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« Un coup de théâtre : Histoire du théâtre congolais » de Gaston M’bemba-Ndoumba

« Un coup de théâtre : Histoire du théâtre congolais » de Gaston M’bemba-Ndoumba

par Noël Kodia Ramata

En une centaine de pages, M’bemba-Ndoumba nous fait lire une page de l’histoire du théâtre congolais, disons moderne. Car avant que Patrice Lhoni et Ferdinand Mouangassa, Sylvain Bemba et Antoine Letembet Ambily nous le fassent connaître par l’écrit marié aux planches, il existe déjà un type de théâtre par l’oralité des saynètes. Des années 50 à nos jours, beaucoup de « virements théâtraux » se sont manifestés. Et M’bemba Ndoumba [1] essaie de nous en parler avec objectivité.

On découvre dans ce livre que les précurseurs du théâtre au Congo sont de la génération de Patrice Lhoni et Ferdinand Mouangassa. Et c’est plus précisément en ville et dans le milieu des intellectuels que se pratique le théâtre puisqu’il se dit en français. Avec des dramaturges comme Ségholo dia Mahoungou, le théâtre se réalise à l’occidental : il y a un groupe d’acteurs qui travaillent à partir d’un texte écrit sur fond de diction et de mise en scène.

Le théâtre gagne de la notoriété dans le public grâce à son éclosion due au laborieux travail de Guy Menga qui, de 1967 à 1968 décroche deux prix au concours de théâtre organisé par l’ORTF. Ses deux pièces (La Marmite de Koka Mbala et L’Oracle) sont jouées plusieurs fois au pays et sur le plan international. Le théâtre congolais fait connaître certains acteurs au niveau international tels Pascal Nzonzi et Gilbert Massala Saladin. Cet élan de la culturel théâtrale se développe quelques années après quand elle entre dans le milieu scolaire et en particulier dans les lycées. Se remarque le théâtre scolaire soutenu par Maxime Ndébéka alors Directeur des Affaires culturelles. Avec lui, la culture, dans toutes ses formes, (théâtre et musique) gagne le milieu juvénile. Des représentations gratuites sont proposées dans la salle du CFRAD (Centre de formation d’art dramatique) aux élèves, et des groupes de théâtre et des ensembles de musique naissent dans les lycées (Lycée Savorgnan de Brazza, Lycée Chaminade et Lycée technique du 1er mai). Des élèves tels Matondo André devenu plus tard Matondo Kubu Turé, Batantou Oumba, Jean Blaise Bilombo formés par « l’école Ndébéka » sont aujourd’hui des grands noms de la culturel congolaise.

Matondo Koubou-Touré, sociologue et metteur en scène

De 1979 aux années 90, le théâtre congolais brille de mille feux avec trois grands noms (Sony Labou Tansi, Emmanuel Dongala et Matondo Kubu Turé) qui vont se remarquer par leurs troupes nommées respectivement « Le Rocado Zulu Théâtre », « Le Théâtre de l’Eclair » et « La Troupe Artistique Ngounga » . Trois grands noms du théâtre congolais, trois styles dans l’art dramatique.

Sony Labou Tansi bouleverse la conception du théâtre congolais. A la différence de ceux qui sont passés avant lui, il est complet en dramaturgie. Il écrit ses textes, les met en scène et les joue. C’est le plus grand dramaturge congolais international car il voyage beaucoup et représente son pays dans des festivals. Il ajoute « quelque chose de plus » dans le théâtre congolais. Comme le spécifie M’bemba-Ndoumba, « Sony Labou Tansi se fixe comme objectif de pratiquer un théâtre vivant, moderne qui prend en compte les influences extérieures et la réalité traditionnelle africaine ».

Animé par le grand romancier Emmanuel Dongala, « Le Théâtre de l’Eclair » travaille particulièrement sur le gestuel, la diction et la chorégraphie dans la mise en scène. Cette troupe a eu l’audace de monter « Les mains sales » de Jean Paul Sartre.

