par Dieudonné Nganga Mayala » Dim 21 Mars, 04 3:20
Itinéraire d'un enfant lari
En quoi le parcours d’un lari de base peut-il être différent de celui de quelqu’un d’ailleurs? Pourquoi avons des regards si différents face à notre société? C’est à cette question que je vais essayer de répondre en révélant à ceux que cela peut intéresser le parcours qui fut le mien.
Le père de mon père avait quitté Boko vers la fin des années 20 pour fuir une famille qu’il rendait responsable d’avoir décimé par la sorcellerie l’essentiel des êtres qui lui étaient chers. Il avait rejoint un de ses cousins, parti quelques années plus tôt dans le village de Ngangouoni, actuel Moukounzingouaka. Pas les cimetières de Kinsoundi. Le quartier de Moukoundzingouaka (du nom d'un cuistôt babeembe-téké) grand chef et élu de Brazzaville, proche de Youlou qui décéda en 1968) se trouve ntre l'ascna, le chateau d'eau et Bacongo Moderne.
Là il rencontra ma grand-mère, originaire des terres de Ngamaba (près de Mfilou); ils eurent 2 enfants dont mon père. Mon père est donc moitié kongo, moitié téké. Celui-ci perdit son père très tôt et fut élevé par les prêtres d’une mission catholique qui lui apprirent son métier : chauffeur de brousse. C’est au détour d’une escale près de Kindamba, qu’il rencontra ma mère à l’aube de l’indépendance. Celle-ci avait un père téké à 100%, originaire d'Ignié, forgeron et commerçant d'ustensiles domestiques il s'était installé dans les pays de Mpangala où il connut ma grand mère, une kongo mais balafrée. Plusieurs Kongo qui s'était installé en pays Téké au nord du Pool subir cette coutume pour s'intégrer dans leur nouvelle société. La propre mère du général Mackoumbou Nkouka qui est encore en vie (je crois) porte également de fines balafres téké, alors qu'elle est kongo 100%. Ce fut le cas de ma grand mère qui du reste, ne parlait pas un traitre mot de téké. Alors quand j'entends des nordistes prétendre que les laris ne s'intègrent pas, je dis qu'il s'agit soit d'ignorance soit d'un simple méchanceté.
Du couple kongo téké croisé, je naquis en premier, avant d’avoir 4 sœurs et 1 frère. Une de mes sœurs était atteinte de poliomyélite quelques mois après sa naissance, elle était donc paraplégique.
A l’aube de l’indépendance, mon père s’engagea comme fonctionnaire chauffeur pour la préfecture du Pool au district de Mayama, afin de s’installer définitivement près du village de ma mère.
Je suis né au village, à Vinza, dans les pays de Mpangala. Je m'en suis fait conspuer ici, par des gens imbu d'un complexe de supériorité, un certain clan de brazzavillois émigrés de la deuxième génération, fils de squatters et autres résidus de l’exode rural, qui se moquent de cette naissance dans les champs, parce que eux auraient fleuris dans un des bidons des terres de mes ancêtres. Une éducation signée au fer rouge « PCT », où l’exode rurale est vénérée, les fonctionnaires de brousse ouvertement sous-estimés même par des gens cultivés qui sont censés savoir tout le mal que nous coûte la concentration dans 2 villes. A partir d’un tel raisonnement, on peut aisément déterminer qui peut être fédéralisme, qui d’autre n’est bon qu’à poursuivre la merde sociale du P.C.T. Si on pousse plus loin on s’aperçoit même que nous ne concevons pas notre espace vital de la même manière. Brazzaville est chez nous au Pool, nos villages d'origines sont proches.Nous y naissons ou pas, mais nous y repartons très souvent. Les immigrés eux, honteux de leurs lointaines brousses depuis longtemps abandonnées ne veulent plus en entendre parler. Le développement de l'arrière pays par cette catégorie sera difficile. Même pour le développement de Brazzaville on ne peut pas compter sur eux, rien qu'à voir comment ils s'extasie sur leur bidonville. Il faut une évolution des mentalités et une redeverte de leur arrière pays qu'ils doivent assumer sans gêne.
