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Les politiques forestières dans le bassin du Congo, cas de la république du Congo.

Mémoire de troisième cycle pour l’obtention du Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) de droit et politique de l’environnement. Présenté et soutenu publiquement par M. David Bérenger Loemba, sous la direction de M. Yao Biova Vignon, Maître de Conférences Agrégé, Vice doyen de la Faculté de Droit, Université de Lomé (Togo)

« Les uns plantent, les autres récoltent. Nous autres le peuple, nous sommes comme la chaudière. C’est elle qui connaît la douleur d’être sur le feu. C’est elle qui cuit tout le manger. Mais quand le manger est prêt, on dit à la chaudière, tu ne peux venir à table, tu saliras la nappe. »

Cette pensée de Jacques Roumain tirée dans son roman Gouverneurs de la Rosée, renvoie à la sempiternelle question de partage ou de redistribution des revenus des ressources naturelles du pays. Nombre de ces ressources sont enclin à une exploitation incontrôlée et les revenus générés ne profitent pas à la population.

Les forêts du bassin du Congo connaissent en effet un processus de dégradation accélérée qui risque de compromettre le bien être des populations voire d’écosystèmes régionaux. La déforestation a atteint des niveaux tels que c’est toute la race humaine qui va devoir assurer les coûts qu’elle entraîne pour l’environnement, l’économie et la société en terme de disparition d’espèces fauniques et floristiques, de pertes de bois et d’autres produits, de la suppression des services écologiques et de la pollution des eaux et de l’air.

La préservation du Bassin du Congo s’impose comme une exigence de survie collective. La conservation et la gestion durable des écosystèmes forestiers d’Afrique centrale, et du Bassin du Congo en particulier interpelle notre responsabilité commune.
L’importance des forêts dans la protection de l’environnement et la conservation des espèces naturelles étant fondamentale, nous avons choisi de réfléchir sur le thème « Les politiques forestières dans le Bassin du Congo : cas de la République du Congo ».
Le Bassin du Congo est une vaste région forestière compacte d’environ 2.300.000 km2, équivalant à 230 millions d’hectares, soit 6 % de la surface terrestre mondiale. Ses forêts sont reconnues pour leur diversité biologique exceptionnelle et contribuent de manière importante, à la lutte contre l’effet de serre en absorbant le carbone dans l’air. Ce milieu naturel abrite plus de la moitié des espèces animales et végétales du monde.
C’est le second patrimoine forestier au monde après l’Amazonie. Le Bassin du Congo se situe majoritairement en République Démocratique du Congo, au Cameroun, en République du Congo, au Gabon, en Guinée Equatoriale et en République centrafricaine.
La République Démocratique du Congo vient en tête des écosystèmes les plus riches avec 11.000 espèces végétales identifiées.
Le domaine gabono- camerounais qui comprend le Cameroun, la Guinée Equatoriale et le Gabon est la zone la plus riche en nombre d’espèces par unité de surface de toute l’Afrique tropicale.
Notre intention n’est pas de mener une réflexion sur les politiques forestières dans les pays du Bassin du Congo. Notre étude portera plus modestement sur la République du Congo [1].

Située dans la partie occidentale de l’Afrique centrale, la République du Congo possède une superficie de 342.000 km2 dont 22 millions d’hectares de forêts ce qui représente environ 65% du territoire national [2]. Ces forêts sont réparties entre trois massifs principaux : le Mayombe, dans la région du Kouilou (a peu près 1,5 millions d’hectares), le massif du Chaillu dans le Niari, la Lékoumou et la Bouenza, au sud ouest du pays (environ 3,5 millions d’hectares). Pour sa part, la forêt septentrionale, qui reste jusque - là inexploitée, s’étend sur près de 17 millions d’hectares.

Ces étendues de forêt regorgent de plusieurs essences de qualité, notamment le douka, le limba, le sipo, l’acajou, le tiama, l’annigré, le wengé, le sappeli … Seulement, la plus grande partie des bois coupés est destinée à l’exportation sous forme de grume [3], malgré les mesures récemment prises pour contingenter la plupart des grumes et encourager la transformation du bois sur place. Ainsi, la production des grumes en 2001 est estimée à 900.000 m3 : un chiffre qui va en augmentant chaque année.
Le Congo occupe ainsi une place de choix dans le Bassin du Congo où sa forêt représente approximativement 12% des forêts denses.

Cependant, la présente recherche se fonde sur une analyse critique de la politique forestière. Il convient de souligner qu’il n’existe pas une définition juridique universelle de la notion de forêt.
Du point de vue technique, pour la FAO, les forêts sont des formations végétales dont le sol non touché par l’exploitation agricole est couvert au minimum à 10% par les houppiers des arbres, ceux-ci devant atteindre 5 mètres de hauteur ; la déforestation commence par définition dès que ces conditions ne sont plus remplies [4].

La loi N°16-20 du 20 novembre 2000 portant code forestier congolais dans son article 2 définit la forêt comme : « toutes les formations végétales naturelles ou artificielles à l’exception de celle résultant d’activités agricoles d’une part et les parties de terrains non boisées ou insuffisamment boisées dont le reboisement et /ou la restauration sont reconnus nécessaires d’autre part ».

Quant à la politique forestière, elle doit être un ensemble cohérent de procédures légales et administratives, de dispositions institutionnelles et techniques aboutissant à la conservation, à la gestion durable des ressources forestières et à la protection des équilibres écologiques dont dépend l’existence de l’homme. Si dans ce cadre, les actions ne sont pas intégrées et coordonnées aucun succès ne peut être garanti.
Mais il y a une difficulté à cerner le contenu de l’administration forestière. Celle ci est un ensemble de services qui ont pour charge de protéger, gérer et développer les différentes composantes des ressources naturelles du pays que sont les forêts, la faune sauvage etc.

L’administration forestière est le corps organisé par l’intermédiaire duquel la politique et la législation forestière sont appliquées aux forêts d’un pays. En conséquence, politique et législation doivent tout d’abord être déterminées. A leur tour, elles détermineront les tâches de l’administration forestière suivant des lignes plus ou moins générales. Une politique définit le cadre dans lequel est conçue l’activité gouvernementale et privée dans un secteur économique ou social donné. Le cadre comprend les options fondamentales, les objectifs généraux à atteindre, etc.

Au plan interne, la politique forestière s’entend comme l’ensemble des stratégies de développement forestier mises au point par l’Etat congolais pour atteindre un certain nombre d’objectifs. En matière forestière, la politique devrait au minimum donner les indications sur les grandes fonctions et rôles principaux attendus des ressources forestières. Il s’agit dans le cadre de notre réflexion de mettre l’accent sur les fonctions de protection et de gestion des forêts congolaises.

