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CULTURE

Le Musée régional Mâ Loango de Diosso revalorise et préserve l’héritage culturel du Congo

Reportage © "Les Dépèches de Brazzaville" Mercredi 16 Juin 2004 à 10:00:00 DB7489

Situé a Diosso, à 25 km au nord de Pointe-Noire sur la route du Bas-Kouilou, le Musée régional des arts et des traditions Mâ Loango constitue, à l’heure actuelle, avec ses dix précieuses collections, la base la plus importante pour l’étude historique et scientifique du passé plus ou moins proche du Congo. Érigé à 1 km de la voix principale de Loango, au centre d’un terrain verdoyant planté de palmiers et de cocotiers, cet ancien palais royal qu’habitait Mâ Loango Moe Poaty III, roi du royaume de Loango qui régna de 1931 jusqu’au 3 mai 1975, est depuis 1982 voué à un destin culturel et pédagogique. Sa fonction principale est de recueillir et de présenter des objets et des témoignages dont l’intérêt historique, archéologique, ethnographique ou artistique doit servir de support éducatif à la culture congolaise, et ce dans le but de préserver notre héritage culturel.

L’histoire du Musée Mâ Loango est fortement liée à celle du royaume qui porte son nom. Sa genèse remonte au XVIIe siècle, lorsque la population de Diosso bâtit, en bois sculpté, le premier palais royal où vécut Ngangue M’Vumbe Niambi, roi du royaume de l’époque. Le palais servit également de résidence pour les autres rois qui se succédèrent au fil du temps.

Sous la souveraineté de Mani Makosso Tchicousso, roi du royaume de Loango qui régna au XIXe siècle de 1879 à 1885, un traité fut signé à Loango le 12 mars 1883, entre l’administration coloniale et les chefs indigènes de la région du Kouilou. Ce traité, dont le 1er article attestait avoir placé Loango sous la souverainété et le protectorat de la France, fut l’initiative du département de la marine française qui, sous l’égide de Pierre Savorgnan de Brazza, envoya le lieutenant de vaisseau Cordier, commandant « le Sagittaire », assurer la main mise sur cette localité. Grâce à ce traité, ratifié plus tard par le gouvernement français, une nouvelle habitation moderne fut construite en 1952 pour le roi Moe Poaty III, qui régna sur le royaume dès le 18 mars 1931. Celui-ci intégra le nouveau palais résidentiel en 1954, où il vécut jusqu’à sa mort, le 3 mai 1975. La succession royale connut alors des péripéties et le palais fut inhabité pendant six ans.

Sous la pression du gouvernement, en l’occurrence le ministère de la Culture, désireux de récupérer le bâtiment, l’ex-résidence royale a été transformée en musée et inaugurée le 10 avril 1982 par Jean-Baptiste Tati Loutard, alors ministre de l’Enseignement secondaire et supérieur, de la culture et des arts. Depuis, le Musée Mâ Loango est devenu un espace culturel et historique permanent, au service de la société et de son développement, ouvert au public étudiant et chercheur, et à toute personne voulant s’imprégner de l’histoire du Congo dans toute sa diversité.

Comptant près de 316 pièces et documents, le Musée Mâ Loango mesure vingt mètres de long sur onze mètres de large. Il renferme deux salons, deux chambres, deux couloirs conduisant aux chambres et une petite salle de bain du roi. Toutes ces pièces se sont transformées en salles d’exposition ou en réserve. Le musée compte une dizaine de collections différentes ; les créations des communautés ethniques et sociales sont constituées d’objets se référant à certains événements historiques, et de documents témoignant de l’évolution de la société congolaise. Des objets de grande valeur artistique côtoient des pièces plus simples qui se rapportent à la vie quotidienne et ont, sans doute, une importance particulière dans l’étude des anciennes générations congolaises.