A 6 ans, certainement pour me donner de meilleures chances, mon père demande une affectation à Brazzaville. Je connaissais Brazzaville depuis ma naissance, nous y allions souvent. Les jeunes de l’époque passaient souvent leurs vacances au village, ce qui faisait que j’avais déjà des amis à Bacongo quand nous arrivâmes pour nous y installer, et je connaissais ce qu’il y’avait à savoir de la ville. Je n’ai jamais été impressionné par la ville et franchement, je suis resté un homme de la brousse, très attaché à mes activités campagnarde et à la qualité de la vie saine et plutôt facile du village.
Mon père avait réussi une mutation pour la préfecture du Djoué. C’est ainsi qu’on appelait l’actuelle préfecture de Brazzaville, qui n’est pas une invention de Sassou comme beaucoup le croient. Mais à cause de son permis poids lourds, rare en ce temps là, il fut réaffecté au ministère de l’agriculture et le revoilà malgré lui reparti sur les routes de tout le pays. Nous ne connaissions pas les coups de pousse dans la famille pour se choisir son affectation. D’ailleurs mon père, éduquée par la mission catholique et honnête comme un I n’aurait jamais usé de ce genre de stratagèmes aujourd’hui impératifs dans l’administration congolaise au point d'avoir laissé 80% des fonctionnaires se choisir uniquement BZV ou P/N. Je me demande même si à l’époque cela existait.
Ma mère, étant donné que la maison de Bacongo était en construction et qu’elle s’y sentait à l’étroit, privée de ses champs, fut vite lassée de demeurer seule la plus part du temps, et décida en 1972 de repartir au village, à Boko cette fois-ci, où sa mère avait refait sa vie avec un malafoutier (fabriquant de vin de palme), ta Samba dia Nsongila. Mon père n’avait qu’à nous rejoindre quand il avait sa semaine de congé par mois.
Prenant cette décision, elle reçoit son premier avertissement de la part d’un voisin qui s'inquiétait de mon avenir: « Dieudonné ne réussira pas à l’école au village surtout avec ta permissivité. » Pas du tout citadine, ma mère décide tout de même de nous y emmener.
Ça durera 3 ans.
Que de bons souvenirs d’une vie paisible, où chaque instant est un apprentissage, rythmé par les visites de mon père, et les fêtes locales des brazzavillois venu à Boko, pour des mariages, enterrements et autres cérémonies familiales.
Contrairement à l’idée reçue, le village ignore la notion de tribalisme. J'ai pu le constater du nord au sud. On est fier d’être ce qu’on est, mais sans élément de comparaison avec les autres ni complexe de supériorité. Dès 1972, Ngouabi s’appliquait systématiquement à tribaliser la société politique. C’est l’époque de l’entrée des Sassou Nguesso en politique, avec toute la marmaille d’incapables qui l’accompagne, et l’époque des grandes purges administratives des cadres du Pool, quand ce ne sont pas les coups d’Etat réels et imaginaires qui sont autant de prétextes d’élimination physique. A chaque grande manifestation politique, Ngouabi se dotait d’un titre de plus. C’est ainsi qu’il s’autoproclamera commandant, parfois président du tribunal dans des procès dit révolutionnaires, chef de tout et de partout au mépris des règles administratives et constitutionnelles les plus élémentaires. Il a fallu moins de 3 ans à Marien Ngouabi pour ruiner toutes les structures de l’Etat, et toutes les règles du droit administratif et militaire. Il nommait tout le monde, révoquait tout le monde à sa guise, décidaient des poursuites ou pas, des peines à appliquer selon son gré. Si les congolais se souviennent que Youlou fut le premier et le seul président à avoir fait arrêter, juger et condamner un de ses ministres pour détournement de fond, ceux de mon âge ou aînés ne peuvent oublier que Ngouabi est le premier à avoir dénoncé l’enrichissement illicite des membres de son parti (le PCT, parti unique marxiste-léniniste et avant-gardiste) sans que ne s’en suive la moindre poursuite. Mais il n'avait pas tort sur cet enrichissement car ça se voyait. La politique n'a jamais enrichi personne avant l'arrivée de Ngouabi au Congo. Il y'avait des gens comme Sita dia Tsiolo, député UDDIA qui renonça a son mandat au bout de 2 ans (en 1961) parce que celui-ci l'empêchait de faire son business. Avec Ngouabi c'était devenu un coup de pousse indispensable avant d'atteindre sous Sassou le point ou les grosses fortunes n'étaient faisable que dans la politique. Tout Bacongo en parlait. Ngouabi faisait régner la même instabilité dans le pays que Massamba Débat, mai il avait le vol en plus, avec le tribalisme et les assassinats politiques.