Il est important de relever que dans l’ensemble des pays du Bassin du Congo notamment en République du Congo, au Cameroun, au Gabon et en République Démocratique du Congo, c’est l’abattage des arbres qui représente une menace réelle, et on estime que chaque année 137.000 ha de forêts sont détruits essentiellement par les entreprises forestières et autres délinquants écologiques [5].

Lors du sommet de Brazzaville sur la conservation et la gestion durable des écosystèmes forestiers du Bassin du Congo le 05 février 2005, le président français J. Chirac affirmait : « …le commerce illicite du bois tropical des forêts du Bassin du Congo entraînerait des pertes économiques de l’ordre de 10 à 15 millions d’euros chaque année… ». Ce constat est la conséquence d’une exploitation abusive et incontrôlée des massifs forestiers.

L’exploitation moderne de la forêt congolaise a commencé peu après la seconde guerre mondiale avec la naissance à Libreville au Gabon, de l’Office des Bois de l’Afrique Equatoriale (OBAE). Durant la période d’après guerre (1945-1960), la gestion des forêts du Congo, était organisée par des lois et règlements coloniaux. La loi N° 34-61 du 20 juin 1961 fixant le régime forestier au Congo fut le premier texte législatif national. Le premier code forestier fut adopté le 04 janvier 1974 par la promulgation de la loi N° 004/74 modifiée par la loi N°32/82 du 07 juillet 1982.

Au plan national, la première grande exploitation forestière du Congo remonte à la construction de la voie ferroviaire (CFCO) entre Pointe Noire et Brazzaville dans les années 1920 quand l’autorisation fût donnée de couper les arbres sur une profondeur de 200 mètres de part et d’autre du tracé, ce qui correspondait à 35.000 hectares de permis accordé à la société adjudicataire. Par la suite, des permis de coupe furent accordés pour les fournitures de bois de chauffe destinés aux locomotives.

C’est en 1928 que fut octroyé le premier permis de coupe industrielle pour 1500 hectares dans le Mayombe. En 1937, cette exploitation s’est intensifiée, et l’appauvrissement progressif du Mayombe a amené les exploitants vers le massif du Chaillu en 1956. Aujourd’hui ce sont les forêts du nord Congo qui sont exploitées.
Ainsi, la FAO dans son rapport publié en 2002 estime que le Congo a perdu 17% de sa forêt avec un rythme de déboisement de l’ordre de 34.000 ha par an à partir de 1990.

Au Congo, l’absence d’une gouvernance exemplaire [6] se traduit entre autres par le problème du manque d’information publique sur les opérations forestières.
Le « manque d’information sur les opérations forestières constitue à cet égard une limite indéniable à la réalisation effective de l’Etat de droit » [7].
Les instruments relatifs à l’environnement esquissent ce que l’on a appelé une « démocratie participative [8] » associant le public aux choix relevant de la politique de l’environnement en application des principes internationaux applicables.

La déclaration de principes et le programme d’action adoptés au cours du sommet de Rio tout en affirmant le droit souverain des Etats sur leurs ressources forestières soulignent la nécessité pour chaque Etat d’élaborer des politiques de conservation fondées sur une gestion rationnelle des forêts.

Comme toutes les forêts tropicales humides, la forêt congolaise joue un rôle capital dans la protection de l’environnement et le développement économique et social.
Au plan écologique [9] et environnemental, les forêts et les arbres sont pour l’environnement comme pour les sociétés humaines, une source de nombreux avantages parmi lesquels la conservation de la biodiversité, le captage et le stockage du gaz carbonique, gaz à effet de serre qui a comme corollaire l’atténuation des changements climatiques à l’échelle planétaire.

En outre les forêts naturelles protègent les sols du phénomène d’érosion et enrichit leur fertilité. Ces forêts assurent une régulation naturelle du cycle hydrologique, influent sur le climat local et régional par l’évaporation, et agissent sur le débit des bassins versants des eaux superficielles et souterraines [10].

Du point de vue social, la forêt joue un rôle important pour les sociétés humaines. En effet, la forêt congolaise n’est pas seulement une source de bois d’œuvre [11] ; c’est aussi l’habitat d’une grande densité de végétaux et d’animaux. Elle assure la subsistance et l’intégrité culturelle des populations locales qui y vivent particulièrement celle des pygmées qui dépendent beaucoup de la forêt.

Dans le domaine économique, le bois était le premier produit d’exportation du pays depuis l’indépendance jusqu’en 1974 avant que le pétrole ne prenne le relais. Les réserves pétrolières s’épuisant, il est judicieux de penser à l’après pétrole [12] en investissant dans l’agriculture et dans la forêt.

Avec un potentiel de forêts exploitables d’environ 13,8 millions d’hectares correspondant à un volume mobilisable d’environ 170 millions de mètres cubes commerciaux, les forêts de la République du Congo peuvent supporter sans porter préjudice à leur reconstitution une production soutenue de 2 millions de mètres cube chaque année [13].

Le Congo est doté d’immenses ressources forestières et pour cela la filière bois constitue un pan important de son économie nationale. Ces ressources sont relativement peu mobilisées. La mise en valeur rationnelle des ressources forestières est l’une des voies les plus sûres du développement économique du Congo.
La filière bois a constitué la principale source de devises du pays en contribuant jusqu’à 85% de recettes d’exportation, soit environ 10% du PIB.

Aujourd’hui la situation de la filière est très peu reluisante. Le bois ne représente plus que 9% des recettes d’exportation et la production annuelle de bois n’a jamais dépassé 850.000 mètres cubes de grumes par an [14].

Au plan politique, la gestion durable des ressources est devenue une exigence des politiques d’aide au développement. En effet, la commission européenne renforce son appui au programme de conservation des forêts tropicales humides d’Afrique centrale en allouant le 31 janvier 2006 à Brazzaville une enveloppe de 38 millions d’euros [15].
Par ailleurs, tenant compte des exigences internationales en matière de gestion des forêts et du contexte socio-économique au niveau national, les pays d’Afrique centrale ont adopté au cours des années 1990, de nouveaux objectifs de développement forestier. Des nouvelles politiques forestières ont été formulées dans les différents pays de la sous – région. Les concepts tels que le domaine forestier permanent et non permanent, l’aménagement durable, la gestion participative, la conservation de la biodiversité, la certification des bois tropicaux constituent aujourd’hui la toile de fond de toutes les politiques et lois forestières dans les pays du Bassin du Congo.

La mise en œuvre des réformes politiques a coïncidé, au niveau international avec l’émergence du concept de développement durable et l’organisation de la conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement durable. Ce concept peut être considéré comme une stratégie qui intègre la dimension environnementale à celle du développement économique. Elle assure de ce fait la satisfaction des besoins des générations actuelles sans compromettre celle des générations futures.

