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Illusions perdues

Congo : 60 ans d’Indépendance pour rien


« L’indépendance n’est pas un état de choses. C’est un devoir » VACLAV HAVEL

Au moment de son accession à la souveraineté internationale, il foisonnait pour notre pays, d’innombrables raisons de fonder un espoir en un avenir de prospérité. Contre toute attente, 60 ans plus tard, on nous propose un tableau d’une extrême mocheté qui n’a d’égale que la laideur morale des ceux qui à un moment ou un autre, avaient entre leurs mains les destinées de notre pays.

Dans un monde globalisé en pleine effervescence, les valeurs démocratiques ne sont plus l’apanage des pays développés, elles s’enracinent à travers le monde sous la houlette de certaines bonnes volontés. Dans un contexte irrémédiablement plombé par un tribalisme institutionnalisé, le génie du peuple congolais ne trouve toujours pas les conditions de son éclosion ni de son envol. La prise en compte des conditions matérielles d’existence de tous les Congolais, ne sont ni en projet ni garanties.

Cette grande désillusion rend nos aînés nostalgiques de la période coloniale. Or, l’histoire de la colonisation du Congo reste un long cauchemar fait de l’écrasement continuel des peuples privés de la plupart de leurs droits. Elle fut une opération de broyage de nos cultures qui finit par détruire une grande partie de nos repères identitaires. D’aucuns restent dubitatifs quant à la capacité du congolais à prendre le train de la démocratie et du progrès social. Face à cette résignation maladive et généralisée, c’est encore l’histoire qui vient à la rescousse de notre honneur.

À travers les écrits du missionnaire Giovanni Antonio Cavazzi (Cavazzi a., 1732) qui fut envoyé deux fois au royaume kongo en 1654 et en 1670, on apprend avec fierté que chez nos ancêtres, les kongo précoloniaux, sur le plan de prestige social, le Noir passe avant le Blanc. Ainsi à la fin du xv e siècle, le roi de kongo et son peuple ne se firent baptiser que parce qu’ils estimaient que la religion des blancs était un moyen d’élargissement de leur connaissance pour améliorer les conditions d’existence des humains.

C’est à la faveur des contacts soutenus avec les Blancs qu’il y eût redistribution des hiérarchies renversées et leur redonner le rang que d’abord les kongo leur avaient refusé.

Notre pays regorge actuellement des intelligences dans des domaines inimaginables éparpillées à travers le monde, et il a engrangé d’énormes recettes pétrolières ces quinze dernières années. Paradoxalement il est dans un piteux état. La société et les cultures sont éclatées, mutilées. Ces savants congolais n’attendent qu’une opportunité pour rassembler les fragments de notre pays pour lui donner une image susceptible d’asseoir des perspectives plus lisibles.

La résistance n’est plus ce qu’elle était

Le peuple congolais au passé glorieux est, désormais curieusement, plongé dans une espèce d’hébétude dont il a tant de mal à se réveiller. On ne peut autrement expliquer un tel état de fait que par les incohérences des discours, la lenteur de l’action et la décision lorsqu’il s’agit d’actes ce courage ; la couardise, la pusillanimité, l’instrumentalisation des ethnies, l’insuffisance du rêve et la peur du risque sans lequel il est irrationnel d’envisager quelque chose de grand.

A un assourdissant silence public, s’ajoute le vacarme de l’indifférence. Les sporadiques manifestations de la diaspora troublent l’indolence commune, mais ne parviennent pas à soulever le couvercle plombé de l’aboulie nationale. Reste donc à balancer un énorme pavé dans les douves de la politiques pour que tous les congolais, dessillés par les éclaboussures jettent enfin un regard sur ces cloaques.

On est presque surpris que dans des conditions extrêmement difficiles, MABIALA MA NGANGA et André MATSOUA eurent fait florès en bravant l’ordre colonial alors que les congolais du 3e millénaire, disposant des moyens de communication les plus modernes, continuent à subir tant de frustrations pendant une longue période de désordre et d’angoisses existentielle ouverte par un pouvoir putschiste qui n’a aucune intention de lâcher prise. Comme un arapède accroché à son rocher, ad vitam aeternam.

Constitution taillée sur mesure

Après 60 ans d’indépendance, on nous impose un Congo où le clan familial détourne impunément l’exclusivité des recettes pétrolières à travers les sociétés écran établies dans les paradis fiscaux, alors que le peuple congolais s’enfonce chaque jour dans une misère effroyable. On nous impose un Congo où les constitutions changent au gré des stratégies personnelles des hommes politiques, c’est ainsi qu’un putschiste abroge la constitution élaborée en toute indépendance par les congolais, pour la remplacer par une autre, taillée sur mesure, qu’il finit par jeter aux orties et impose dans le sang une plus vicieuse, mais qu’il ne daigne même pas respecter. On nous impose un Congo où la quête du pouvoir et s’y maintenir devient un combat sans merci, tout adversaire devient un comploteur en puissance. On nous impose un Congo où, un régime disposant de tous les pouvoirs est incapable d’organiser des simples élections dignes, justes et transparentes. Il pousse l’impudence à l’extrême en nommant ses « députés ». Bref, on nous impose un Congo où tout va à vau-l’eau comme si le suicide collectif était l’ultime alternative.

Quand Pierre Bourgault dit «  l’indépendance, ce n’est pas une récompense, c’est une responsabilité », il met en exergue la responsabilité qui nous incombe à tous, nous fils et filles de ce pays. Cette responsabilité nous condamne à refuser la résignation, mais surtout d’éviter que le Congo, ce bateau ivre ne sombre définitivement dans les flots de la médiocrité.

Qu’on ne se méprenne pas : l’Indépendance n’est pas un état des choses, ni une fin en soi. C’est une dynamique. Comme la liberté, elle n’est jamais acquise. Comme pour la démocratie, c’est un combat de tous les instants. Comme pour le progrès, c’est un devoir. C’est cette dynamique quasiment ontologique qui fait l’honneur des peuples qui se battent pour en faire une réalité.

L’universel démocratique se comprend précisément comme ce qui est en attente de contenu, en attente de sens, en instance de remplissage ou de complétude par et dans une histoire, une culture, une période ou une vision du monde particulière. Ce qu’on doit y mettre ne doit s’inscrire que dans un seul cadre : celui qui garantit le bien être de tous les congolais.

Echappatoires

On ne peut naïvement s’accommoder d’un avilissement général ni à des faux diagnostics du genre : manque d’argent, inadaptabilité de la démocratie à la diversité ethnique, baisse des cours de matières premières, opposition nuisible, ingérence française malsaine.. Ce sont des échappatoires. On est loin, mais alors très loin, mais surtout à mille lieues des solutions.

Une indépendance n’a de sens que lorsque l’on peut librement choisir les acteurs politiques capables d’inventer une stratégie de progrès réfléchie, cohérente avec les stratégies de différents sous-systèmes de la société congolaise. Au cas contraire, le désenchantement sera récurrent et notre indépendance politique n’aura servi à rien puisqu’elle ne nous aura pas permis de conjurer la chute dans l’abîme.

Djess Dia Moungouansi

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