J’avais quitté Brazzaville effaré par ce gros voleur aux lèvres gourmandes, pour aller au village, Boko, où ces débats n’existaient pas. Plus terrible, Ngouabi y jouissait même d’une certaine popularité. Un mythe voulait que Ngouabi soit un fils de kongo (matsouaniste ?) déporté ou immigré dans la Cuvette. Tandis que Massamba Débat, qui n’était pas encore assigné à résidence n’incarnait pas un symbole politique à Boko. Il n’était pas tellement considéré comme un bokotois, mais comme un occidentalisé au service du Congo. Peuples archaïques et simple, l’image de Youlou, bon tribun, homme terre à terre et homme du peuple passait mieux à Boko. Et quand soufflait un vent de regret, c’est plutôt Youlou que l’on espérait voir revenir. D’ailleurs si ma mémoire est bonne il mourut en cette année là de 1972 à Madrid. Une ville que l'on connaissait désormais grace à cette occasion.
Après le CEPE, c’est l’affectation définitive du vieux à Brazzaville, qui conduit à notre réinstallation dans cette ville. Là, je découvre le baby-foot. Une vraie révélation qui me collera à la peau. J’étais devenu le meilleur joueur du carré avenue Guynemer / avenue des 3 francs / rue Nkouka Batéké / avenue Matsoua. Les dimanches j’y étais juste après l’Eglise (saint Pierre que je fréquentais assidûment) jusqu’à la tombé de la nuit. Les jours d’école, je ne lisais jamais. Que de bastons j’ai bu à cause de cette boite à manette!
A la fin de ma 5è je passais en 4è avec 9 de moyenne. Le vieux qui voulait d'abord m'inscrire au collège techniquei, tomba par hasard sur un cousin qu’il hébergeait jadis à Mayama et qui venait d’être affecté à Boko comme instituteur. Puisque le village me calme, ça tombait bien, je partirai avec lui. Ce fut fait.
Durant ma 4è, je m’ennuyai tellement sans baby. On parlait beaucoup politique en ce moment là à Boko, puisque Massamba Débat venait d’être assassiné à la suite de Ngouabi, comme le faisaient les tékés chez qui pour accompagner un chef dans sa tombe, on égorgeait quelques serviteurs. C’est en moment là qu’il représenta vraiment un symbole pour Boko sans détrôner Marien. J’avais aperçu le cortège qui était venu chercher Massamba Débat, conduit par le colonel Lazare Mouanga. Nous croyions tous qu’il allait redevenir président, Mouanga nous l’avait juré. C’était le sujet phare. Mais vu de là bas, Brazzaville était bien loin. Les rafles, les souffrances des fonctionnaires et hauts cadres du Pool, il fallait être à Bacongo pour en entendre parler. Comme ça ne m’intéressait pas, je me réinventai des matchs de baby dans la tête à longueur de journée. Quand je jouais au baby, je pouvais ne garder qu’une seule boule et affliger correctement un 10 à zéro à quelqu’un avec celle là, en récupérant seulement les boules de gamelles...