L’exploitation forestière devrait se faire désormais en respectant le principe de durabilité de la forêt, l’objectif étant de maintenir et d’améliorer l’aptitude de la forêt à remplir au mieux l’ensemble de ses fonctions écologiques, économiques et sociales, en préservant toutes ses potentialités pour les générations futures. Dans cette optique, le Congo a élaboré un programme d’action forestier national, stratégie de développement forestier dont le fondement repose sur une gestion et une utilisation durable des forêts en vue d’une production durable, tout en garantissant la conservation et la protection des écosystèmes et de la biodiversité [16].

La stratégie de développement forestier a consisté à actualiser le code forestier et les autres textes législatifs et réglementaires et à veiller à leur diffusion ainsi qu’à leur application rigoureuse. L’élaboration du nouveau code forestier s’est également accompagnée d’une refonte de l’administration forestière congolaise en réponse aux exigences de l’Agenda 21. Par ailleurs, la législation en vigueur jusqu’en 2000 n’a pu empêcher la destruction de deux des trois massifs forestiers que compte le Congo [17].

Ainsi, comment concilier la nécessité du besoin de conservation de la biodiversité forestière prônée par les politiques et les exigences d’un développement économique, social et humain des populations qui en dépendent ?
Quel cadre institutionnel et réglementaire pouvant prendre en compte les intérêts des divers acteurs du secteur forestier, les contraintes et les potentialités tant nationales que sous régionales ?
La refonte de l’administration forestière dans la mise en œuvre de la nouvelle politique forestière est elle efficace ?
Quel est l’impact des politiques forestières sur la gestion des forêts ?

Au regard du constat d’échec observé il convient de se demander comment l’administration forestière du Congo n’a pu assurer une gestion durable des ressources forestières.

Pour répondre à cette question fondamentale nous nous proposons deux volets de travail. Le premier se fonde sur l’idée que l’inefficacité du cadre organique de gestion et de protection des forêts serait à l’origine de l’écrémage [18] des ressources forestières.
Le second volet quant à lui, part de l’idée que l’Etat transgresse les objectifs de sa propre politique forestière pour des fins économiques ; ce qui serait la cause principale des difficultés d’application des textes.
La justification des volets retenus se fera à travers l’analyse des objectifs fondamentaux de la politique forestière du Congo que sont la conservation de la diversité biologique, la reforestation, la gestion durable des forêts, la décentralisation du secteur et la coopération internationale.

Les objectifs poursuivis par le plan visent d’abord à identifier les faiblesses éventuelles d’une part du système administratif chargé de la protection des massifs forestiers, d’autre part, les causes de la sous production forestière. Ensuite, rechercher les insuffisances éventuelles du système actuel de gestion des forêts. Enfin, proposer pour l’ensemble de la politique quelques mesures correctives pour une gestion durable des ressources forestières.

Face à la vulnérabilité des massifs forestiers congolais, il y a lieu de penser que la protection de la forêt congolaise est défaillante (première partie) et que sa gestion est lacunaire (deuxième partie).

Au vu des récentes évolutions dans la gestion forestière, la valorisation optimale et durable des ressources forestières ne peut être assurée sans la mise en place d’un cadre institutionnel devant favoriser la mise en œuvre de la nouvelle politique forestière nationale. La protection juridique dont bénéficient les forêts congolaises n’est pas mise en application. C’est à juste titre que le droit de l’environnement est considéré comme l’ensemble des normes qui permettent de protéger l’ensemble des domaines ou apparaît l’idée de l’environnement. Ce droit prend en compte les institutions de protection. Il régit ce qui nous entoure : la protection de la forêt, des animaux, des eaux…Protéger, c’est préserver, garantir l’existence de quelque chose. Il ne peut y avoir de protection ou de prévention sans interdiction ou plus largement sans prescription de comportement. Malheureusement, il y a défaillance lorsque l’administration forestière sacrifie la protection et la gestion de la forêt à la réalisation d’autres objectifs jugés prioritaires [19] ; comme c’est le cas au Congo Brazzaville ; il s’agit d’objectifs économiques. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’on observe une faible application des textes réglementaires. Ainsi, l’inefficacité de la politique forestière résulterait du laxisme de l’administration forestière (chapitre 1). Ce laxisme paralyse la production forestière (chapitre 2).

Le laxisme de l’administration forestière :

L’Etat congolais est omniprésent, aspire à tout entreprendre et à tout contrôler. Tout comme au Cameroun où le ministère de l’environnement et des forêts apparaît comme le maître d’œuvre de la politique forestière nationale [20].

Ainsi, les bureaucraties des Etats africains renâclent à abandonner toute parcelle de pouvoir et l’intérêt général est un prétexte commode dissimulant les sentiments moins avouables [21]. Malheureusement, de nombreux services forestiers notamment dans les pays en développement sont mal armés pour accomplir ne serait ce que leurs tâches techniques et fonctions assignées et surtout à fortiori pour jouer un plus grand rôle dans la formulation des stratégies nationales d’utilisation de terres et de développement rural.

Les faiblesses du fonctionnement de l’administration forestière au niveau des directions centrales s’expliquent selon Mme Delphine Adouki par « une mauvaise gestion du personnel qui a pour conséquence la sclérose des cadres, une pléthore dans les directions centrales…surtout la concentration du personnel à Brazzaville » [22].

Il va donc falloir rendre opérationnel la déconcentration de l’administration forestière et désemplir les directions centrales de Brazzaville, siège du MEFE où l’on note une multitude des directeurs. Cette situation illustre un schéma classique d’administration fonctionnant plus pour elle-même que pour les missions qui lui sont confiées.

Par ailleurs, lorsque les nominations aux postes de responsabilité dans l’administration forestière congolaise relèvent beaucoup plus de l’appartenance ethnique et de l’opportunité politique que des compétences, il peut s’ensuivre que les mauvaises habitudes prises à tout point de vue vont créer un climat peu propice à l’efficacité d’autant que le système fonctionne sans sanction [23].

Les capacités de contrôle du ministère sont insuffisantes. Comme la plupart des ministères, ses représentants sont quasiment absents au nord du pays. Les fonctionnaires ne sont pas payés pendant de longues périodes, ce qui non seulement les démotive sérieusement mais signifie aussi qu’ils doivent rechercher d’autres sources de revenus ; cette situation facilite la corruption.

En outre, le déficit de personnel technique et administratif qualifié dans l’administration forestière congolaise constitue un écueil dans l’exercice des missions assignées aux directions régionales. Dans le souci de performance, l’administration forestière doit se doter des moyens à la dimension de ses attributions. Aussi est il urgent que ces directions soient renforcées en moyens humains, matériels et financiers. Les directions régionales ont une mission d’exécution et d’encadrement.

