L'Algérie exhorte la France à reconnaître ses massacres

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L'Algérie exhorte la France à reconnaître ses massacres

Message par Étoka » Dim 08 Mai, 05 8:17

dimanche 8 mai 2005, 18h54
L'Algérie exhorte la France à reconnaître les massacres de 1945


ALGER (Reuters) - Abdelaziz Bouteflika a appelé ce week-end la France à reconnaître sa responsabilité dans les massacres de dizaines de milliers d'Algériens descendus dans les rues, le 8 mai 1945, pour réclamer leur indépendance au moment où l'Europe célébrait la victoire sur l'Allemagne nazie.

"Le peuple algérien attend de la France un geste qui libérerait la conscience française", a déclaré le président algérien dans un discours prononcé samedi soir à Sétif et publié dimanche.

"Le paradoxe des massacres du 8 mai 1945 est qu'au moment où les armées de combattants héroïques algériens revenaient des fronts d'Europe, d'Afrique et d'autres où elles défendaient l'honneur de la France et ses intérêts (...), l'administration française tirait sur des manifestants pacifiques", a-t-il ajouté.

Les troupes coloniales françaises lancèrent le 8 mai 1945 une vaste offensive aérienne et terrestre contre plusieurs villes de l'est de l'Algérie, en particulier Sétif et Guelma, après des manifestations antifrançaises qui avaient causé la mort d'une centaine d'Européens.

La répression dura plusieurs jours, faisant, selon les autorités algériennes, 45.000 morts. Des historiens européens estiment pour leur part qu'il y eut entre 15.000 et 20.000 tués.

Cet épisode reste l'un des chapitres les plus sombres des relations entre la France et l'Algérie, qui obtint finalement son indépendance en 1962 au prix d'une guerre sanglante.

De nombreuses cérémonies de commémoration ont eu lieu ce week-end à travers l'Algérie. A Sétif, plus de 20.000 personnes dont plusieurs ministres ont pris part à une marche en empruntant le même itinéraire que les manifestants de 1945.

"TRAGEDIE INEXCUSABLE"

Employant les termes les plus explicites jamais prononcés par un représentant français, l'ambassadeur de France en Algérie avait reconnu en février que les massacres de Sétif étaient "une tragédie inexcusable".

Mais l'Algérie souhaite aujourd'hui que Paris aille plus loin en reconnaissant officiellement sa responsabilité.

"Le peuple en entier attend encore de la France, qui a mis des décennies à reconnaître la guerre d'Algérie (...), que les déclarations de l'ambassadeur de France soient suivies d'un geste plus probant", a poursuivi le président Bouteflika.

"Le peuple algérien n'a eu de cesse d'attendre de la France une reconnaissance de tous les actes commis durant la période de colonisation, y compris la guerre de Libération, pour voir s'ouvrir de larges et nouvelles perspectives d'amitié et de coopération entre les deux peuples."

A Paris, Bertrand Delanoë, a rappelé dimanche que le 8 mai marquait "l'anniversaire d'une autre barbarie, celle de Sétif", et souhaité lui aussi que l'Etat français reconnaisse sa responsabilité.

"Les sociétés du XXe siècle (...) doivent avoir le courage de la vérité (...) On s'honore en disant la vérité, parfois en demandant pardon", a dit le maire de la capitale française au micro de Radio J.

BARNIER VEUT ENCOURAGER LE TRAVAIL DES HISTORIENS

De son côté, le ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier, espère dans un entretien publié dimanche par le quotidien El Watan que les deux pays parviendront "à examiner ensemble le passé afin d'en surmonter les pages les plus douloureuses pour (les) deux peuples".

"Cela suppose d'encourager la recherche des historiens, de part et d'autre, qui doivent pouvoir travailler ensemble, sereinement, sur ce passé mutuel, a-t-il ajouté. Ce travail de mémoire est un objectif qui doit se retrouver dans le traité d'amitié en préparation."