« Le groupe artistique Ngounga » est né du retour des anciens comédiens des lycées de Brazzaville des années 70 au pays après leurs études supérieures à l’étranger tels Matondo Kubu Turé, Batantou Oumba, Mampouya Mamnsi qui prennent l’initiative de la création du groupe. Tournant le dos au théâtre classique, les Ngounga prennent la parole sur la place publique pour dire tout ce qui ne va pas dans un pays dirigé par un parti unique d’obédience marxiste.

« Un coup de théâtre : Histoire du théâtre congolais », un livre didactique et plein de révélations sur la richesse de notre théâtre. L’auteur y développe quelques spécificités du théâtre congolais tels le problème de la mise en scène, les costumes, les salles de théâtre, la formation des comédiens… Un livre qui devrait interpeller ceux qui enseignent la « littérature théâtrale » pour un travail fourni sur la dramaturgie congolaise comme on le remarque au niveau du roman et de la poésie.


Interview de Gaston Mbemba Ndoumba, dramaturge et essayiste congolais

par Liss Kihindou

Gaston Mbemba-Ndoumba, auteur de plusieurs autres ouvrages dont le dernier intitulé La femme, la ville et l’argent dans la musique congolaise (2007), vient de publier, chez L’Harmattan, l’essai "Un coup de théâtre, Histoire du théâtre congolais". Cet ouvrage répond à un réel besoin de documentation, car si une bibliographie plus ou moins consistante existe sur la prose (roman/nouvelle) et même la poésie congolaises, il y a encore peu d’ouvrages généraux consacrés exclusivement au Théâtre congolais, qui a pourtant été foisonnant à une certaine époque.

Le titre joue sur les mots. Un ‘‘coup de théâtre’’ est, au théâtre, un retournement de situation inattendu, une ‘‘surprise’’ dans le déroulement de l’intrigue. Et pour les troupes qui émergent au Congo à partir des années 80, le théâtre doit créer cet effet de surprise, bousculer l’ordre – ou le désordre ? – des pouvoirs politiques qui ne sont pas à la hauteur des attentes du peuple, surprendre ceux qui croient avoir la main mise sur les consciences.

Mais c’est aussi un ‘‘coup de théâtre’’ que ce coup de maître de Gaston Mbemba-Ndoumba qui dévie un peu de sa trajectoire habituelle et nous montre qu’il peut aussi s’intéresser aux lettres congolaises. Il apparaît, in fine, que l’auteur fut, ou est toujours, un passionné de théâtre. Il a bien voulu répondre à nos questions.

Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ce Coup de théâtre, qui touche le domaine littéraire, alors que vos livres sont en général essentiellement socioculturels, je citerai par exemple Ces Noirs qui se blanchissent la peau : la pratique du « maquillage » chez les Congolais ?

*J’ai une formation en sciences sociales et lorsque j’écris, je ne me préoccupe pas de la classification de mes ouvrages. Il se trouve que ceux-ci sont essentiellement socioculturels. Dans ma démarche, je suis plus porté vers une quête de sens et j’essaie de rendre intelligible la vie quotidienne des gens ordinaires pour atténuer les tensions et les angoisses sociales. Je me réjouis que mon dernier ouvrage soit classé en littérature, ça c’est un coup de théâtre ! Ce n’était pas mon intention de départ. Je croyais avoir écris un ouvrage d’Anthropologie du théâtre.

Comment présenteriez-vous votre ouvrage : comme une ‘‘histoire du théâtre congolais’’ ou plutôt comme l’histoire de votre coup de foudre pour le théâtre ? En effet votre livre se présente comme un ouvrage critique sur la pratique du Théâtre au Congo, comme le suggère le sous-titre « Histoire du théâtre congolais ». Pourtant il n’est pas exempt d’une certaine subjectivité : vous employez d’ailleurs assez souvent la première personne du singulier et l’expression « mon univers théâtral », dans le chapitre liminaire, pour justifier le titre est assez explicite.