Cependant, le diagnostic de la politique forestière montre une absence totale de contrôle et d’évaluation par manque d’expertise nationale au point où il n’existe pas de véritable contrôle et suivi réel des plans opérationnels nécessaires pour guider l’action interne de l’Etat comme son action externe [24].

L’administration forestière ne doit pas être un service autonome qui ne soit pas placé en position d’avoir à collaborer et même à rendre des comptes systématiques et fréquents à d’autres instances autrement ce ministère n’aurait pas de sens [25]. La seule existence de L’IGEFE ne suffit pas, faudrait-il que cette institution ait les moyens nécessaires d’accomplir ses missions.
La « dépolitisation » de l’administration congolaise est une des conditions pour améliorer sa performance et son efficacité. Aussi conviendrait-il que les services forestiers soient étroitement surveillés par un organisme indépendant afin d’éviter les abus de pouvoir. Il est souhaitable que l’IGEFE joue un rôle déterminant dans la lutte contre la corruption et la fraude forestière. Cependant, pour le commun des congolais la vulnérabilité des massifs forestiers est due au manque de vigilance des gardes forestiers.

Sur le terrain, le corps d’agents des eaux et forêts n’accomplit pas véritablement les missions qui lui sont assignées faute de moyens inhérents. Par ailleurs, conformément à l’article 6 du décret n° 2002-433, nombre d’agents de ce corps paramilitaire exerce dans l’administration centrale et dans d’autres organismes sous tutelle du ministère, donc loin des réalités forestières. Cette option ne contribue pas au renforcement de la protection forestière par les agents assermentés. C’est en cela que des critiques sont émises dans le fonctionnement du corps d’agents forestiers.

Pendant plusieurs années le corps d’agents des eaux et forêts n’a jamais organisé des formations de recyclage pour les gardes forestiers. L’initiative n’a repris qu’en 2005. En matière institutionnelle, le renforcement des capacités opérationnelles de l’administration forestière par la formation, le recyclage et le déploiement des agents sur le terrain ainsi que la dotation des structures régionales de pouvoirs plus étendus et de moyens d’intervention réorganiseraient le corps des agents des eaux et forêts en accord avec la pratique du métier dans d’autres pays du Bassin du Congo. Pour se faire, il faudrait doter les agents forestiers de moyens de transport, de matériels et équipements pouvant servir à la recherche et à la constatation des infractions.

Les agents des eaux et forêts possèdent des pouvoirs de saisie importants. De fait, ils peuvent saisir tous les biens ou produits trouvés en infraction et les instruments, voitures et attelages des auteurs d’infractions. En outre, des primes devraient être allouées aux gardes forestiers pour une bonne exécution de leur pouvoir et surtout pour atténuer le libre cours à la corruption par les braconniers.

Il a été signalé qu’au Congo, les gardes forestiers intimidaient souvent les populations locales et ils autorisaient leurs anciens collègues braconniers à passer gratuitement aux postes de contrôle et confisquaient les petits gibiers attrapés par les populations locales pour leur survie. Ce système a crée une méfiance et des antagonismes entre certains défenseurs des ressources naturelles et les populations autochtones. Dans certains endroits, la pratique a renforcé la position de certains braconniers ayant des relations haut placées et auxquels des trophées sont commandés.

Par ailleurs, force est de constater qu’au Congo, les agents des eaux et forêts ne sont plus recrutés depuis près de deux décennies. Le manque de personnel dans ce domaine est criard [26]. La rigueur dans l’application des lois en vigueur, leur renforcement et la mise en place des mécanismes de contrôle d’exécution de ces lois exigent des effectifs suffisants.

Toutefois, l’agent forestier doit cesser de se considérer comme gendarme mais plutôt comme agent de développement pédagogique, conseiller auprès des usagers de la forêt, tout en réprimant les infractions à la législation et à la réglementation forestière en vigueur. En effet, sanglé dans son bel uniforme vert, képi sur la tête et pistolet à la hanche, voilà notre forestier devenu gendarme de la brousse. Il ne peut s’empêcher d’abuser un peu de ses vastes pouvoirs dont il est investi d’autant plus qu’il est souvent seul, loin de ses chefs.

Pour remédier à cette mauvaise image des gardes forestiers, en République centrafricaine, des directives ont été prises en vue d’amener les agents des eaux et forêts à perdre leur image d’agents de répression en devenant véritablement des agents de développement dans le monde rural.

De façon générale, les effectifs de l’administration forestière disponibles s’élèvent à 700 personnes environ, en majorité des cadres supérieurs [27] ; autant de paramètres qui constituent un obstacle à la mise en œuvre de la politique forestière. Ce problème de déficit en moyens humains et matériels se pose également avec acuité au Gabon où en moyenne, un agent du ministère supervise 86.400 hectares de concessions forestières.
Comme tout service de contrôle, l’administration forestière prend le territoire en charge et doit être présente à tout moment pour délivrer les permis, contrôler les exploitations et les feux de brousse, constater et sanctionner les délits etc. Finalement, il faudra peut être compter avec l’implication des structures dites d’appui.

L’action controversée de la Banque Mondiale

Pendant longtemps il ne s’est établi aucun lien entre l’aide au développement et la protection de l’environnement. Les pourvoyeurs d’aide, la Banque Mondiale en l’occurrence a financé des projets dont on mesure aujourd’hui les conséquences écologiques désastreuses (exploitation pétrolière, extraction des minerais, construction des routes et barrages, exploitation forestière…).

C’est seulement à partir de 1970 que l’on remarque un peu partout le premier verdissement. Celui ci est la résultante de l’action conjuguée entre d’une part l’opinion publique et les politiques des pays occidentaux, et la portée de la conférence de Stockholm de 1972 d’autre part [28].

Le principe 25 de la déclaration de Stockholm demande aux Etats de « veiller à ce que les organisations internationales jouent un rôle coordonné, efficace et dynamique dans la préservation et l’amélioration de l’environnement ».
Selon un rapport indépendant publié [29], les programmes subventionnés par la Banque Mondiale causent la destruction des forêts restantes du monde. Ce rapport souligne que la Banque Mondiale n’a pas appliqué sa propre politique de sauvegarde des forêts adoptée en 2002. En effet, la Banque mondiale a adopté une nouvelle politique forestière avec pour objectif de mettre en œuvre une gestion plus responsable des forêts et créer un marché intégrant des dimensions écologiques et sociales. Mais quatre ans après, les ONG pointent les faiblesses de cette politique de sauvegarde.