Alger et Paris doivent signer un important traité d'amitié cette année, semblable au traité de réconciliation signé en 1963 par la France et l'Allemagne.

"Est-ce que ça peut suffire du point de vue de l'opinion publique algérienne, je ne pense pas parce qu'il y aura toujours des revendications", estime Benjamin Stora, spécialiste de l'histoire de l'Algérie.

"Mais il faut constater tout de même que c'est un pas en avant (...) dans la diplomatie française", a-t-il ajouté sur les ondes de la radio nationale algérienne.

De nombreux hommes politiques et historiens algériens, qui considèrent les massacres comme un génocide, exigent des excuses mais aussi des réparations.

"Soixante ans après, la France ne reconnaît pas ses crimes contre l'humanité et parle même des vertus du colonialisme pour refuser tout acte de repentance et demander pardon aux victimes", affirme en une le quotidien algérien La Tribune.
Étoka
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Message par Étoka » Mer 11 Mai, 05 12:23

mardi 10 mai 2005, 18h42

Malgré le discours de Bouteflika dénonçant "le génocide" commis par la France, le traité d'amitié franco-algérien reste à l'ordre du jour

ALGER (AP) - Après -et malgré- des propos au vitriol du président algérien Abdelaziz Bouteflika le week-end dernier au sujet du comportement de la France en Algérie -explicitement comparé à celui de l'Allemagne nazie-, Paris espère toujours signer un traité de paix cette année avec Alger.

Un message du président Bouteflika a été lu lors d'un colloque organisé samedi à Sétif, dans l'Est algérien, pour commémorer les massacres de civils commis par l'armée coloniale française dans cette ville le 8 mai 1945. Ce carnage a fait, selon les sources, entre 10.000 et 45.000 morts, au moment même où la guerre se terminait de l'autre côté de la Méditerranée.

Malgré ce texte, dans lequel le président algérien évoque "un génocide" commis par la France et compare l'Algérie à "un gigantesque camp de la mort" pendant l'épisode colonial (1830-1962), le porte-parole du Quai d'Orsay, Jean-Baptiste Mattei, a affirmé mercredi que l'objectif de la France était "de conclure le traité (d'amitié franco-algérien, ndlr) avant la fin de l'année".

Principaux extraits du texte du chef de l'Etat algérien :

"Dès le 1er mai 45, les forces d'occupation avaient l'intention de perpétrer des massacres contre le peuple algérien", écrit le chef de l'Etat algérien dans un discours lu en son nom par le ministre des Moudjahidines (Anciens combattants), Mohamed Cherif Abbas.

"La manière avec laquelle l'Etat français a fait face à ces événements (de Sétif, ndlr) est somme toute barbare et traduit clairement le mépris de l'occupant pour la vie des Algériens et son dénigrement de leurs droits en les livrant à ses avions, ses chars et ses canons et en faisant d'eux des proies aux colons comme dans une partie de chasse. (...)

"Qui ne se souvient des fours de la honte installés par l'occupant dans la région de Guelma au lieu dit "El hadj Mebarek" (...) Ces fours étaient identiques aux fours crématoires des nazis. (...)

"De telles pratiques se sont multipliées notamment durant la deuxième moitié du 19e siècle sans oublier les affres endurées par la population durant la guerre de libération, l'ennemi ayant perfectionné ses moyens de torture, d'extermination et de destruction faisant de l'Algérie un gigantesque camp de la mort et de la torture ceint de fils barbelés et de champs de mines. (...)

"L'occupation a foulé la dignité humaine et commis l'innommable à l'encontre des droits humains fondamentaux et au premier plan le droit à le vie et adopté la voie de l'extermination et du génocide qui s'est inlassablement répétée durant son règne funeste. (...)

"Les massacres du 8 mai 45 étaient-ils la récompense des Algériens pour avoir défendu héroïquement la France, un héroïsme que l'histoire a retenu et que les historiens du colonisateur ont eux-mêmes reconnu? L'Etat français qui a essuyé un échec cuisant en quelques semaines devant le nazisme cherchait-il une victoire illusoire sur des innocents et des opprimés ? (...)".

