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La dette en vedette

La crise sanitaire invite à reconsidérer l’endettement des pays pauvres, en particulier ceux d’Afrique

Article paru dans L’Horizon Africain du 2 juillet 2020

S’endetter est une pratique aussi vieille que le monde. Par ce moyen il devient possible, pour les personnes avisées, d’entreprendre une activité lucrative susceptible de déboucher sur une amélioration de leur condition et, dans le meilleur des cas, de leur donner les moyens de rembourser la dette contractée.

Le créancier, quant à lui, anticipe sur cette capacité de l’emprunteur à lui rendre son capital augmenté des intérêts. Il fait confiance à l’emprunteur, mais s’entoure aussi de garanties susceptibles de le dédommager au cas où le remboursement ferait défaut.

« On ne prête qu’aux riches », dit un vieux proverbe. On pourrait tout aussi dire qu’on ne prête pas pour s’appauvrir soi-même. Les prêts usuraires résultent dans le dépouillement de l’emprunteur au profit du prêteur. Ce qui se passe au niveau des individus peut être transposé au niveau des Etats, sauf que ce schéma simple devient d’une grande complexité.

Tous les Etats, et non seulement ceux du sud, recourent à l’endettement pour financer, couvrir leurs dépenses de plus en plus élevées depuis l’avènement de l’Etat-providence, mais aussi compte tenu des fonctions multiples de l’Etat en tant qu’acteur essentiel du développement, c’est-à-dire partie prenante dans la mise en œuvre des instruments d’accroissement de la richesse nationale. Les politiques néolibérales inspirées du fameux «  consensus de Washington  » ont poussé à la contraction de la dépense publique à travers le monde, au prix de l’abandon de pans entiers de l’économie et surtout du social, mais ledit consensus a fait son temps après avoir généré bien plus de problèmes qu’il n’en a résolu.

Les gouvernements, du nord au sud, continuent à recourir à l’emprunt pour se donner les moyens de la dépense publique qui ne cesse de croître d’année en année tout en étant de moins en moins compressible. Tout le problème, en termes simples, consiste à se fixer des limites, ce qu’on peut appeler l’optimum de l’endettement par rapport au potentiel de solvabilité du pays, en prenant bien en compte la rentabilité globale prévisible des projets que l’emprunt finance. Confrontée au réel, l’équation est bien plus complexe, à la mesure de réalités qui ne le sont pas moins.

Pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne le montant de la dette s’élevait, d’après certaines sources, à 365 milliards de dollars à la fin de 2018, avec un coût annuel de 44 milliards au titre du service de la dette. La Banque Mondiale, quant à elle, chiffre les stocks des dettes extérieures à 493 milliards (fin 2018) de dollars dont 74% dus essentiellement à des créanciers officiels multilatéraux et bilatéraux (Club de Paris et autres y compris la Chine) ; la dette privée non garantie par le secteur public constitue 26% et vient des obligations et des banques commerciales. Rapporté au PIB des pays concernés, la proportion médiane de la dette publique extérieure s’établit à 53%, ce qui donne une idée de l’ampleur de l’endettement des pays concernés. Il va de soi que cette moyenne cache des disparités importantes par pays. Certains sont surendettés. Ainsi, pour le Congo, cette proportion atteint actuellement 86% et pourrait même atteindre 115% en incluant dans la dette extérieure les passifs de la SNPC.

Il apparaît clairement que le service de la dette engloutit une proportion déraisonnable des ressources dont disposent les pays endettés pour promouvoir le développement et le bien-être de leurs populations. Le mot asphyxie ne serait, en l’occurrence, pas inapproprié. Il n’y a pas, globalement parlant, d’un côté des prêteurs vertueux et de l’autre des mains incapables d’une bonne gestion financière ; les choses ne sont jamais trop simples, même en tenant compte de nombre d’erreurs tant dans le choix des projets financés par l’emprunt que dans leur mise en œuvre.

Bien entendu, la diversité des pays concernés crée des situations diverses ; aucun pays africain ne ressemble à un autre, même si tous sont confrontés à la même épreuve.

Il serait trop facile d’instruire le procès des mauvais payeurs en se voilant la face sur l’ensemble des causes à l’origine de leurs difficultés à honorer leur dette. Les causes immédiates tiennent au rythme d’accumulation des emprunts et à l’accroissement de l’amortissement du capital emprunté. Mais il y a des causes plus profondes et structurelles ; elles renvoient grosso modo à la faiblesse récurrente de l’épargne nationale et davantage à la structure d’une économie sans diversification et sans industrialisation. Les exportations reposent sur un nombre limité de produits soumis aux aléas du commerce international, avec des termes de l’échange peu favorables aux produits exportés. La dette se paie, puis à terme se rembourse, en devises étrangères. Les pays débiteurs se les procurent en exportant essentiellement des matières premières ; ils doivent exporter suffisamment, et à des prix stables, pour financer à la fois le service de la dette extérieure et le volume de leurs importations. L’effondrement des prix d’une matière première sur le marché international peut être vécu comme une catastrophe. Tel est, à l’heure actuelle, le cas des pays africains exportateurs de pétrole. Mais il en est ainsi aussi, à des degrés différents, pour d’autres matières premières.

