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Olivier Bidounga, de la culture à la politique, itinéraire d’un sacerdoce

Chaque fois que la culture congolaise a croisé l’Occident, les dégâts ont été colossaux, les fers se sont croisés, des têtes sont tombées, des leaders ont été réduits au silence, la communauté internationale est restée indifférente au sort des populations malmenées par des Présidents autoproclamés.

Olivier Bidounga, ancien fonctionnaire au Musée national de Brazzaville, aujourd’hui exilé en France et toujours actif dans la résilience, illustre le « choc des cultures » par les autodafés rapportés déjà par Filipo Pigafetta en 1591 :
« Le roi kongo Joao 1er (Nzinga Nkuvu) fait brûler les fétiches à la demande des Portugais. Objectif des prédateurs atteint () »

MUSEE D’ANGOULÊME

Au mois de novembre (2021), Olivier Bidounga a donné une conférence-causerie (bimoko en lari) au Musée d’Angoulême en Charente-Maritime (France) (GERMA).

On croit que les statuettes sont de simples talismans en bois, aux aspects effrayant, truffés de clous dont le féticheur se sert et que les êtres vénèrent. En réalité les sculptures sont des auxiliaires de la guérison, leur efficacité est attestée par le bunganga.

C’est ce que Olivier Bidounga a expliqué dans ses bimoko au Musée d’Angoulême en précisant que ce capital culturel a pour aire écologique la région du Pool au Congo-Brazzaville et menace de disparaître. Mieux : Bidounga déplore que cette infrastructure soit souvent considérée avec condescendance et mépris, sa fonction perçue comme destinée à amuser la galerie.

« En automne 2002 visite de l’exposition « Le geste kongo » au musée Dapper. Les statuettes kongo qui étaient présentées , avec leurs clous et leurs réceptacles « magiques » étaient systématiquement appelés soit « nkisi » soit « mikisi-nkondi » alors que ces statuettes, selon qu’elles appartenaient aux divers groupes kongo portent des dizaines, voire des centaines de noms différents, qu’on ne saurait classer en deux catégories uniques. Fâcheuse tendance de l’Occident de vouloir classifier nos réalités selon sa logique culturelles et religieuses. » (...)

Le bunganga, (la guérison selon la méthode ancestrale) travaille avec les statues (minkissi) qui lui servent de support rituel. Par conséquent ce système magico-religieux mérite respect. Des maîtres comme Henri Matisse, Pablo Picasso, Dali l’ont compris dès les années 1920 en s’inspirant de l’art primitif.

Le nkissi, représentation du bunganga constitue une technologie efficace qui remonte à la nuit des temps kongo. A l’arrivée du colonisateur Portugais au 15ème siècle, des bûchers sont dressés, les statues sont soit détruites soit réduites en cendre. Imaginez que des envahisseurs en Occident aient fait ça à des œuvres de Michel Ange, notamment Mona Lisa !

L’ART EN TANT QU’ENJEU LARI

Dans le livre Olivier Bidounga : « Ntsikamanou, l’art de l’autre, précis de civilisation Kongo » sur lequel O. Bidounga a appuyé ses bimoko, l’idée soutenue par Bidounga est que la conservation des objets culturels est intimement liée au combat politique révolutionnaire. En l’occurrence, la résistance à l’oppression coloniale a été nourrie du slogan kongo « kani ka boué », expression du refus absolu de céder à l’impérialisme culturel ; intransigeance que les Kongo-Lari payent cher ; leurs membres sont persécutés, notamment les Corbeaux « matsouanistes » qui sont déportés.

HISTOIRE DE L’ART

Féru d’histoire de l’art, Olivier Bidounga s’intéresse à la classification. Il a dressé la liste des objets-fétiches grâce à son expérience acquise au Musée National du Congo alors que Jacques Kounzila en est le directeur, au milieu des années 1960.

La question est : que gagne Olivier Bidounga de vouloir gagner l’adhésion du public à la cause culturelle kongo-lari dans ses bimoko ?