Saluant les propos de l'ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière, qui en février avait qualifié les massacres de Sétif de "tragédie inexcusable", Abdelaziz Bouteflika dit toutefois attendre "un geste plus probant" de la France. "Un geste qui libérerait la conscience française des cauchemars de la longue nuit coloniale et des remords du monde", une démarche nécessaire selon le président algérien "pour voir s'ouvrir de larges et nouvelles perspectives d'amitié et de coopération entre deux peuples". AP
Étoka
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Message par Étoka » Jeu 12 Mai, 05 12:41

Journal l'Humanité
Rubrique Politique
Article paru dans l'édition du 5 mars 2005.

décryptage
8 mai 1945 : le massacre de Sétif enfin reconnu !




« Je veux parler des massacres du 8 mai 1945, il y a bientôt soixante ans : une tragédie inexcusable. Fallait-il qu’il y ait sur cette terre un abîme d’incompréhension entre les communautés pour que se produise cet enchaînement d’un climat de peur, de manifestations et de leur répression, d’assassinats et de massacres », a déclaré, dimanche 27 janvier, l’ambassadeur de France en Algérie. Hubert Colin de Verdière s’exprimait à Sétif même, à l’université Ferhat-Abbas.

C’est la première fois, en tout cas à notre connaissance, qu’un représentant officiel des autorités françaises reconnaît le massacre de Sétif et emploie le qualificatif d’inexcusable qui désigne sans ambiguïté la France. Ce 8 mai 1945, en effet, reste comme un moment particulièrement sombre du traitement réservé aux Algériens, sur la longue route, souvent sanglante, de la colonisation.

À l’appel du mouvement de Messali Hadj, leader nationaliste, une manifestation importante se déroule dans le cadre de la victoire sur le nazisme pour réclamer le droit à la liberté des Algériens eux-mêmes, revendication d’autant plus légitime que nombre d’entre eux se sont sacrifiés pour la libération de la France. Des pancartes apparaissent « Indépendance pour l’Algérie », des drapeaux verts sortent qui seront ceux du pays. Des heurts s’engagent avec la police qui tente de s’emparer des uns et des autres.

La violence policière provoque une véritable émeute au cours de laquelle sont tués des Européens. Alors se met en place une répression par l’armée, commandée par Paris, d’une sauvagerie inouïe jusqu’au bombardement de populations civiles et qui fera, selon les sources, entre 10 000 et 45 000 morts.

On peut dire que, si la conquête de l’Algérie n’a jamais réellement cessé depuis 1830, la guerre d’Algérie a commencé ce 8 mai 1945, à Sétif, Guelma et Constantine. C’est si vrai que le général Duval, celui-là même qui avait commandé l’impitoyable répression, pourra écrire dans un document adressé à ses supérieurs : « Je vous ai donné la paix pour dix ans. Mais il ne faut pas se leurrer. Tout doit changer en Algérie. » On ne changea rien à l’Algérie et il ne se passa même pas dix ans avant que l’insurrection éclate, le 1er novembre 1954. Tous les éléments du drame étaient donc en place et l’entêtement des gouvernements français, notamment celui de Guy Mollet qui, en 1956, s’était fait élire pour faire la paix, à s’enfoncer dans la guerre aura été vraiment meurtrier.