Les dix collections offrent un large panorama :
- La première collection, qui concerne les outils de travail traditionnels, réunit des outils agricoles (houe, hache, couteaux) et de forge (soufflet en bois), l’équipement du malafoutier (ceinture et calebasses) et les herminettes. Cette collection renvoie à l’histoire économique et sociale.
- La deuxième collection est constituée de parures et de vêtements traditionnels. Ce sont, entre autres, des pagnes et des coiffures en raphia, un métier à tisser, les attributs de pouvoir, le costume de la Tchikumbi (tablier pectoral orné de coquillages et jupe en tissu toile, colliers de verroterie importés, bracelets en métal, anneaux de cuivre ou de bronze). La présence de ces objets anciens en métal sont le fruit d’une recherche archéologique faite par la population. Ils datent de la fin du XIXe siècle.
- La troisième collection rassemble du mobilier domestique traditionnel. Il y a une natte de jonc, des ustensiles de portage en vannerie et des ustensiles de cuisine (moutête, tabouret Kota, pétrin, rappe à manioc en bois).
- La quatrième collection concerne les armes et pièges traditionnels. Ce sont des sagaies, le couteau de jet, les arbalètes, les grelots de chasse en bois, les pièges de chasse en vannerie (Kissala, Loubi), les filets et pièges de pêche. Cette collection date du début du XXe siècle.
- Constituée de moyens de transport et de communication traditionnels, la cinquième collection recense des objets tels que la petite pirogue abîmée (pour le déplacement du roi au début du XXe siècle), la double cloche et le tambour à membrane. Ces objets, dont la carte géographique du Congo de 1958, ont été fabriqués au milieu du XXe siècle.
- La sixième collection réunit différentes monnaies et échanges traditionnels. Ce sont des monnaies frappées métalliques, des monnaies de raphia rectangulaires ou carrés, et des coquillages qui ornent le tablier pectoral de la Tchikumbi. Résultat des recherches archéologiques du début du XXe siècle, la collection numismatique témoigne de l’importance de la monnaie dans la vie sociale.
- Des objets de culte traditionnels forment la septième collection : les statuettes en pierre (figures tombales) datant de la fin du XIXe siècle, les masques Punu, le masque Kidumu et la planche magique, la figure Kébé-Kébé, les statuettes et la sculpture en bois, le fétiche Mboumba, les corbeilles magiques en vannerie…
- Les instruments de musique traditionnels constituent, quant à eux, la huitième collection. Il y a deux tambours à membrane Yombé, les tambours à membrane courts, la harpe, le Sanza, le Tchikunda, les maracas en vannerie et les guitares Yombé et Dondo. Jouant un rôle majeur dans la vie culturelle et sociale de notre pays, ces instruments font l’objet d’une étude sur la musique traditionnelle orale.
- La neuvième collection présente des photos. Il s’agit de portraits des rois, de Tchikumbi, de Khimba, et de sites et de monuments constituant le patrimoine architectural et naturel de Loango et de Pointe-Noire.
- Enfin, la dixième et dernière collection expose des documents écrits et imprimés tels que les traités manuscrits, les cartes géographiques, les documents de Mâ Loango, Moe Poaty III (passeport français et autres), ou encore les archives coloniales contemporaines.

Même s’il accueille diverses personnalités et sert de centre de travaux pratiques pour les élèves et les étudiants, le Musée Mâ Loango se trouve aujourd’hui dans un état défectueux, en dépit de minces efforts d’assainissement de la part de la direction départementale de la culture et des arts du Kouilou qui en assure la gestion. Ce sont aujourd’hui les collégiens et les lycéens en excursion qui assurent le désherbage de la cour du musée et de la piste y conduisant. La toiture est également délabrée. Ne disposant pas suffisamment d’outils techniques pour la gestion et la conservation de ses pièces, le Musée Mâ Loango, au nom de son conservateur, Joseph Kimfoko-Madoungou, affiche l’ultime besoin d’acquérir des matériaux dont le coût s’élève a 3 millions de Fcfa. Il faut entretenir le plus longtemps possible ce patrimoine national.

Le premier volet des besoins concerne l’achat de produits techniques, assurant le traitement des pièces, et d’objets de collection pour la recherche. Il concerne aussi l’achat de matériel technique tel que vitrines, panneaux, socles, masques, anti-poussières et fichiers. Le second volet retient les fournitures de bureau et vise l’acquisition de la documentation muséographique (livres historiques, registres, blocs-notes, photos de collections, etc.). Le volet suivant concerne les services tel que le désherbage permanent de la cour et les accès du musée. Estimé à 500 000 Fcfa, le dernier volet concerne l’entretien du bâtiment (toiture, plafonds, murs et sol) pour protéger les salles et les précieux objets d’exposition.

Sous la houlette du conservateur du Musée Mâ Loango, Joseph Kimfoko-Madoungou, la Direction départementale de la culture et des arts du Kouilou s’associe à l’action du Centre du patrimoine mondial de l’Unesco et dresse ainsi une liste de plus de 35 sites qui illustrent la diversité des témoignages sur les civilisations passées et des paysages les plus émouvants de la nature de Pointe-Noire. Elle voudrait ainsi protéger et pérenniser ces documents référentiels ainsi que les travaux et édifices légendaires qui constituent pour nous un héritage culturel inestimable. Tel est l’objectif principal de la Convention relative à la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, adoptée à la conférence générale de l’Unesco en 1972 par 159 Etats, dont le Congo. Ce traité a pour but d’identifier et de protéger le patrimoine culturel et naturel reconnu comme ayant une valeur universelle exceptionnelle.

Si l’on convient que c’est à travers l’histoire que se construit l’avenir, et qu’un pays sans histoire est un pays sans âme, il est impérieux de protéger le patrimoine national. Ce sont des sites culturels disséminés à travers le territoire, dont l’existence et la beauté sont un enrichissement pour chacun d’entre nous. Ce sont aussi des témoignages documentaires précieux, des monuments à la taille du Musée Mâ Loango, dont les annales constituent une poignante source éducative. Leur disparition constituerait une perte irréparable pour la nation tout entière.

Reportage de Quentin Loubou

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