O. Bidounga est militant, patriote, fièrement Congolais. Il est tombé dans l’action culturelle dès l’enfance et n’a plus jamais lâché prise. C’est un héro dans l’ombre.

PARCOURS DE VIE

Alors qu’il est né à Brazzaville en 1941, rue Aragon, cet enfant de Bacongo précise ipso facto qu’il est du village de Ngampiéma. C’est logique. Brazzaville n’est qu’un carrefour. Le sociologue Georges Balandier décrit la ville fondée en 1889 comme un conglomérat de villages noirs juxtaposés à la ville européenne, et sa population un ensemble organisé selon les affinités ethniques.

Olivier Bidounga a fréquenté l’Ecole St-Joseph de Bacongo, « située à côté de la Case de Gaulle », actuelle résidence de l’Ambassadeur de France au Congo.

La « Case de Gaulle » n’est pas fortuite dans le parcours politique d’Olivier Bidounga, la situation géographique de cette résidence dont l’architecte Roger Erell alias Roger Lelièvre, un disciple de Le Corbusier, est un point capital dans la stratégie insurrectionnelle du 22 février 1972 et même plus tard durant le conflit civil entre Sassou, Lissouba et Kolélas en 1997.

En 1963, O. Bidounga participe à la révolution des 13, 14 et 15 août et s’enrôle dans le « mouvement unifié de la jeunesse congolaise » où il rencontre Ange Diawara, Matoumpa Mpolo, Ikoko, Olouka et fait le serment d’être un ouvrier de l’édification du socialisme au Congo. En attendant, il sera cadre dans la JMNR.

« J’effectue un grand voyage en Chine en été 1965 en pleine révolution culturelle. » Le voyage dure un mois, l’expérience du socialisme scientifique commence son travail de séduction dans son jeune esprit.

Enfant, Bidounga entend parler de l’épopée matsouaniste, une idéologie dont le fondateur est un personnage aux ambitions politiques clairs et considéré comme mystique par les populations lari. Il est l’auteur d’une lettre au Président du Conseil René Coty où il revendique les droits des Indigènes Noirs. L’annonce de la mort de ce fondateur de L’Amicale des ressortissants de l’Afrique Equatoriale Française dans des circonstances troubles finit par caractériser à long terme ses fidèles comme des adeptes messianistes et Matsoua comme le Christ Noir.
A Bacongo, à cette époque, des traîtres regorgent autour de L’Amicale. Par exemple Tâ Moungoula, un informateur des colons disait que Matsoua trompait les gens. Ces indics avaient des avantages en nature.

Peu avant 1960, l’Abbé Fulbert Youlou tente une récupération du vote matsouaniste, son parti l’UDDIA l’aide à devenir maire de Brazzaville puis premier Président du Congo .

Youlou est déposé en 1963. Massamba-Débat lui succède puis tombe en 1969après avoir créé au passage le corps de la Défense Civile sous la direction d’Ange Diawara, un Congolais dont le grand-père est Malien.

Marien Ngouabi succède à Massamba-Débat et crée le PCT en 1969.

LE MAQUIS DE GOMA-TSE-TSE

En 1972 se déclenche l’insurrection du 22 février dite M22. Un maquis se constitue dans la région du Pool autour du village de Ngoma-Tsé-Tsé son arrière-garde tandis que Brazzaville et dans une moindre mesure Kinshasa constituent l’avant-garde de la lutte politico-militaire. Le Jean-Moulin de ce maquis, Ange Diawara, est un militaire, lieutenant, redouté pour sa maîtrise de la vulgate marxiste et sa bravoure au combat. En mars 1970 c’est lui qui met fin à l’insurrection de Pierre Kiganga alias Siroco.

Olivier Bidounga fait partie du premier cercle du maquis parmi lequel on compte des éléments de l’ancienne défense civile rompus à la stratégie politique et militaire.

Au commencement de la révolte, Olivier Bidounga mène sa double activité de maquisard et d’agent de la fonction publique. Cela suppose des ruses de sioux, des prises de risques, des double-jeu. Le 22 février 1972, O. Bidounga se trouve à Bacongo, son fief tandis que Ange Diawara prend la direction de la brousse.