Le rapport dénonce un manque de transparence autour du comité consultatif externe de la Banque Mondiale qui est censé fournir le conseil indépendant sur l’application de la politique de la forêt de l’institution. Les changements de politique pour promouvoir l’exploitation forestière dans les pays du Bassin du Congo ont été avancés avec l’assistance de l’institution internationale sans la consultation publique exigée et sans les mesures pour obtenir les droits des communautés locales.

Il se dégage de toute évidence que la Banque Mondiale continue d’être un acteur majeur dans la destruction des forêts et pousse les peuplades de la forêt dans l’expropriation et la pauvreté [30]. Sur ces entrefaites, l’on constate que la Banque Mondiale semble ne rien avoir appris de ses incursions désastreuses dans les forêts des pays tels que le Cameroun et le Gabon et est maintenant entrain de faciliter la destruction des forêts de la République Démocratique du Congo [31].

Eu égard de ce qui précède, il y a lieu d’observer une dichotomie entre la politique de protection et de gestion durable des forêts et le souci de développement économique. A la vérité, ce sont les gouvernements des pays du Bassin du Congo qui « colonisent » leurs forêts pour des fins de développement économique comme l’ont fait le Brésil pour l’Amazonie et l’Indonésie pour ses forêts. La Banque Mondiale finance des projets/programmes qui contribuent plutôt à l’accélération de la déforestation, à l’expropriation des populations [32].

La Paralysie dans la Production Forestière :

" A l’allure où les chinois coupent le bois ici, il faut craindre la disparition de certaines espèces devenues rares dans le massif du Chaillu d’ici quatre ans ". Le paysan qui donne cet avertissement à propos des coupes illégales du bois par les exploitants forestiers, notamment asiatiques, dans le Niari, au sud ouest du Congo, n’est pas le premier à le faire [33]. On évoquera les modalités irrationnelles d’exploitation forestière( paragraphe1). Malheureusement les structures de reconstitution de ces forêts ne sont pas dynamiques, les performances sont mitigées (paragraphe 2).

L’exploitation effrénée par les entreprises forestières

Mise en exploitation depuis près de cinq décennies, le massif du Chaillu au sud ouest est longtemps resté la zone productrice de bois à cause de la proximité du port maritime de Pointe Noire. Aujourd’hui, des dizaines d’entreprises forestières opèrent au Congo jusqu’aux confins du nord. Il importe d’abord d’évoquer les faiblesses des autorités face à ces entreprises, ensuite de mettre l’accent sur la nécessité d’une exploitation économique durable.

Les faiblesses des autorités face aux entreprises forestières

Les opérateurs économiques sont les principaux auteurs de la déforestation. De ce fait, il parait opportun de les impliquer en aval plus particulièrement les industriels exploitants, intéressés à assurer durablement leurs sources d’approvisionnement [34].
Dès 1998, le président de la République a recherché activement des sociétés multinationales forestières pour reprendre l’exploitation des forêts nord du pays. La plupart des concessions [35] non octroyées précédemment ont maintenant été allouées et les institutions para étatiques ont été privatisées. Les forêts du nord sont entrain de devenir de plus en plus importantes pour la production de bois. Les deux essences les plus recherchées sont le Sapeli et le Sipo [36].

Les sociétés allemande (Danzer) et française (Rougier) se sont vu accorder des concessions dans le nord du pays. La concession accordée à Rougier est controversée. En effet, cette société forestière a bénéficié d’une importante marge de manœuvre pour négocier les volumes de bois et les taxes. En 1999, une concession de 370.000 ha a été accordée à Rougier à des conditions généreuses si bien que la société a récupéré ses dépenses d’investissement en un « laps de temps » et n’a payé qu’un tiers des redevances habituelles au gouvernement.

Quant à la société forestière allemande Danzer, elle a eu à exposer en plein conseil d’administration, sa stratégie de corruption en Afrique centrale sans susciter la moindre indignation de ses administrateurs qui connaissent pourtant les rigueurs de la réglementation nationale ou communautaire en matière de corruption des agents publics étrangers. Depuis la publication de ce rapport en 2003 par Greenpeace, aucun gouvernement africain ou européen n’ait à ce jour pris de mesures contre le groupe Danzer ou ses filiales et partenaires locaux [37].

Au nombre des faiblesses du Congo forestier figure le manque d’autorité de l’administration forestière congolaise marquée par son inefficacité et ses mauvaises habitudes notamment la corruption qui s’est érigée en règle dans ses rapports avec les acteurs économiques [38]
au point où il est difficilement envisageable pour l’Etat d’administrer des sanctions administratives.
Selon Greenpeace, le gouvernement congolais avait même accordé des concessions à Gus Kouwenhoven du nom de ce trafiquant notoire de bois des forêts libériennes, trafic et pillage de bois qu’il opérait en échange d’achats et livraisons d’armes de guerre au régime de Charles Taylor l’ex président du Libéria. Ces concessions ne furent annulées que suite à l’arrestation du trafiquant qui était sous mandat d’arrêt international lancé par les Nations Unies.

Il convient d’observer que selon l’article 148 du décret N°2002-437 du 31 décembre 2002, les candidatures à l’exploitation par convention sont suscitées par appel d’offres et ces candidatures sont sélectionnées par une commission forestière [39]. L’article 158 du décret N°2002-437 reconnaît à l’administration forestière le droit de mener une enquête de moralité sur le postulant.

Par ailleurs, l’administration est « en droit d’assortir les autorisations des conditions que bien entendu leurs titulaires devront respecter sous peine qu’elles leurs soient retirées ; et dont elle est elle même tenue de leur imposer le respect, notamment dans l’intérêt des tiers [40] ».

En outre, il manque souvent au gouvernement la capacité de développer les infrastructures sociales particulièrement au nord du Congo. Ainsi, les projets de développement social sont souvent précisés dans le contrat passé entre le gouvernement et les sociétés d’exploitation forestière sous le nom de cahiers de charges. Les projets comprennent la construction de routes, d’écoles et de dispensaires.

Dans certains cas, ces projets sont mis en œuvre à la place du paiement d’impôts par l’entreprise sous contrat avec le gouvernement et sont donc à la charge de celle ci.
Le gouvernement a eu à suggérer aux sociétés forestières d’employer d’anciens membres des milices (qui se sont affrontées pendant la guère politico militaire) pour aider à leur réintégration dans la société congolaise. L’initiative gouvernementale de faire recruter un personnel non qualifié, qui plus est, parmi les « seigneurs de guerre » pourrait elle contribuer à une exploitation économique durable ?

Pour une exploitation économique durable

L’Agenda 21 exhorte les Etats « à une meilleure gestion de la production de bois pour faire reconnaître les valeurs sociales, économiques et écologiques de l’arbre. On constate que le texte cherche à promouvoir une meilleure exploitation commerciale plutôt qu’une réelle conservation, le souci constant étant de canaliser les pays producteurs vers une gestion plus rationnelle de cette ressource.

