Immunité ou impunité ?

L’Afrique face à la problématique de la répression de la délinquance des chefs d’Etat

Deux événements majeurs semblent perturber la quiétude des chefs d’Etat africains en ce mois de mars 2009 : le mandat d’arrêt lancé par le procureur du Tribunal pénal international contre monsieur Omar El Béchir, président de la république du Soudan d’une part, et les actions entreprises par la justice française à l’instigation de certaines organisations non gouvernementales contre messieurs Omar Bongo Odimba et Denis Sassou Nguesso, respectivement président de la république du Gabon et président de la république du Congo Brazzaville d’autre part. Il importe de relever que plusieurs organisations de la société civile ont mis en évidence les biens immobiliers extravagants détenus par ces deux dignitaires en territoire français, et que par ailleurs, les comptes du dictateur gabonais ont été saisis en application d’une décision de justice rendue dans une affaire civile et commerciale.
Depuis la création du Tribunal pénal international, la contestation ne s’était jamais autant développée autour de son action comme on peut le constater après sa décision d’émettre un mandat d’arrêt international contre le souverain soudanais accusé notamment de crime de guerre, de génocide, et de déportation massive des populations du Darfour.

Le réflexe d’exception

Au-delà de la nature des faits reprochés, de leur qualification, de leurs implications et de leur imputation, ce qui trouble la conscience de quelques africanistes politiques, c’est la concentration explicite ou implicite des actions du Tpi sur les crimes commis en Afrique. A entendre les déclarations d’indignation qui fusent du continent, la probabilité de ce qui pourrait être considéré comme un réflexe d’exception, en somme une forme de polarisation grossière proche du délit de la race, serait prévalent dans l’esprit du procureur du tribunal. Le discours qui a pris une tonalité passionnelle, tend donc à faire avaliser la thèse d’une indexation du pauvre, du faible, de l’exclu, et ce dans le prolongement d’une dictature de l’ordre centriste et impérialiste de l’Occident impérialiste.
Nous sommes en face d’une tentative de transformation d’un problème juridique au départ, et une cabale politique et diplomatique fondée sur un droit d’exception, par une instance judiciaire internationale. Les proclamations du président sénégalais à ce sujet, n’ont aucune peine à rejoindre celle des avocats africains, lesquels lors d’une session de leur assemblée à Yaoundé, se sont crus obligés de s’aligner sur les thèses des potentats africains et de valider au passage, l’argument de deux poids deux mesures. Il n’est pas vain de signaler que lesdits juristes, dont la majorité a plus plaidé la cause de leurs gouvernements que celle d’une éthique rigoureuse du droit des gens, n’ont à aucun moment produit une déclaration ou manifesté un intérêt pour les barbaries des régimes totalitaires du Zimbabwe ou encore pour les violations systématiques des Constitutions dans le but de perpétuer des dictateurs obscurantistes et liberticides.

L’hypothèse d’une antithèse : un tribunal pénal africain

Au regard du précédent de l’Union africaine dans le cas de monsieur Hissein Habré, ancien président de la République du Tchad, il est loisible de penser qu’une évolution vers la création d’un Tribunal pénal africain serait dans l’ordre des perspectives plausibles. Il faut rappeler que pour contourner le mandat d’arrêt émis par les tribunaux belges en application de la compétence universelle validée par le système légal de ce pays, l’Union africaine a opté pour le jugement du dictateur par un tribunal spécial africain siégeant dans le pays où l’intéressé jouit d’une résidence surveillée. Le Sénégal a depuis, pour les besoins de la cause, révisé sa législation pour permettre la mise à disposition effective de monsieur Habré à la disposition du Tribunal et son jugement subséquent sur son sol.
Ce qui peut paraître aléatoire dans le contexte actuel, c’est la création d’une institution permanente qui aurait des compétences effectives et institutionnelles pour connaître de la délinquance des chefs d’Etat. Dans une Afrique majoritairement conquise par des truands politiques et des adeptes des systèmes de gouvernance totalitaires, on ne voit pas comment il serait possible de jeter les bases d’une évolution qui consacrerait la liquidation des salauds en col blanc qui ont fait du crime la meilleure arme de maintien au pouvoir, et de la corruption l’outil majeur de _ contrôle et d’asservissement de leurs citoyens.
En dépit de tout, il demeure indispensable d’approfondir la réflexion dans le sens de la création d’un tribunal pénal africain, en situant la démarche dans une optique résolue de mutations politiques radicales à terme.