La question posée est maintenant de savoir jusqu’où ira la reconnaissance du crime de Sétif et, forcément, des crimes qui suivirent, à commencer par celui de la torture sur lequel les autorités ont été interpellées, par l’Appel des Douze, en octobre 2000. Dans la déclaration de l’ambassadeur de France, une autre phrase mérite que l’on s’y arrête : « Le 8 mai 1945 devait être l’occasion de célébrer l’issue tant attendue d’une guerre mondiale, pendant laquelle tant des vôtres avaient donné leur vie pour notre liberté, cette liberté qui devait être celle de tous les Algériens. Ce fut hélas ! un drame. Celui-ci a marqué profondément, nous le savons bien, les Algériens qui, dès cette époque, rêvaient de liberté. »

Les Algériens, car c’est d’eux d’abord dont il est question, seront certainement heureux de lire au travers de ces mots, soigneusement pesés, la reconnaissance de leur aspiration historique à la « liberté » même si le mot national n’apparaît pas encore. Sans doute resteront-ils encore perplexes devant cette analyse de l’événement attribué à l’incompréhension entre les communautés. Les communautés se comprenaient d’autant moins qu’elles étaient dans un insupportable rapport d’inégalité : un petit Algérien sur dix allait à l’école et la liberté du suffrage était une sinistre comédie.

Il faudra bien, un jour, devenir logique : s’il y avait un rêve algérien de liberté, notoirement affirmé le 8 mai 1945, si la tragédie devient officiellement inexcusable, comment pourra-t-on encore ne pas condamner l’usage de la torture qui se prolongea longtemps après ? Comment pourra-t-on ne pas reconnaître le caractère liberticide de la guerre et de la colonisation ? Continuer à jouer sur les deux tableaux en érigeant, à Marseille, un monument rendant hommage à l’empire colonial, ou en célébrant la fin de la guerre le 5 décembre, c’est un leurre.

Le rendez-vous annoncé pour cette année, et que l’initiative de l’ambassadeur à Alger annonce manifestement, a tout pour devenir un enjeu très important pour les rapports franco-algériens et la mémoire française de la guerre réveillée ces dernières années : les deux présidents, Jacques Chirac, pour la France, et Abdelaziz Bouteflika, pour l’Algérie, s’apprêtent à signer, sans que la date soit fixée, un traité d’amitié entre les deux pays, dont on a été jusqu’à dire qu’il rappellerait le traité qui scella la réconciliation franco-allemande.

L’amitié franco-algérienne répond au voeu de beaucoup d’Algériens, qui n’ont jamais entretenu de haine pour un pays qui, pourtant, leur a fait tant de mal, celui de l’extrême violence qui a présidé à la naissance de leur nation et qu’ils auront payée cher, comme de beaucoup de Français, qui ont souffert d’avoir été mêlés, et leur pays avec eux, à cette sale guerre qui n’osait même pas dire son nom. L’amitié ne peut se sceller durablement que dans la vérité dite sur les épreuves qui l’ont entravée. Cela ne viendra pas tout seul. Dès le 8 mai 2005, qui sera celui du soixantième anniversaire, on devine qu’il va en être question d’une façon un peu plus que rituelle.

Charles Silvestre
Étoka
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Message par Étoka » Jeu 12 Mai, 05 12:46

Alors se met en place ( à Abidjan) une répression par l’armée, commandée par Paris ( par jacques chirac) , d’une sauvagerie inouïe jusqu’au bombardement de populations civiles ( aux mains nues) et qui fera, selon les sources, entre 10 000 et 45 000 morts ( comme à Abidjan en novembre 2004).

Morale de l'histoire = France du 8 mai 1945 en Algérie = France de 1994 au Rwanda = France de novembre 2004 en Côte d'Ivoire.
Étoka
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Message par Étoka » Jeu 12 Mai, 05 1:12

Témoignage pour l'histoire dédié à toutes celles et tous ceux qui s'étonnent encore du comportement esclavagiste, inhumain et barbare de la France en Afrique. Souvenez-vous que la même 1945, après le premier génocide de Sétif, il y eut aussi les massacres de Tiroyes au Sénégal contre les tirailleurs sénégalais qui réclaimaient les mêmes indemnités que leurs collègues anciens combattants français "de peau blanche". À méditer!