Alors de retour à Brazzaville pour les grandes vacances avant le passage en 3è, j’entrepris d’aller apprendre à fabriquer un baby pour apporter cette révélation au jeune bokotois. Le seul congolais qui en fabriquait à l’époque c’était un menuisier du nom de Kouziéta (mort depuis), que j’avais connu à Louingui (près de Boko), plus précisément à Musana, et qui exerçait à Brazzaville à Ouenzé.
J’ai fait son apprenti durant 3 mois. Il m’a appris la menuiserie, la fonte du plomb, la récupération des métaux, la fabrication des boules de liège ou de bois… bref tout ce qui a fait qu’aujourd’hui le bricolage reste mon passe-temps favori. Pour seul salaire, j’avais un repas à midi, et la promesse de repartir avec mon propre baby à la fin des 3 mois. C’était fait.
Mais ces trois mois ont aussi été la découverte de Brazza nord pour moi, que je traversais. Dans le quartier de mon menuisier, les laris étaient une écrasante majorité. Ce qui n’a visiblement pas changé puisque le MCDDI y rafla députés et conseillés municipaux en 1992. Ceux qui parlaient lingala passaient à me yeux pour des zaïrois. Sans le mépris qu’on accorde à ce qualificatif car en habitant de Boko, traverser chez les cousins de l’autre rive était courant. Je croyais d’ailleurs que tous les zaïrois étaient Kongo, ou peut-être que je croyais même que tous les noirs le sont, où que leurs ancêtres l’ont été. Peut-être pas avec un esprit dominateur ou méchant, mais la naïveté du jeune enfant qui veut croire qu’il est pareil à tous. Les jeunes de Ouenzé m'impressionnait par leur connaissance du monde politique. il en parlait à longueur de journée. Il était admiratif de l'uniforme militaire et de al fortune de certains, alors que moi j'ignorais même qu'un fils de chef devait jouir d'un certain prestige. En tout cas ce n'est pas ce que nous apprenions à l'école officiel, au sujet du marxisme égalitaire. Le système était perverti, on le savait à Ouenzé, mais on s'en foutait.
Chez moi, dans mon quartier, mon milieu, on est suppoter de diable noir comme on est catholique. C'était une confession de foi. Il n'y avait pas le choix. L'ambiance après les victoires de diables noirs était telle que tout le monde, même ceux qui ne s'intéressaient pas au foot était obligé d'aimer les yaka dia mama pour revivre ses sourires dans tout le quartier (ou tout le village) et se voir offrir à boire ou à manger chez n'importe quel voisin.
Ouenzé, je découvre Etumbolo Okia: Etoile du Congo, qui avec Cara étaient nos grandes rivales. Le choc le plus dur pour moi était de me rendre compte que les supporters de Diables Noirs étaient exclusivement du sud, comme ceux de l'étoile étaient du nord.
Une fois en 3è à Boko avec mon baby, l’école n’avait plus de place dans ma vie. A 5 francs la partie (au lieu de 10 francs à Brazza), mon jouet attirait des villageois des villages alentours (Boko est immense!). J’organisais des tournois à longueur d’année si bien que pour le BEMG je ne me préparais qu’en Math et physiques, matières logiques où je pouvais m’entraîner sans mémoriser des tas de phrases et de dates à réciter dans l’ordre. J’étais souvent dérangé par l’obligation d’aller réparer le baby pour une boule ou une pièce coincée, et j’en profitais pour offrir gratuitement 1,2,3,4,5… et X matches où je les battais tous. Le bruit courait que je gagnais ainsi parce que c’est moi qui inventa ce jeu. J’étais célèbre dans Boko.
J'ai également découvert le basket dans le Pool. Mais le baby occupait le plus clair de mon temps.
A la récolte, l’examen me passa sous le nez. Sans surprise pour mon tuteur qui cracha un rapport noir au vieux. De retour à Brazzaville pour les grandes vacances j’avais la honte dans l’âme et je craignais la foudre de mon père. Mais au lieu de ça, je tombais sur un père vieilli de 10 ans en une année, très malade, et qui ne travaillait plus depuis quelques mois. Tout ce qu’il me dit c est : « tu es un inconscient, tu ne réussiras pas dans ta vie ».