Cependant, cette technique des petits pas a au moins permis d’aborder la question, ce qui naguère était impossible [41] ». L’accent devrait être mis sur la sauvegarde de la biodiversité, la gestion rationnelle des ressources naturelles et sur la modification des modes de consommation et de production. Pour assurer un développement durable, il faut promouvoir les valeurs qui faciliteront un type de consommation dans les limites du possible écologique et auquel chacun peut raisonnablement prétendre.

Ainsi, l’exploitation non durable au Congo et dans les pays du Bassin s’est traduite par le déplacement des sociétés forestières de plus en plus loin dans la forêt primaire, au fur et à mesure que les concessions sont épuisées, et au fil du temps les activités d’abattage se sont déplacées de la côte vers l’Est pour abattre seulement les meilleurs arbres de quelques essences de grande valeur.

En outre, ces sociétés tracent des routes sur de vastes zones de forêt inaccessible auparavant. Cette pratique facilite l’afflux de populations à la recherche d’emplois et ouvre la forêt à d’autres activités telles que la chasse commerciale de gibier et au défrichement à des fins agricoles. L’industrie forestière a facilité directement et indirectement une augmentation importante de la chasse commerciale et la faune a été décimée dans beaucoup de régions.

Dans son discours d’ouverture lors du deuxième sommet sur le Bassin du Congo à Brazzaville, le président congolais Dénis Sassou Nguesso affirmait : « notre époque est particulièrement marquée par de graves menaces et atteintes à l’environnement global, consécutive notamment à l’exploitation inconsidérée des ressources naturelles disponibles et au développement d’industries peu soucieuses de préserver l’intégrité du milieu… ».

En effet, la plupart des sociétés forestières, surtout étrangères opérant au Congo, foulent aux pieds les normes d’exploitation forestière instituées par le gouvernement qui curieusement brille par son laxisme. En outre, ces sociétés exportent des grumes qui sont déroulées ou débitées dans les pays acheteurs. Ainsi, les Etats africains perdent l’avantage des industries qui pourraient s’installer sur leurs sols [42].

Les paysans congolais reprochent constamment aux entreprises privées, telles que la société chinoise Man Faï Taï et la Malaisienne Taman Industries, d’être responsables des coupes illégales du bois dans la région du Niari. Ces exploitants coupent chacun plus de 200 pieds par jour alors que le quota autorisé ne doit pas dépasser 100 pieds.
Plus dramatique, c’est le fait qu’elles rasent aussi les jeunes plants sans reboiser, dénonce l’Observatoire Congolais des Droits de l’Homme (OCDH) qui a effectué une tournée dans les chantiers de ces sociétés asiatiques dans le Mayombe et le Niari [43].
Or, le code forestier congolais n’autorise à l’exploitant forestier de prélever le bois que suivant un volume dit « Volume Maximum Annuel »(VMA), et sur une surface de coupe bien déterminée appelé « coupe annuelle ».
L’exploitation économique durable suppose aussi que les opérateurs ne procèdent pas aux coupes abusives du bois s’effectuant à l’aide d’une impressionnante armada composée de tronçonneuses, tracteurs à pneu et à chenille, débroussailleuses, de chargeurs et de niveleuses, sans compter plusieurs dizaines de camions grumiers comme c’est tristement le cas dans les forêts congolaises et du Bassin.

Le Commerce illicite des produits forestiers vers l’extérieur

En 1998, le président de la République a annoncé que les sociétés d’exploitation forestière n’étaient plus autorisées à exporter des grumes et que toutes les sociétés devraient présenter un plan pour la transformation du bois. Jusqu’en 1997, le Congo possédait 30 unités de transformation mais seules cinq ont la capacité d’exporter. Les grumes constituent encore la majorité des exportations.

En 1997, les exportations de grumes du Congo s’élevaient à 257449 m3. Les exportations de bois sciés étaient de 37930 m3, les exportations de placages de 41666 m3 et 2613 m3 pour le contreplaqué. En 1999, les exportations de grumes s’élevaient à 203544 m3 ; les exportations de produits de placages de 16540 m3 et les exportations de contreplaqués étaient nulles. Au début des années 1990, les exportations de bois à pâté de plantations étaient importantes avec 670.000 m3 en 1990, mais elles sont depuis en déclin car les plantations sont épuisées. Depuis 1984, le Sapelli et l’Okoumé représentent 60 à 65% du total des exportations. [L’Ayous, le Bahia et le Sipo sont les essences commerciales les plus recherchées après le Sapelli et l’Okoumé [44].

L’Union Européenne(UE) est la principale destination des exportations de bois du Congo. La France, l’Allemagne, l’Italie, le Portugal et l’Espagne étant les importateurs principaux. Selon l’ONG britannique Greenpeace, l’UE importe 40% de bois en provenance des pays tropicaux. Quantité de ces bois emprunte des circuits illicites. L’ONG demande à l’UE de stopper la libéralisation tout azimut du bois et d’introduire une espèce d’accord entre l’Union et les pays tropicaux qui institue les licences attestant les exportations licites de bois. En dehors de l’UE, l’importateur principal du Congo est le Japon. D’ailleurs, l’entreprise EFC produit des rondins d’Eucalyptus et des fibres destinés à l’exportation vers les pays d’Asie. Elle a une capacité de production de 400.000 à 600.000 copeaux par an [45]. Malheureusement, des volumes importants de grumes provenant de concessions attribuées sortent clandestinement par le nord du pays. Les statistiques sur ces massacres écologiques sont difficiles à obtenir [46].

Dans le contexte de la mondialisation le gouvernement congolais devrait opter pour une stricte observation et veiller au respect du principe du label-vert ou éco-label qui veut que tous les produits forestiers faisant l’objet de transactions commerciales proviennent de forêts durablement aménagées. Cette prise de conscience écologique, contribue à lutter en amont pour une économie plus respectueuse de l’environnement [47]. Ce faisant, le SCPFE doit faire montre de rigueur dans les missions qui lui sont assignées en participant au processus de la certification forestière, en signant les documents d’exportation des produits forestiers licites et en empêchant l’exportation des produits illicites. La question qui mérite d’être posée est celle de savoir si ce service peut véritablement rendre opérationnelles les missions qui lui sont dévolues.
Dans le souci d’une valorisation des ressources forestières, la loi congolaise promeut l’institutionnalisation d’un cadre juridique approprié pour assurer la gestion durable des ressources forestières sur la base d’un aménagement rationnel des ressources [48].

