La Comédie du Livre de Montpellier est sans doute l’une des places les plus agitées du paysage littéraire français - la manifestation est "concurrencée" par le marché du week-end, et le curieux visiteur ne ratera pas les jolis strings à 3 euros qui font rougir la grand-mère venue plutôt faire ses "courses de livres"...
Les auteurs sont d’ordinaires présents derrière leurs livres - il arrive dans d’autres salons que les livres soient plus présents au stand que leurs auteurs. Et, au-delà du simple rendez-vous autour du livre - ou devant le livre, c’est selon, c’est aussi la fraterné par l’écrit, le lecteur qui revient trois fois soulever le même bouquin, demander à l’écrivain de le lui résumer...
On se bouscule, on se lève, on prend un pot en face, on se presse de l’autre côté parce qu’un bruit court que Bernard Henry Lévy vient de recevoir une tarte dans la figure. Mais c’est faux, et l’auteur du récent American vertigo (éd. Grasset) doit désormais signer entouré des agents de sécurité ! C’est aussi cela l’ambiance. Jean-François Khan signe debout. Le chanteur Hervé Vilar - qui vient de publier un livre chez Fayard - embrasse sans hésiter toutes ses lectrices. François Bégodeau est très concentré et lit la quatrième de couverture de son voisin.
J’entends une lectrice ricaner en lisant les pages du Kama Sutra arabe qu’elle vient d’acheter avec une dédicace inattendue de l’auteur...
Bref, c’est la grande "vadrouille", et les repas servis vers le Corum, un restaurant calme, sur l’Esplanade... du Corum, justement, sont des instants rabelaisiens sans commune mesure.
Puis ce dimanche matin, ce débat qui m’a marqué, avec une fille de harki dans le public et qui s’étonnait de la causticité de F. Fanon sur Senghor dans Les damnés de la terre qu’elle venait de lire. Moment d’émotion pour nous. Le malgache Raharimanana (auteur de L’Arbre anthropophage, éd. Joelle Losfeld) se lance dans les marécages du débat sur la colonisation. Il en sort vainqueur, sans la moindre boue sur ses godasses. Un peu plus tard, dans un autre lieu, les brillantes analyses de Fatou Diome (Kétala, éd. Flammarion) sur l’écriture, sa conception de la création d’univers. L’auteur du Ventre de l’Atlantique estime à juste titre que l’espace de liberté d’écriture est plus grand aujourd’hui que jadis, avec les aînés. Le Djiboutien Waberi (Aux Etats-Unis d’Afrique, éd. JC Lattès) s’est éclipsé très tôt le matin, j’aurais dû m’en douter. En effet, la veille, nous avons prolongé le bavardage et l’errance nocturnes jusqu’à trois heures du matin. Gilles Cohen-Solal - avec son cigare légendaire - et Héloïse d’Ormesson (les deux dirigent la nouvelle maison Editions Héloïse d’Ormesson) sont devant, marchent aussi. Des amateurs de la nuit comme nous. C’est beau une ville la nuit, dirait l’autre. C’est cela, marcher, traverser des espaces déserts et se dire que demain la foule reviendra, les livres reprendront leur place. Y compris les jolis strings à 3 euros...