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Le massacre de Sétif ou le sanglant armistice
Retour sur un des plus grands massacres de l’histoire coloniale française


vendredi 8 avril 2005, par Barbara Vacher


Le même jour que la capitulation de l’Allemagne nazie, le 8 mai 1945, les populations du Constantinois, à Sétif et Guelma, en Algérie, manifestent pour leur droit à l’indépendance. De ces rassemblements s’en suivra une des répressions les plus sanglantes de l’histoire coloniale française, par la suite « collectivement et délibérément occultée ». Aujourd’hui, alors que les débats continuent sur le nombre de victimes occasionnées par les colons, de 1 500 à 45 000 morts, la représentation diplomatique française en Algérie, en la personne de l’Ambassadeur Hubert Colin de Verdière, a pour la première fois depuis 1945 qualifié cet épisode, jusqu’alors resté « discret », de « tragédie inexcusable ».

Sanglante armistice à Sétif. Le 8 mai 1945, dans les rues de Paris et dans toute la France, la nation chante la capitulation de l’Allemagne nazie. Au même instant, de l’autre côté de la Méditerranée, des milliers d’Algériens qui ont participé à cette victoire se rassemblent dans les rues de Sétif, afin de déposer une gerbe au pied du monument aux morts de la ville, et revendiquer le droit à l’indépendance de leur pays. Une manifestation qui tourne mal, et qui se solde par une sanglante tragédie, à laquelle participe l’armée française, la Légion Etrangère, et des milices de colons créées ad hoc. Lourd bilan humain pour une répression longue de six semaines dans le département du Constantinois.1 500 ou 45 000 morts ? Aujourd’hui encore le nombre de victimes d’une page méconnue et honteuse de l’histoire coloniale française, est l’objet de débats entre historiens. Il a fallu presque 60 ans, pour que la France, par l’intermédiaire de son Ambassadeur en Algérie, Monsieur Hubert Colin de Verdière, en visite officielle à Sétif le 27 février dernier, parle de cette « tragédie inexcusable », et reconnaisse pour la première fois depuis l’indépendance de l’Algérie, en 1962, sa responsabilité dans ce massacre. ( les congolais attendront-ils 100 ans pour voir la France reconnaître son implication dans leur tragédie?)

Sétif est pendant la période de l’Algérie française le symbolique fief des tous premiers nationalistes. Elle est la ville de Ferhat Abbas, figure clé de la revendication nationaliste modérée, dès 1943 avec son Manifeste du Peuple Algérien et qui deviendra le premier Président du Gouvernement Provisoire de la République algérienne (GPRA) en 1958. Le jour de l’armistice Fehrat Abbas est à Alger pour féliciter le gouverneur général Chataigneau (dont il est un intime) de la victoire des Alliées. Il est arrêté dans d’étranges circonstances pour « complot contre la sécurité de l’Etat » par le directeur de la sécurité générale. C’est sans compter sur sa présence que, ce jour-là, des milliers d’Algériens musulmans se rassemblent pour fêter l’armistice et revendiquer du même coup l’indépendance de leur pays.

Tout commence par un drapeau levé...

Tôt dans la matinée, à Sétif, les Scouts musulmans, une organisation légale créée par le Parti du Peuple Algérien (PPA) se réunit pour aller déposer une gerbe aux pieds du monument aux morts, situé dans le quartier des Européens. Le Sous-préfet de la ville, Butterlin, qui s’oppose à toute manifestation à caractère politique, leur somme de ne pas porter d’armes, ni d’arborer de bannières revendiquant l’indépendance de l’Algérie. Alors que le cortège gros de 7 000 à 8 000 personnes arrive au quartier français, un drapeau algérien est levé par un jeune porteur de 20 ans. Refusant de le baisser devant l’ordre français, l’homme est abattu, comme le maire de la ville, réputé modéré, qui tente de s’interposer. Une version des faits qui fait l’unanimité parmi les historiens. Dans la fusillade qui s’ensuit, la foule se disperse et s’attaque aux Européens. Elle fait 27 victimes du côté français ( 27 français = 45,000 algériens). La nouvelle se répand rapidement dans la province, où la population locale, majoritairement paysanne, sort crier révolte. C’est le début d’un soulèvement généralisé, dans plusieurs dizaines de villages du Constantinois, ainsi qu’à Blida et Berrouaghia dans l’Alger, et Sidi-Bel-Abbès dans l’Oranais.