L’urgence d’une planification efficiente du développement
régional intégré

Conformément à sa politique forestière, les ressources forestières du Congo doivent participer au développement des régions. En effet, la probabilité d’une gestion et protection durable sera considérablement améliorée si la population locale partage les avantages de l’exploitation de la forêt par l’Etat et si d’autres mesures sont prises pour garantir que ses besoins fondamentaux sont satisfaits [49]. Quoique l’administration locale bénéficie d’une gratification très aléatoire par les sociétés forestières, en terme de contribution au développement régional intégré l’on ne peut parler de partage équitable des bénéfices issus de l’exploitation forestière.

Par ailleurs, il n’existe pas de véritables plans de développement régionaux sur lesquels devraient se baser la planification globale de développement du secteur forestier. Les activités forestières s’y mènent parfois sans cohérence.
Ce qui est frappant c’est que la planification forestière n’ait pas prise en compte l’existence des autres secteurs socio-économiques. Par conséquent, la stratégie consisterait par la mise en place des plans de développement régionaux cohérents qui intègrent les autres composantes de la vie économique.

La transformation des bois au niveau régional telle que prévue dans la politique forestière devrait se concrétiser. Une bonne exploitation des forêts permet de créer des emplois, en mettant au premier plan la transformation locale du bois. C’est le meilleur outil de lutte contre la pauvreté. Les activités de foresterie communautaire et d’agroforesterie ainsi que la promotion des élevages et de la conservation de la faune sont des secteurs à développer. Ces actions auront pour finalité la création des aires de développement régionaux.

La notion de partage équitable des avantages tirés de l’exploitation des ressources a été consacrée dans la convention sur la diversité biologique de Rio 1992.
L’équitabilité du partage des bénéfices découlant de l’exploitation forestière suppose que les droits fonciers [50] et les droits d’accès à la ressource biologique assurent ou garantissent un partage équitable desdites ressources. Mais peut-on demander à la communauté locale de s’opposer aux entreprises forestières qui ont déjà obtenues par la corruption des passe-droits auprès de personnages éminents de Brazzaville ?
C’est ici que les conflits des droits d’usage et d’exploitation sont exacerbés.

Cependant, il s’agit de créer de véritables pôles de développement régionaux [51] par l’installation des entreprises forestières. Au Congo, les grands centres urbains tels Pointe Noire et Dolisie sont les plus avantageux avec l’implantation de la société d’Eucalyptus et de nombreuses usines de transformations de bois( à Pointe Noire) et de Socobois( à Dolisie). Les autres petites régions pourtant forestières demeurent enclavées. Le désenclavement de l’arrière pays prôné au Congo dans le cadre du plan quinquennal (1982-1986) était un échec. Par ailleurs, le système de cahier des charges doit être repensé. Le pétrole que regorge la ville de Pointe Noire [52] n’a pas contribué au développement de cette ville.

Pour ce qui est de la définition des grands objectifs de développement au niveau des régions, le Congo peut s’inspirer de l’initiative en cours au Bénin sur le projet de développement des espaces partagés ou territoires de développement. Ce sont des territoires de projets ; il s’agit des entités territoriales regroupant sur une base consensuelle deux ou plusieurs communes contiguës partageant les mêmes réalités géographiques, historiques, culturelles, économiques et porteuses d’un développement local [53]. Ainsi, de 77 communes que compte le Bénin, ce pays disposera probablement de 21 territoires de développement. Il ne s’agit pas d’un nouveau découpage, il faut tout simplement transcender les limites administratives. L’Etat prendra des actes juridiques pour reconnaître les territoires de développement dont l’acte de naissance est une charte de développement durable. Les communes associées créent une agence territoriale de développement. En se regroupant, les communes gagneraient en ressources naturelles, en compétences techniques et en mobilisation des ressources financières pour l’exécution des projets de développement.

En revanche, « l’opération municipalisation accélérée » actuellement en cours au Congo comporte un versant plus politique : la départementalisation. C’est un projet qui consiste à créer huit départements supplémentaires qui s’ajouteraient aux onze existants [54]. Cependant, il est unanimement admis que toute perspective d’aménagement du territoire raisonnable doit se soucier de son impact écologique à plus ou moins long terme. Sous cet angle, la problématique de la territorialisation est devenue un acquis de politique publique [55].

Le projet d’intercommunalité permet de jeter une nouvelle base de développement endogène et durable. Cela permettra à un pays tel le Congo s’il s’en inspirait avec la morosité économique actuelle de passer d’un Etat entrepôt à un Etat productif en créant la richesse afin de parer à l’extrême pauvreté, plutôt que de se focaliser sur les stratégies et schémas des institutions internationales tels les objectifs du millénaire pour le développement et le document stratégique de réduction de la pauvreté qui ne peuvent en réalité assurer le développement d’un pays. Enfin, La planification devrait offrir les moyens d’aboutir à plus d’efficacité et de solidarité. Cependant, la mise en place des plans de développement régionaux sera efficace si la politique de décentralisation territoriale se révélait efficiente.

La décentralisation territoriale : un modèle efficace de gestion

Pendant longtemps, de 1963 à 1992, le Congo a adopté un régime politique d’inspiration soviétique ; c’est un pays où la tradition centralisatrice fut assez poussée [56].
Le phénomène de la décentralisation touche l’Afrique au sud du Sahara [57], c’est un système d’administration consistant à permettre à une collectivité humaine de s’administrer elle-même sous le contrôle de l’Etat, en la dotant de la personnalité juridique, d’autorités et de ressources [58].

Actuellement, la décentralisation territoriale telle qu’elle est envisagée par les autorités congolaises est insuffisante. Elle n’est pas appliquée stricto sensu. Le peuple ne se dote pas des dirigeants de son choix. La célèbre réflexion d’Alexis de Tocqueville à ce sujet se conforte : « c’est dans la commune que réside la force des peuples libres [59] ». En effet, le système politique au pouvoir redoute que par la véritable règle du jeu démocratique qui aboutit aux élus locaux, les grandes communes et régions majoritairement acquises à l’opposition ne se transforment en des fiefs électoraux pouvant faire ombrage au pouvoir central.

La décentralisation est présentée comme une clé pour le développement local c’est à dire, l’amélioration des conditions pour les groupes marginalisés de participer à la prise de décisions avec une approche participative basée sur la gestion par les bénéficiaires. Il est un secret de polichinelle qu’au Congo, les ressources naturelles sont mal gérées. Le constat qui se dégage c’est l’inéquitable répartition des richesses nationales.
Une minorité, s’accapare des revenus des ressources pétrolières [60]. Une société qui se veut démocratique tend à l’égalité du niveau de vie de ses citoyens ; à cette fin, elle recourt à une législation sociale qui assure à chacun le minimum indispensable et qui opère les péréquations et les redistributions nécessaires [61].