Je passa mes vacances à suivre les dossiers administratifs de mon père, implorer les médecins pour ci ou ça, courir derrière des remboursements de médicaments, des aides familiales …etc. Yhombi était au pouvoir et je ne comprenais rien à la politique, tellement qu’elle était contradictoire. Les fastes du régime face à la misère du peuple que je subissais de plein fouet m’était insoutenable.
A 16 ans je découvrais les insuffisances de l’administration congolaise, et la gravité du système sociale qui mettait systématiquement de côté les plus démunis. J’apprenais quel était le salaire officiel de mon père après 20 ans de service : même pas 90.000 Francs. Il y’a des changements quand on les a vécu, qui ne peuvent vous laisser indifférent. Lorsque j’étais à l’école primaire, il venait chez nous des assistants sociaux et des agents de divers ministères. J’avais des amis au village qui étaient orphelins, et qui avait droit à des aides alimentaires diverses de la part de l’Etat. Plus je grandissais moins on en voyait et l’Etat était semble t-il plus riche. La seule richesse que nous voyions c’était les mots d’ordre : l’école agréable, les travaux obligatoires pour la jeunesse, le serment des pionniers …etc. Mais le niveau de notre vie baissait gravement. Muana ghata, muana mayela (muana mboka a za mayele) dit-on chez nous, je ne traînais pas beaucoup avec les jeunes citadins de mon âge. Je préférai les aînés, de l’âge intermédiaire entre mon père et moi avec qui on discutait beaucoup du pays. Je me faisais mon éducation politique. Je découvrais à 16 ans le tribalisme. Ça me gênait souvent d’avoir à entendre des propos animalisant sur les nordistes. Je n’y comprenais rien, pauvre villageois que j’étais.
J'ai souvent entendu des nordistes croire qu'au sud on les prend tous pour des bangala et qu'on ignore qu'il existe d'autres ethnies. C'est totalement faux. On a toujours su que Ngouabi était Kouyou, sous groupe mbochi, qu'il y'avait aussi les makoua, plus proche des kouyou que des mbochis, et nous savions également que la Sangha et la Likouala avaient une kyrielles d'ethnies différentes. Par contre, je vous assure que dans le sud, já i découvert 80% de leur ethnie à partir de l'arrivée de Lissouba. Dans la Bouenza on ne connait que les beembés. Dans le Niari, les pounous et Tsanguis. Dans le Kouilou les vilis. Les dondo, kamba, yaka, sundi de la bouenza, minkengué, nzabi, lali, yombe furent pour moi une révélation lissoubiste.
Mon père sera vite mis à la retraite anticipée comme le veut la loi après 6 mois d’inactivité d’un fonctionnaire. Dans le sens de couper des vivres aux petites gens, la loi fonctionnait très bien. Mais lui payer ses droits sociaux, c’était un autre chapitre oublié de l’administration. Ah je me souviens de cette phrase qu’on me lança à la CNPS (caisse nationale de prévoyance sociale) : « le chapitre que vous revendiquez existe, mais il n’est plus appliqué. Va voir le directeur, il est mokongo comme toi, il pourra peut-être t’aider. » Pourquoi ne pas nommer un directeur par ethnie, pensais-je déjà, sans être fédéraliste.
A la rentrée, je repartais sur Boko fou de rage, conscient du mal PCT, désabusé par le marxisme-léninisme chanté par le régime des militaires. Nous les pauvres nous n’existions pas pour le PCT dont la devise était « tout pour le peuple, rien que pour le peuple ». Le peuple c’était eux. Ceux du Comité centrale et affiliés. J’ai vendu mon baby pour 25.000 frs à un vieux pécheur qui possédait un nganda, et je me consacrais au BEMG. Entrecoupé par des visites fréquentes à Brazzaville où la situation de mon père ne s’améliorait pas. Souvent, le gibier, le manioc ou le poisson que je ramenais de mes efforts du village, était attendu à la maison comme seul source de repas pour la semaine, la santé de mon père engloutissant le maigre budget familial. Sans oublier la misérable sœur de mon père qui n’a jamais pu avoir d’enfant et qu’il fallait aider.