*C’est tout cela en même temps. Avec beaucoup de pudeur j’aurais dû intituler mon ouvrage « histoire incomplète du théâtre Congolais ». J’ai passé des nuits blanches pour tenter de trouver un titre. C’est celui là qui s’est imposé. Il y a toujours une part de subjectivité dans tout ce que nous faisons. Cela peut être une source de motivation pour tendre vers l’objectivité. C’est le cas du journaliste qui nous donne des informations chaque soir. Il lutte chaque jour contre sa subjectivité pour essayer de donner une information objective. Mais son appartenance à une classe donnée peut être un obstacle. Chacun de nous est marqué socialement. En écrivant ce Coup de théâtre, j’ai lutté à chaque instant contre ma subjectivité. Je ne sais pas si j’y suis arrivé, c’est au lecteur de le dire.

La première partie du livre fait bien l’historique du théâtre au Congo, qui voit l’émergence de troupes amateurs dans les années 80 (une trentaine selon vos sources) avec, en tête de proue, le Rocado Zulu Théâtre de Sony Labou Tansi, le Théâtre de l’Eclair d’Emmanuel Dongala et la Troupe Artistique Ngunga de Matondo Kubu Turé, cette dernière occupant une place de choix dans votre livre eu égard au nombre de chapitres qui lui sont consacrés (5 chapitres), contrairement aux deux premiers qui n’occupent que l’espace d’un chapitre chacun. Pourquoi cette inégalité de traitement entre ces trois troupes principales ?

*SO.MA.DO, c’est le nom qui a été donné aux trois enfants terribles de l’âge d’or du théâtre au Congo. SO comme Sony Labou Tansi (avec le Rocado Zulu Théâtre), MA comme Matondo Kubu Turé (avec la Troupe Artistique Ngunga), et DO comme Emmanuel Dongala (avec Le Théâtre de l’Eclair). Il y en avait d’autres mais ces trois là étaient des artistes dans l’âme. Sony se servait du théâtre pour faire la critique de la gestion du pouvoir public. Dongala fut un esthète. Il était chaque jour préoccupé par la beauté du geste au théâtre. Matondo a fait la rupture épistémologique de la création théâtrale. Cette rupture peut se résumer en quelques points :
1-Disparition du metteur en scène en tant que personne physique remplacée par la mise en scène collective (dans les sociétés africaines c’est généralement le groupe qui l’emporte sur l’individu : à l’image de la palabre. La mise en scène devient une construction collective).
2-Au théâtre le texte n’est plus incontournable. Il devient un élément ordinaire comme bien d’autres. Dans cette approche le chant, la musique, la danse, le silence, l’expression corporelle et la parole deviennent des éléments fondamentaux. Ces éléments caractérisent notre univers social.
3-Le public est un acteur qui participe au déroulement de la pièce de théâtre. Il peut réagir et applaudir à chaque séquence(en occident le public est plongé dans le noir et dans le silence, donc supprimé, jusqu’à la fin de la pièce).
4-Les comédiens peuvent jouer sur la scène mais également dans chaque espace qu’offre la salle de représentation… Cette vision peut aussi être un coup de théâtre parce qu’elle est politiquement incorrecte, elle sort des sentiers battus.

On constate aussi l’absence de chapitre consacré au théâtre national, on aurait aimé connaître de façon plus approfondie son expérience, son répertoire, bref son histoire comme vous l’avez fait pour les autres...

*Un esprit puissant du siècle dernier, Amadou Hampaté Ba, écrivait : « En Afrique lorsqu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ».La quasi totalité des bibliothèques de notre pays ont été décimées par des guerres successives ou par des maladies en tout genre. Je voudrais dire par là qu’il est difficile aujourd’hui d’accéder aux archives dans notre pays. Parce qu’elles n’existent pas. Lors de mon dernier voyage à Brazzaville en 2006 j’ai remué ciel et terre pour trouver une personne ou un document susceptibles de me retracer l’histoire du théâtre national, mais je n’ai pas trouvé. Je reconnais volontiers qu’une fiche historique sur le théâtre national aurait été indispensable dans cet ouvrage, mais hélas nos bibliothèques brûlent chaque jour. D’où l’idée de développer d’autres moyens de conservation comme Internet ou ce ‘‘coup de théâtre’’.

