger sur sa contribution au développement du pays.
La Sape sur sa version actuelle n’a rien apporté de concret. Bien au contraire, elle est devenue « l’Opium » de la jeunesse congolaise, la détournant des vrais enjeux et des vrais débats. Ce n’est pas un hasard, si les politiques s’y sont engouffrés.

Sans renoncer à notre amour des « habits », il faut trouver une formule pour que la Sape fasse avancer notre jeunesse et contribue plus efficacement au développement de notre pays.

Justin Osalikongo

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