J’arrachai quand même le BEMG haut la main et je repartais à Brazzaville pour assister la famille. Sassou Nguesso était au pouvoir.
Savez vous que ma mère n’a pris des taxis dans sa vie que lorsqu’elle revenait d’un accouchement de l’hôpital ? Etant donné que sur les 6 enfants, seuls 2 naquirent en ville, elle ne pris que deux fois le taxi dans toute sa vie. Alors imaginez ce que cela signifie pour moi, fils de pauvre, quand j’apprends que les ministres changent les 4x4 à tour de bras.
Je fréquentais souvent les vieux politiciens en déchéance dans le quartier. Il y’avait un homme qui s’appelait monsieur Mbemba, un douanier qui s’était rendu célèbre car il avait attrapé après 1 an de filature, un commerçant ouest africain qui faisait entrer de la marchandise frauduleusement à l’endroit qui sera appelé plus tard le beach de la main bleue. Il y’avait des diamants, de l’or, de l’ivoire et d’autres présents ramenés du Zaïre et d’Angola. Mr Mbemba le fit arrêter et n’en garda pas un caillou. Il y’avait aussi monsieur Milandou, ancien inspecteur des finances qui me racontait comment il eût maille à partir avec Marien Ngouabi. Le premier vol de Ngouabi fut un cadeau de lingots d’or qu’il offrit à madame Senghor. Etait-ce sa maîtresse ou était-ce pour impressionner une copine de sa femme, toutes deux françaises, qui rivalisaient sur qui a épousé le plus avantageux des nègres? On ne le saura jamais. Ce qui est sur c’est que ce vol ne sera pas le dernier. Marien Ngouabi dilapida l’ivoire et les richesses matérielles en premier avant de s’en prendre à l’argent, une manie qu’il ne découvrit que dès 1974 lors des premières retombées pétrolières. Ce qui était drôle, c’est que Mbemba vivait en face de chez Milandou. Donc on se moquait de lui, en citant Milandou comme témoin que ses efforts pour la république, ne servirent en fait qu’à Marien.
Le Congo allait déjà mal sur tous les plans et la conclusion logique à Bacongo était que les mbochis ne savent pas gérer.
A la rentrée, mon père m’emmena sans me prévenir, voir le censeur du lycée Lumumba. Nous prîmes un taxi dans son état on ne pouvais pas faire autrement. Nous arrivâmes au lycée où mon père exposa son cas au censeur (cas que je découvrais en même temps) dans son mauvais lingala : « Je t’emmène mon fils, parce que je n’ai pas d’argent pour lui payer le bus chaque matin, parce que je n’ai pas de courant à la maison pour qu’il puisse étudier décemment. Prend-le comme ton petit frère, et mets-le moi à l’internat jusqu’à son bac ».
Je crois que dans le fond, le vieux se sentait partir. Il m’avait vu me débrouiller, et il savait que j’aurai abandonné mes études pour aider la famille, s’il n’y avait pas cette option radicale. Nous avions apporté un panier de viande de brousse fumé, que mon père me dit de lui offrir. Ce monsieur, un originaire de la Cuvette que je ne citerai pas par pudeur pour lui, refusa le présent, mais accepta de me prendre en garantissant au vieux qu’il sera mon tuteur personnel. Il allât même plus loin : Pour les classes de seconde l’internat n’ouvrait qu’en Décembre. Et bien moi je fus admis le 1er octobre.
Jusqu’en décembre je n’eu droit qu’à une seule sortie pour rentrer chez moi, parce que j’avais le paludisme. Mon tuteur était d’une sévérité terrible à mon égard, me rappelant sans cesse que j’avais l’obligation de réussir. J’avais pourtant très peur de lui pour ce que j’avais entendu des nordistes et je me méfiais un peu, j’avoue.