En se référant à la valeur des permis et aux taxes d’abattage payés par les exploitants forestiers, l’on s’aperçoit que le profit ou bénéfice est important. L’on constate que ces redevances et taxes alimentent le trésor public à travers son « fonds décentralisé » qu’est le fonds d’aménagement pour les ressources naturelles du ministère de l’économie forestière.

La décentralisation technique de l’administration forestière est utilisée dans le but d’alléger l’administration centrale et de lui faire bénéficier de la souplesse et du dynamisme des règles du droit commun en particulier dans les secteurs où des ressources doivent être mises en valeur et produire revenus et bénéfices pour l’Etat [62]. L’un des bénéfices qu’auraient pu tirer les populations précisément les collectivités décentralisées proviendraient de la redevance entrée usine comme par le passé. Malheureusement, cette redevance est actuellement abrogée par le gouvernement pour une période de 10 ans suivant les conventions d’établissement des sociétés forestières [63].

La mise en place effective des forêts communautaires permettra la décentralisation de la gestion forestière en la confiant aux communautés qui pourront de ce fait bénéficier des revenus issus des forêts. En dépit de l’existence du statut de forêt communautaire prévu par la loi forestière, l’absence de sécurité foncière au profit des communautés gestionnaires, vide cette disposition d’une partie de son contenu.
Avec la décentralisation, le principe de la libre administration impose le respect des compétences de chaque collectivité territoriale [64]. C’est un mode de gestion qui assure une protection efficace de l’environnement, qui implique les populations à la base dans le processus de sauvegarde de notre écosystème [65]. Il serait à cet égard insuffisant de ne donner des compétences qu’à des directions régionales de l’économie forestière et de l’environnement.

Par ailleurs, la décentralisation est une modalité de mobilisation des populations en vue d’un développement durable. En effet, si les acteurs locaux deviennent vraiment maîtres de la gestion de leur terroir, il est clair qu’ils vont s’en occuper en « bon père de famille » de façon à ne pas l’hypothéquer afin d’assurer leur propre survie. La communauté peut élaborer ses propres règles de gestion. Les communes procèdent par l’adoption de « chartes communales d’environnement » ou de plans municipaux d’environnement [66]. L’Etat central doit reconnaître cette législation locale et le droit de la communauté d’en imposer le respect à tous ceux qui souhaitent accéder à la ressource et non contraindre les communautés à se couler dans le moule uniforme d’une législation nationale dont certaines dispositions peuvent être contreproductives à l’échelon local.

La décentralisation est aussi une politique qui renforce les bases de la coopération en matière environnementale. La coopération décentralisée ou « jumelage » qui est la coopération de collectivité locale à collectivité locale a beaucoup d’avantages dans le domaine de la protection de l’environnement.

Conclusion :

Si la forêt doit maintenant être considérée comme une richesse mondiale, soit comme source de bois, soit comme protectrice de la vie agricole du globe terrestre…, le monde doit la gérer comme le père de famille gère le capital qui lui est confié, du moins il doit aider de tout son pouvoir à cette saine gestion. La forêt est le lieu de vie des peuples des forêts qui sont les plus pauvres de la planète et les plus fragiles face aux progrès de la globalisation.
Dès lors, il s’agit d’impliquer réellement tous les acteurs (collectivités territoriales, ONG, associations et populations locales…) dans la gestion forestière puisqu’on a suffisamment insisté par ailleurs sur le principe d’une nécessaire association de ceux ci à la politique forestière et cela à tous les niveaux. Il ne servirait en effet à rien de monter un dispositif de protection et de gestion si structuré soit il si les populations prétendument bénéficiaires n’en étaient pas eux même partie prenante.
Certains pays comme le Cameroun, la Guinée Equatoriale et récemment le Gabon, offrent aux populations les possibilités d’accéder aux forêts communautaires. Au Congo, la nouvelle loi forestière autorise aux populations de créer des plantations communautaires. Toutefois, le rôle des populations reste encore imprécis.

Le développement durable apparaît de plus en plus aujourd’hui comme l’ultima ratio des politiques. Quoiqu’il en soit des polémiques sur le concept de développement durable, un nouveau vocabulaire est intégré avec une légitimité montante dans les textes qui définissent les voies et moyens de l’action publique : principe de précaution, gestion des risques, respect des générations futures ou encore démocratie participative figurent désormais en bonne place dans la plupart des documents de planification spatiale.

Par ailleurs, le caractère souvent irréparable des dommages causés à l’environnement impose d’en prévenir la survenance [67]. Le devoir de prévention se traduit par un certain nombre d’obligations à la charge des Etats qui font l’objet de normes de plus en plus contraignantes regroupées sous l’appellation de principe de précaution.

Au total, des contraintes majeures subsistent à tout point de vue dans l’exploitation forestière au Congo. Au niveau institutionnel l’on observe une faiblesse de communication entre les institutions au niveau national.
L’environnement est un domaine transversal qui nécessite un comité interministériel élargi. Il y a un manque de relais entre l’administration centrale basée à Brazzaville et l’administration locale par l’insuffisance du personnel affecté dans les institutions en charge de la gestion des ressources forestières.

Parallèlement, il y a une mauvaise utilisation de l’expertise nationale pour la mise en œuvre des programmes en relation avec la protection de l’environnement.
Les conditions devraient être créées pour permettre l’implication active des compétences nationales dans la recherche des solutions en rapport avec la conservation des forêts congolaises.

Sur le terrain, l’on observe une difficulté de l’administration forestière à faire appliquer certaines dispositions législatives et réglementaires en vigueur.
La législation est complexe, parfois contradictoire et ses termes mal définis. La réglementation, sévère dans les textes, est finalement laxiste dans les faits. L’application de la législation est relativement faible principalement à cause de l’insuffisance des moyens humains et matériels et surtout du fait de la corruption.

On note une absence d’internalisation et une faible appropriation des conventions internationales en relation avec les arbres et les forêts que le Congo a ratifiés et qui ont pour objet à un titre ou à un autre la conservation de la biodiversité. Il manque à ce jour de textes d’application, des lois et des plans et stratégies concernant ces conventions. Enfin, l’insuffisance de sensibilisation du public sur les questions environnementales est préjudiciable pour les forêts congolaises.

La génération qui jouit de cet immense capital devrait l’améliorer pour la génération qui suivra. Voilà le paradigme éthique : penser désormais l’humanité au futur. On peut se demander si la tradition philosophique recèle les fondements nécessaires pour tenter d’assurer cette idée de devoir à l’égard des générations futures. Il nous semble pouvoir dire que chez Emmanuel KANT, le concept de l’humanité recèle des potentialités qui nous permettent de penser une responsabilité à l’égard des générations à venir [68].

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