En outre, les taux auxquels les pays africains empruntent sont généralement plus élevés que ceux accordés aux pays riches. Carlos Lopes, l’ancien Secrétaire Exécutif de la CEA le dit sans ambages : « Les économies les plus riches, qui ont pourtant des ratios de dette supérieurs à leur PIB, sont en train d’emprunter tous azimuts, parce qu’elles bénéficient de taux extrêmement bas, quelques fois même négatifs ou de 0%. L’Afrique qui dispose d’une moyenne de ratio dette de 50%, emprunte à 6-7% et on estime que c’est elle qui gère mal. Si on empruntait à 0%, on n’aurait pas de problème parce que ce sont des taux effectivement considérés comme concessionnels. Ce que nous demandons, c’est que notre dette soit restructurée pour être traitée comme c’est le cas pour les pays européens, les Etats-Unis, le Japon  ».

Les effets du covid-19 aggravent significativement la fragilité des pays africains. Les estimations provisoires des pertes subies par eux, en termes des recettes d’exportation, de flux nets de capitaux et de retombées financières du tourisme, portent sur des sommes considérables. Les pertes de recettes d’exportations pour l’Afrique pourraient atteindre 500 milliards de dollars, estime le Secrétaire général de la CNUCED. La crise sanitaire invite donc la communauté internationale à reconsidérer la question de l’endettement des pays pauvres, en particulier ceux d’Afrique. Pourtant la réponse se fait attendre et, en guise, la réaction est plutôt timide. C’est la suspension provisoire du service de la dette décidée par les ministres des Finances des pays du G20 le mercredi 15 avril dernier : 40 pays africains figurent sur la liste des bénéficiaires parmi les 76 pays plus pauvres au monde. Pour ces pays les remboursements cette année représentent 32 milliards de dollars : 12 milliards détenus par les États, 8 milliards par les créanciers privés et 12 milliards aux mains d’institution internationales, principalement la Banque mondiale. Seul le paiement de 12 milliards de dollars sur les 32 milliards prévus pour 2020 (soit 37,5 %), correspondant aux dettes bilatérales à l’égard des États créanciers, fait l’objet du moratoire. Les créanciers privés (dont les grandes banques) qui détiennent 8 milliards de créances sur ces pays pourraient participer aux efforts d’allégement « sur une base volontaire ». S’agissant des 12 milliards de dollars de créances de la Banque mondiale, rien n’est encore décidé même si les déclarations d’intention laissent présager aussi un moratoire.

Ainsi les remboursements attendus en 2020 sont seulement différés de six mois au départ. Ils pourront être échelonnés sur trois ans, étant entendu que des intérêts plus élevés pourront être réclamés. Autant dire que le geste des créanciers n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des besoins.

Cependant des voix s’élèvent pour réclamer une annulation pure et simple de la dette africaine : celle de personnalités africaines et du monde, notamment le président français et même le pape. La CNUCED a demandé, le 30 mars dernier, pour l’ensemble des pays en voie de développement, une enveloppe de 2500 milliards de dollars comportant une annulation ou un report de 236 milliards de dollars. Elle propose même un plan Marshall de 500 milliards de dollars sous forme de dons pour les pays en voie de développement.

Toutefois les voix africaines ne sont pas unanimes. Le ministre Romuald Wadagni du Bénin estime qu’ « un allègement de la dette ou un moratoire pour le paiement des échéances ternira davantage l’image des Etats et compromettra leur accès aux financements futs. Nos pays subiront un effet induit sur la perception de leur qualité de crédit ; ce qui les exposerait à des sanctions ultérieures inévitables de la part du marché  ». Il s’explique : «  Les besoins urgents exprimés par l’Afrique se chiffrent à 100 milliards de dollars (dont 44 milliards pour le service de la dette). Une nouvelle allocation en Droits de Tirages Spéciaux du FMI tant débattue devrait être envisagée. Elle permettrait d’apporter une réponse rapide et efficace aux besoins des pays les plus vulnérables tout en préservant la soutenabilité de leur dette ».

Qu’ils se prononcent pour le moratoire sur la dette, pour son annulation ou pour d’autres options, les Africains ne peuvent se peuvent se dispenser d’une réflexion profonde sur l’endettement qui pend comme une épée de Damoclès sur l’avenir de leurs économies et de leurs peuples. L’économiste Demba Moussa Dembélé a trouvé les mots justes pour le dire : « En cette période de bouleversement mondial, l’heure doit être à une profonde introspection des dirigeants africains... Comment en est-on arrivé là ? Faut-il continuer dans les voies suivies jusque-là ou bien faut-il un changement radical de cap ? Faut-il laisser les acteurs extérieurs – pays et institutions- continuer à dicter les politiques de développement de l’Afrique ? Ou bien faut-il que celle-ci ait enfin le courage et la lucidité de prendre son destin en main ?  ».

Roger Ndokolo

Président du parti du centre UNIRR

(Union pour la Refondation Républicaine)

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