Pendant un an, les insurgés opèrent au nez et à la barbe des forces de sécurité nationale, effectuent des traversées à Kinshasa, capitale du Zaïre de Mobutu, en passant par la corniche située derrière la fameuse Case de Gaulle. Diawara séjourne régulièrement à Brazzaville, effectuant la navette entre Goma Tsé-Tsé, Bacongo, Kinshasa. Dans les années 1940, le père de Bidounga travaille à La Case de Gaulle en qualité de jardinier. Pendant la 2ème guerre mondiale, quand le général gaulliste Edgard de Larminat est arrêté à Brazzaville par les pétainistes, Bidounga-père n’en revient pas. Un Blanc mis aux arrêtes par d’autres Blancs est une scène qui stupéfia. La nouvelle se répandit en milieu Noir grâce au jardinier Bidounga.

AUTOCRITIQUE

Le Musée national se situe en face de l’Etat-Major, siège du pouvoir de Marien Ngouabi. Un gendarme, spécialiste du renseignement, un certain Mpô réside dans une villa située à côté du Musée. Agent de la fonction publique le jour, agent secret la nuit, Olivier Bidounga est connu de Mpô qui le voit régulièrement à son travail.

Les membres du M22 ont la mainmise sur l’appareil sécuritaire de Marien Ngouabi au sein duquel ils ont des camarades sur lesquels ils peuvent compter. Ils ont si bien infiltré la sécurité de la République qu’ils ont le loisir de déposer du courrier destiné à Marien Ngouabi dans son bureau, de poser des tracts sur sa table-basse, de coller des affiches sur sa porte. La complicité interne est évidente, le message clair : « Ngouabi, on peut te neutraliser quand on veut. »

En d’autres termes, Diawara n’en voulait pas à la vie de Marien Ngouabi tant le service de sécurité de ce dernier était poreux, perméable et pulvérisable à souhait par l’adversaire. Le combat se situait sur le terrain idéologique.

Le document que le M22 fait parvenir à Ngouabi s’intitule « Autocritique ». La problématique était : fallait-il poursuivre la voie du marxisme-léninisme ou fallait-il opter pour le socialisme bantou de Massamba-Débat ?

Le mouvement dit du M22 est le stade suprême d’une lutte entre conservateurs et rénovateurs, (réactionnaires et révolutionnaires) deux catégories de militants nourris tous à la sauce révolutionnaire marxiste. D’un côté les partisans de la lutte des classes, adeptes du socialisme scientifique, amis du matérialisme historique, de l’autre les partisans d’un socialisme qui tient compte des réalités africaines bantoues.

Massamba-Débat et Marien Ngouabi se sont achoppés sur ce point.

SPLENDEURS DU MAQUIS

Pendant qu’on les signale dans les villages du Pool, poissons dans l’eau, les insurgés circulent dans Brazzaville, en taxi, en mobylette, en...ambulances.

Diawara se rend régulièrement à Kinshasa où il a des contacts. Il se fait accompagner de l’autre côté du fleuve par Ngatsoua. La traversée a lieu sur la corniche, derrière la Case de Gaulle, un site qu’Olivier Bidouga connaît bien car, enfant à l’Ecole St-Joseph, ce fut son terrain de jeu et son père a exercé au sein de la résidence le métier de paysagiste. C’est alors Bidounga-fils qui organise les allers-retours de Diawara avec la complicité de piroguiers-pêcheurs acquis à la cause. Cet embarcadère clandestin est situé entre La Flottille et ce qui deviendra plus tard, en aval de la Case de Gaulle, le port de La Main Bleue, lieu de trafic de tout genre des milices Ninja de Bernard Kolélas. Cette partie du fleuve passe pour être dangereuse à cause des rapides. Dangereuse et discrète, la configuration des eaux est propice à de la contrebande et à des coups tragiques comme le drame des suppliciés du Beach en 1998-1999.