A la fin du livre, vous faites une « proposition de mise en scène d’une pièce de théâtre », il s’agit précisément d’une pièce de votre création, intitulée Méza Aminata, roi des Kongo, pouvez-vous nous en parler, surtout que le héros semble être un double de l’auteur ?

*Effectivement « Méza Aminata, roi des kongo » est une pièce que j’ai écrite en 1995 lorsque j’étais étudiant à Toulouse. Dans cette pièce j’essaie de mettre en relief les dérives d’un roi imbu de sa personnalité dans l’exercice du pouvoir. Dans ce genre de situation les conséquences sont souvent dramatiques, c’est le cas de ce royaume dont l’histoire se termine dans une révolte et un bain de sang. C’est ce qui arrive dans un pays lorsque les citoyens sont privés des libertés et que tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d’un seul homme. Il n’y a plus que le théâtre pour rétablir les choses. C’est très possible que le héros de cette pièce soit le double de l’auteur. Et pourtant chaque jour il essaie de lutter contre sa subjectivité pour créer avec d’autres une société de partage.

Cette proposition de mise en scène ne risque-t-elle pas d’être inopérante si les personnes susceptibles de s’intéresser à cette pièce et de la mettre en scène n’ont pas accès au texte ? Comment se procurer cette pièce ?

*Le texte n’a jamais été publié. C’est encore un manuscrit qui dort dans mes cartons (archives). Sa publication ne saurait tarder.

N’aurait-il pas été judicieux de faire également une place dans votre livre à ce qu’on pourrait appeler le théâtre populaire ? Je pense aux sketches télévisés très prisés par le public des deux Congos, avec des personnages devenus célèbres comme ‘‘sans souci’’, ‘‘pantalon zoba’’ et j’en oublie... Aujourd’hui des créations ivoiriennes font fureur sur le marché...

*Vous avez raison j’aurais dû. C’est pour cela qu’en revisitant ce texte et avec un peu de recul le titre le plus parlant aurait été « histoire inachevée » ou simplement « histoire incomplète…. Mais comme dit un dicton populaire « une œuvre d’art n’est jamais terminée », celle-ci ouvre un débat. Au début de mon ouvrage j’ai pris soin d’avertir le lecteur que je voulais raconter l’histoire du théâtre congolais d’expression française. Cet avertissement me protège pour que le lecteur ne me reproche pas d’avoir exclu délibérément des formes très variées de théâtre qui existent dans notre pays. Le théâtre populaire remplit sûrement une fonction sociale. Mais je crains qu’il ne devienne une sorte « d’opium du peuple » (Karl Marx), qu’il endorme la conscience du peuple, qu’il empêche les citoyens de réfléchir à leurs conditions sociales. J’ai voulu parler d’un théâtre d’action qui libère les citoyens. Un théâtre d’avant-garde qui accompagne les femmes et les hommes pour tenter de trouver des solutions à leurs problèmes. Un théâtre qui interpelle les pouvoirs publics. Enfin un théâtre qui permet à chaque citoyen de prendre la parole sur la place publique sans être inquiété, à l’image d’Aimé Césaire dans « Cahier d’un retour au pays natal », de Jacques Roumain dans « Gouverneurs de la rosée » ou de Cheikh Hamidou Kane dans « L’Aventure ambiguë ». Et ça c’est un vrai coup de théâtre.

Un dernier mot ?

*J’invite ceux qui ont un peu de temps à découvrir ce coup de théâtre.

Lire aussi


UN COUP DE THÉÂTRE
Histoire du théâtre congolais
Gaston M’Bemba-Ndoumba

L’histoire du théâtre au Congo est très récente. C’est dans les années 60 que des troupes "à l’occidentale" ont commencé à voir le jour à Brazzaville. Elles se sont vite approprié le phénomène pour donner naissance à un véritable théâtre congolais, riche des traditions africaines même si l’utilisation de la langue française reste largement dominante. Ce théâtre qui manque cruellement de moyens, a gardé un côté élitiste et universitaire, mais il fait peur au pouvoir pour tout ce qu’il est capable de dire.

ISBN : 978-2-296-07623-5 • janvier 2009 • 114 pages

Prix éditeur : 11,5 € / 75 FF

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