A Guelma, située à 150 kilomètres de Sétif, toute « manifestation musulmane » avait été interdite pour l’armistice. Mais en fin d’après-midi, 2 000 Algériens se rassemblent et brandissent drapeau algérien et bannières. Face à l’intervention d’une « milice » européenne et de l’opposition des colons, la fusillade éclate. Dans certains villages, des manifestations se passent sans heurts, souvent grâce à l’intervention de maires « libéraux », comme à Tlemcen. Mais dans la plupart des cas, on tire sans ménagement sur la foule, à la première apparition d’un drapeau algérien, comme à Bône, Blida et Kherrata. D’après l’historien Charles Robert Ageron [1], les premières émeutes des Algériens ( les 8, 9 et 10 mai) auraient tué 102 Européens, auxquels s’ajoutent 110 blessés, et 135 habitations réduites en cendre. Sans commune mesure avec l’ampleur de la répression coloniale.
Chasse aux arabes

Le 9 mai 1945, sur ordre du Sous-préfet Butterlin, l’armée de terre menée par le Général Duval ( l'ancêtre du général Poncet le génocidaire), intervient à Sétif, puis dans tout le reste du département, où elle fait la démonstration de ses sanglantes techniques, tout particulièrement à Guelma et Kherrata. La Marine quant à elle, bombarde les côtes et les gorges de Kherrata, les localité du bord de mer comme les Achas, les Falaises, et Mansouria. Cette intervention musclée pousse les insurgés à se réfugier dans les montagnes, où ils auront alors à essuyer les bombardements de 18 appareils de l’armée de l’air ( comme les populations d'Abidjan éssuyèrent les bombardements de l'aviation française). La répression s’étendra pendant six longues semaines au cours desquelles « la chasse aux arabes », ainsi parfois appelée par les colons ultra de l’époque, fait rage. Car il serait sévère d’imputer l’exclusivité du massacre de mai 1945 au seul corps militaire. D’autres interventions de la part de « milices » de colons ultra armés par les militaires et en général cautionnées par l’administration locale, sont souvent plus atroces et plus sanglantes, selon les témoignages de survivants [2]. Au menu : émeutiers brûlés vifs, tortures, exécutions sommaires, enfants et femmes (même enceintes) rarement épargnés ( comme en Côte d'Ivoire en novembre 2004).

Qu’en est-il du bilan humain ? Il faudra attendre le 18 juillet 1945 pour que, du côté français, le ministre de l’Intérieur Tixier prononce un discours devant l’Assemblée nationale évoquant la mort de 1 500 personnes ( Tixier l'ancêtre de Michele Alliot-Marie). Côté algérien, les nationalistes avancent tout de suite le chiffre de 45 000 victimes. Le journal algérien Le Populaire, dans son édition du 28 juin, parle déjà quant à lui de 6 000 à 8 000 victimes. Selon Yves Benot [3], ces chiffres auraient été donnés par des militaires au journaliste du Populaire « dans l’intimité ». En métropole, les médias subissent la censure de l’armée, particulièrement sévère à l’époque, et ne s’expriment que des semaines plus tard, en reproduisant le communiqué dicté par le gouvernement ( comme cela s'était passé au Rwanda et en Côte d'Ivoire).

Bilan humain quasi-impossible

Aujourd’hui, le débat continue. Selon l’Ambassadeur de France en Algérie, qui s’est exprimé sur Sétif en février dernier, il y aurait eu entre 5 000 et 10 000 personnes tuées. Le gouvernement algérien reprend de son côté le chiffre de 45 000 victimes, avancé à l’époque par les nationalistes du Parti Pour le Peuple Algérien (PPA) de Ferhat Abbas. Pour les chercheurs Rachid Messli et Abbas Aroua, du Centre de recherche historique et de documentation sur l’Algérie, « la plupart des historiens s’entendent sur le fait que 45 000 est un chiffre exagéré. Il serait plus réaliste de penser que le bilan humain se situe entre 8 000 et 10 000 morts ».