Le 20 décembre 1980, je finissais mon dernier examen trimestriel quand le censeur entra dans la salle : « Tu passeras dans mon bureau après ». Une fois dans le bureau, le censeur m’informa que mon père était décédé depuis 3 jours. Il était mis au courant depuis le second jour, mais avait choisi de me laisser finir mes examens avant de me le dire. Il retira 30.000 francs des caisses de l’intendance du lycée, et me les remis à titre d’aide sociale. J’ai signé le bordereau et je suis sorti sans mot dire.
Je vous épargne ma peine psychologique. Il est mort sans avoir eu la possibilité d acheter une télévision dans sa vie. Le seul acte de modernité qui pénétra notre maison c’était l’eau courante. Alors quand je vois certains se vanter que télé Congo est la première télévision d’Afrique noire, pour moi c’est comme vanter Otto Mbongo d’avoir acheter le premier champagne dédicacé du Congo, ou Ikonga la première Jaguar. C’est beau à voir dans nos rues, mais ce n’est pas pour nous.
A la veillée, il a fallu des gymnastiques incroyables pour atteindre les frais d’enterrement. Rappelant que Sassou venait de décréter le monopole de la vente des cercueils aux pompes funèbres municipales, et que le moins cher en bois blanc coûtait 250.000 FCFA, la retraite de mon père pour 6 mois ! Sans oublier le lopin pour l’enterrement, 300.000Frs à Moukounzingouaka. Mon père fut enterré en chemise blanche, pas de costume, on n’avait pas d’argent. J’entendais des commentaires autour de moi « tchiari ! il est foutu lui, l’école est dans l’eau ». Encore une fois on me prédisait l’échec scolaire.
Il fallait en tout cas que je trouve une solution avant la fin des vacances de Noël. Je n’avais vraiment pas le choix. Ma mère pensait déjà repartir au village, je n’allais pas l’en empêcher, mais mes 5 frères et sœurs, que fallait-il faire d’eux, puisqu’il n’existait aucun soutien social national ?
Flanqué de ma mère, j’allais annoncer mon retrait de l’internat au censeur, mon tuteur. Si je voulais couper l’école, je n’avais pas besoin de retourner à la rentrée. Non, je voulais être externe rapprocher l’école de ma maison, donc m’inscrire à Libération. Le censeur ne l’entendait pas de cette oreille. Il m’a dit : « je sais que tu influences ta mère pour te retirer. Je vais porter plainte, le tribunal décidera que l’illettrisme de ta mère fausse son jugement, et on te maintiendra ici à Lumumba. Si tu sors de l’Internat, tu vas foutre ta vie en l’air ! ». Mince, deux fois la même semaine on me jurait de foutre ma vie en l'air, ça devenait grave. Il m’expliqua aussi que ma famille souffrira certainement durant les 5 ou 6 ans qu’il me fallait pour réussir, mais après il y’avait une longue vie de bonheur et pour moi et pour elle, que personne ne regrettera. C’était l’époque de l’embauche systématique des licenciés dans la fonction publique, que Sassou bourra au-delà de l’étouffement, par incapacité de créer de l’emploi. Il avait certainement raison, mais je n’avais pas sa maturité pour voir si loin. Maman devait manger tous les jours, et les petits aller à l’école. Je préférai me sacrifier moi pour eux que de les sacrifier eux pour moi.
La leçon que j’en ai tiré, c’est que le premier nordiste avec qui j’ai eu à faire était un homme bon, rigoureux, intègre et sociable. Rien à vous avec l’image « ledza-lénua, fans des pistons… qui se véhiculait à Bacongo.
Avec 15.000 francs j’avais convaincu un prof à Libération de m’inscrire, j’avais mon bulletin du premier trimestre de la seconde, j’intégrai donc ce nouveau Lycée.
Qu’est ce que j’ai galéré!
à suivre