La légende dit que Simon Kimbangu emprunta dans les années 1940 l’improbable itinéraire fluvial pour venir rencontrer de Gaulle à Brazzaville alors que la deuxième guerre mondiale bat son plein. L’histoire ajoute que l’idée d’enrôler des soldats noirs dans l’armée française sera soufflée à de Gaulle par le Prophète Simon Kimbangu.

Les gardes-frontières de Ngouabi n’y voient que du feu. Brazzaville est donc à la merci du M22.

Pour la petite histoire, Diawara sera arrêté à Kinshasa avec la complicité de Mobutu qui l’échange avec des opposants à son régime réfugiés chez Ngouabi à Brazzaville. Son corps et ceux de quelques compagnons (Ikoko, Olouka) sont exposés au stade de la Révolution, les masses laborieuses y sont invitées non sans un fond de voyeurisme fétichiste qui cachait mal son nom.

MISERES DU MAQUIS

Les erreurs sont commises dans l’organisation. « Le chemin de l’aller ne doit pas être celui du retour. » C’est un principe de la guérilla. Trois amis du Maquis, Victor Matondo alias Robot, Kangou Jean-Clément alias Nsouka (un militaire) Ngatsoua sont arrêtés sur le chemin du retour alors qu’ils rentrent à Goma Tsé-Tsé après une mission à Brazzaville. Des militaires de Ngouabi les ont remarqués à l’aller, sans le moindre soupçon. A leur retour vers Goma Tsé-Tsé, les trois guerriers sont arrêtés. Ils avaient commis l’erreur. Pourtant dans La Bible les Rois Mages nous font l’enseignement. Alors qu’Hérode les attend sur le chemin du retour, les Mages changent d’itinéraire, ce qui sauve L’Enfant Jésus d’une mort certaine.

Hommage soit rendu à un membre du Maquis, tombé à Mayitoukou : Malonga alias « Piment. » C’est l’un des meilleurs que le M22 ait jamais comptés.

Le réseau est démantelé petit à petit. Les maquisards sont des idéalistes qui ne veulent pas d’effusion de sang. Arrestations en cascade sans que ne soit opposé de résistance. Interrogatoires, tortures, exécutions sommaires s’ensuivent.

Sévèrement cuisiné par l’adjudant Mpô en compagnie de Mouassiposso et une ribambelle d’enquêteurs, un prisonnier lâche le nom d’un complice : Oba. C’est un nom de code.

Qui se cache sous le nom Oba ? Le prisonnier sévèrement torturé finit par parler. Oba c’est Bidounga. On l’amène devant l’adjudant Mpô. L’enquêteur principal émet des doutes car il reconnaît Bidounga. « Mais c’est l’agent du ministère de la culture qui travaille au Musée. Ca ne peut être lui car je le vois chaque jour à son travail. » Mpô est sur le point de le relâcher sur procès-verbal. Mais le recoupement des fiches finit par confondre Bidounga alias OBA. Stupéfaction et colère de Mpô, un acolyte de Ngouabi. « Vous les Lari vous êtes des Corbeaux  » hurle-t-il. « A quel moment es-tu allé au maquis ? » s’étonne naïvement l’adjudant Mpô.

Fou de rage Pierre Oba, enquêteur stagiaire, administre un puissant soufflet au prisonnier Bidounga coupable surtout, selon Oba, d’avoir usurpé son nom mbochi, lui un mukongo !

L’adjudant Mpô, gendarme, change brusquement de ton, se met à improviser une chanson sur la façon dont il va donner la mort à Bidounga le traître. Dans sa mélodie, il est question de chemise rouge sur laquelle va se verser le sang sans laisser des traces.« Je vais mettre ma chemise rouge. Le sang va jaillir. Tu vas mourir d’une belle mort » fredonnait-il. C’est de l’hystérie car Mpô se vantait avoir fait du Droit tandis que, rigolait-il, Mouassiposso son collègue était un Mamadou.

En fait Mpô n’était pas mieux que son camarade Mouassiposso réputé ignare, tous deux pratiquaient leur enquête « à charge », s’appuyant sur le droit sauvage ethnique qui aboutira plus tard, en 1977, à la conclusion « Ba Kongo ba bomi Marien ».

MAKAYA MA SANGUI

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