Les archives de l’armée restent flous. La marine avance le ridicule chiffre de 4 victimes. Selon Yves Benot, il existerait de plus des contradictions dans les chiffres de l’armée de terre [4]. Selon le rapport du Général Duval du 9 août 1945, il y aurait eu 550 « musulmans présumés tués » au cours de l’action de l’armée dans la subdivision de Sétif, et 200 dans celle de Bône (dont relevait Guelma). Or, le seul escadron de la Garde républicaine, qui est entré en action le premier à Kherrata et Perigotville les 8 et 9 mai, et qui a poursuivi son action à Pascal, Colbert, et Saint Arnaud, donne dans son journal de marche plus de 470 tués, dont 200 à Kherrata. Yves Benot fait ainsi remarquer que cela signifierait que toutes les autres sections n’auraient fait que 70 ou 80 victimes, ce qui lui semble improbable, lorsque l’on considère le caractère musclé des interventions de ces équipes armées de mitrailleuses. Enfin, il souligne que ceux de l’aviation militaire, 200 morts, peuvent être mis en doute, dans la mesure où elle n’était pas « sur place ». A cela s’ajoute la répression opérée par les milices civiles. Ces dernières, qui n’appliquaient aucune des procédures légales permettant d’établir le nombre d’exécutions et d’arrestations, ont rendu l’exactitude d’un bilan humain impossible.

La voix des témoins de la « tragédie inexcusable » suffit à rendre compte de l’ampleur des massacres. Et il n’est jamais trop tard pour rappeler la pleine responsabilité de la France de ces crimes, qui depuis 1945, a « collectivement et délibérément occulté ce qui s’était passé à ce moment là », pour reprendre les propres paroles de Hubert Colin de Védière, interrogé par la radio française Europe 1. Mais la reconnaissance officielle est un minimum pour l’Algérie, qui demande désormais des excuses de la part de la France. Faudra-t-il encore soixante années de réflexion pour cela ? Et au philosophe français Paul Ricoeur de se dire « troublé par l’inquiétant spectacle que donne le trop de mémoire ici, le trop d’oubli ailleurs ».

[1] In Histoire de l’Algérie Contemporaine, vol.2 : De l’insurrection de 1871 au déclenchement de la guerre de libération 1954, Paris : Presses universitaires de France, 1979

[2] Nombreux dans l’ouvrage de Boucif Mekhaled, « Chronique d’un massacre : 8 mai 1945, Setif, Guelma, Kherrata », Paris, Au nom de la mémoire/Syros, 1995

[3] « Massacres coloniaux : 1944-1950 : la IV ème république et la mise au pas des colonies françaises », La découverte, série histoire contemporaine

[4] « Massacres coloniaux : 1944-1950 : la IV ème république et la mise au pas des colonies françaises », La découverte, série histoire contemporaine
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Message par Blaise » Jeu 12 Mai, 05 11:46

ETOKA,

Il y a l'ARMENIE aussi qui pousse pour la reconnaissance du génocide des arméniens par la TURQUIE. J'y vois comme un lien aussi avec les échanges sur la spiritualité, l'humanisme et l'humanité, que j'aie eus avec MECBOHEM dans le thread "le tribalisme".

Il faut se battre pour la reconnaissance par l'Homme de ces abominations qu'il à commise sur lui-même. Le fait de reconnaître c'est aussi une façon pour l'Homme d'avoir honte de lui-même. En cela je vois aussi une évolution de l'Homme.

Puissent les africains qui sont aussi des Hommes suivre cette évolution de l'homme blanc, qui est entrain de nous montrer le chemin de l'évolution de l'Homme.

Blaise
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