Le point dans le droit international classique

L’émission d’un mandat d’arrêt international contre un chef d’Etat en exercice peut apparaître original, exceptionnel, osé, hors de propos, provocatrice même pour certains. Les réactions d’indignation qui relèvent plus de sentiments de profane que d’une lecture ardue du droit, sont trompeuses. L’action du tribunal consacre une longue évolution et vient systématiser un consensus dans la philosophie du droit international que la commission du droit international de l’Onu, a validé depuis plus d’un demi-siècle. De nombreux instruments internationaux ont assuré le dépassement des immunités personnelles des dignitaires étatiques, d’abord en érigeant des exceptions, et ensuite en définissant de façon non équivoque des notions de crime international, de crime contre l’humanité, d’ordre public international, de responsabilité international, et d’obligation internationale.
Les conventions majeures à ce propos sont : la convention de 1949 relative aux crimes de guerre ; la convention contre la torture ; la convention contre la discrimination ; la convention sur les traités ; la convention sur la protection des enfants. L’évolution récente a bientôt fait de la pollution de l’environnement un crime contre l’humanité, de même que si l’on s’en tient à l’esprit de la résolution de l’assemblée générale de l’Onu de 1970 consacrant les richesses des fonds marins patrimoine commun de l’humanité, il n’y a plus aucun doute sur le tableau des faits susceptibles de produire une mise en cause et un mandat d’arrêt conséquent contre toute personne fautive. Il faut rappeler ici, que c’est aux puissances nationales, agissant selon le principe de la primauté des obligations internationales sur les lois nationales et de l’autorité internationale sur l’autorité nationale, qu’il incombe de mettre en application ou de favoriser l’application, de toute décision internationale intervenant dans ce domaine. C’est au nom de cette obligation, laquelle induit ce que le droit international appelle la responsabilité objective des Etats, que les navires, qu’ils battent pavillon publique ou pavillon privé, dès lors qu’ils seraient convaincus de se livrer à des activités illégales, sont susceptibles d’être contrôlés et arraisonnés en haute mer, donc dans un espace marin international, par les forces de tout Etat ayant les moyens de la faire.
Certes, le seul précédent de l’arrestation effective d’un chef d’Etat en exercice dans l’histoire contemporaine, demeure celui de Manuel Noriega, le président de la République de Panama, mis en cause par les tribunaux américains pour trafic de stupéfiants. En réalité, tout Etat capable, ne manquerait pas de bases légales dans le droit international, pour juger, arrêter, condamner et jeter en prison le souverain d’un autre Etat. Les faits de gaspillage, de détournement massif des fonds publics, de corruption, d’absentéisme, de prosélytisme et de désinvolture, rentrent aujourd’hui dans le catalogue des faits constitutifs d’atteinte à l’ordre public international et constitutif de crime contre l’humanité. L’espace national disparaît devant la globalisation des intérêts de l’humanité, et l’unicité de l’être humain pensé comme source de droit et considéré comme victime des agissements fautifs.

Le trouble diplomatique et la querelle des systèmes

Le mandat d’arrêt émis par le Cpi contre le président soudanais, a ramené au-devant de la scène, les querelles des systèmes de pensée juridique que l’on croyait révolus avec la fin ou l’atténuation de la guerre froide. Les contestations véhémentes de la Russie et de la Chine, tous membres du Conseil de sécurité de l’Onu, traduisent une incompatibilité profonde dans la projection du cadre institutionnel de la coopération internationale, et jettent un doute inévitable sur les proclamations de l’unicité du monde et le triomphe de la pensée unique. Il s’agit si besoin est, de rappeler à tous ceux qui l’auraient oublié, que sauf nouvelle conférence diplomatique pour restructurer les relations internationales et tenir compte des nouveaux rapports des forces, aucune institution internationale ne peut valablement prétendre à un universalisme structurel, au-de-là de simples convenances protocolaires et diplomatiques.
En réalité, les réactions négatives à la décision de la Cpi, viennent de loin, et envisagent des remises en causes radicales longtemps souhaitées, que la crise financière et internationale déclenchée aux Etats-Unis, n’ont fait que rendre indispensables. Les magistrats obtus et têtus de la Cpi, n’ont pas fait attention aux aspects diplomatiques, et n’ont pas entrevu la jonction inéluctable chez les contestataires éventuels, entre une réforme du système financier international dorénavant souhaitée par tout le monde, avec une réforme encore plus urgente, des institutions juridiques de la coopération internationale dans leur globalité, corollaire indispensable des nouveaux équilibres exigés sollicités par les pays émergeants, y compris du droit de veto au sein du Conseil de sécurité.

Par SHANDA TONME
Le 12-03-2009