Noël au Congo-Brazzaville

Dans TEMPS FORT, journal de Saint-Amand-Montrond (visible en ligne), le prêtre congolais Jean-Marie Mabiala a donné son sentiment sur la Noël congolaise. Les propos ont été recueillis par Anne-Lise Dupays

« Là-bas Noël est strictement religieux » dit notre compatriote, serviteur de Dieu.

Notre curé fait partie des Prêtres africains qui, plus d’un siècle après l’évangélisation du continent noir, notamment par les spiritains au Congo, s’occupent de raviver la foi d’un Occident spirituellement devenu froid :
« A quarante-trois ans, le père Jean-Marie Mabiala s’apprête à fêter son septième Noël en Berry. Ses autres Noël, il les a vécus dans son pays natal, au Congo-Brazzaville. »

Au Congo, dit l’homme d’église, « Noël reflète l’aventure de Dieu chez les hommes. Ce n’est pas uniquement une fête du souvenir, mais une fête où l’on vit la naissance de Dieu parmi les hommes. »

Il a vécu « la majorité de ses Noël au Congo-Brazzaville. Jean-Marie Mabiala ne connaissait pas "tout le bataclan commercial " d’un Noël à l’occidentale » précise Anne-Lise Dupays

La configuration climatique (fort heureusement) n’est pas la même en Europe et en Afrique, en France et au Congo.

« Au Congo-Brazzaville, pas de neige donc pas de Père Noël ! Je n’ai jamais reçu de cadeaux de Noël. Le pays ne connaît pas le culte du sapin, de la bûche ou de la dinde. Là-bas, la fête est strictement religieuse. Les habitants du village participent à la création de la crèche au sein de la paroisse, avec des feuilles de bananiers et des branchages de manguiers » décrit le missionnaire africain.

Que serait Noël si le Congo connaissait la neige ? Dans un pays où le PIB et le PND sont faibles, la précarité de l’habitat aurait forcément laissé dans la rue un tombereau de Sans Domiciles Fixes (SDF) comme nous le montrent tristement les villes occidentales. C’est donc une aubaine qu’il ne tombe pas des flocons de neige sous les Tropiques. Au Congo où la bise, ce vent glacial dont parle La Fontaine dans « La cigale et la fourmi », n’existe pas, les Congolais ne trouvent jamais de quoi subsister jusqu’à la saison nouvelle.

Contrôlé par un réseau mafieux libanais, le commerce alimentaire propose généralement des produits avariés. Pot de terre contre pot de fer, la ministre du Commerce, Claudine Munari, a failli récemment laisser ses plumes en tentant de dénoncer ce syndicat du crime alimentaire.

Au Congo, c’est la galère toute l’année, aussi bien en ville qu’en milieu rural. Sous prétexte de braconnage et de protection de la nature, les paysans sont chaque jour harcelés, voire abattus à bout portant par des cobras déguisés en gardes-forestiers. Deux d’entre eux ont été froidement assassinés à Madingo-Kayes.

Que mangent les Congolais durant la Noël ? Le Père Mabiala répond : « Il n’y a pas de plat traditionnel de Noël : les gens font en fonction de leurs moyens et apportent ce qu’ils ont économisé, quitte à se priver les semaines suivantes. »

Et pour cause ! On est loin des récits d’Alphonse Daudet dans ses « Lettres de mon moulin », où le lecteur, durant les messes basses du curé provençal, voit défiler des dindes truffées, des gigots d’agneau et de chevreuil, des bûches, des confettis de canard.

Un brin ethnographe et théologien de la libération, le Père Mabiala dit :
« Le jour de Noël, personne ne doit avoir faim d’où l’importance de ne pas oublier les plus exclus. On porte à manger à ceux qui n’ont pas pu se déplacer ».

Malheureusement, au Congo, étant donné la gestion calamiteuse du pays, Noël ce n’est pas Mardi Gras ; c’est carême. En temps ordinaire, les Congolais font maigre chère. Dans plusieurs foyers les enfants font la "tournante". On mange à tour de rôle. Certains mangent (mais alors chichement) la veille, ceux qui ont mangé la veille mangent le lendemain. Ceux qui mangeront le lendemain jeûneront le surlendemain. Une vraie « tournante » en effet, un « likélémba » (ristourne) de la misère.

Par propagande, le premier Congolais s’est affublé du titre ronflant de PAPA BONHEUR (traduisez "oiseau de malheur"). L’enfant congolais attendra en vain le Père Noël. Quant à l’adulte, le vieillard à la barbe blanche est un vague et lointain souvenir. En tout cas ce n’est pas aux travailleurs et aux retraités (« maltraités » disait Mgr Kombo) qui font la queue devant les guichets de banques pour quémander arriérés de salaires et pensions qu’on fera gober l’existence du Père Noël. Si cette figure mythique qui fait le bonheur de l’enfant en Occident existe au Congo alors, ce doit être « une ordure ». Comme le film éponyme, le Père Noël congolais est une ordure. (Se photographier aux côtés du Père Noêl, a-t-on lu par ailleurs, coûte la bagatelle de 50 billets de 1000 fcfa aux parents qui veulent faire le bonheur de leurs enfants)

ALCOOL

Pour aider ses compatriotes à tromper ennuis et spleen, les idéologues de Mpila ont élevé les nganda et l’alcool au rang d’une institution nationale, car le Congolais boit comme un marin polonais, pour ne pas dire comme un trou. L’alcool est la seule industrie rentable au Congo.

Père Mabiala le dit bien : « Quant aux boissons, il existe différents alcools à base de canne à sucre ou de maïs, du vin de palme ? du jus de palmier ! ? et aussi de la bière. »

L’économie des bars marche à merveille et, les Brazzavillois (pour reprendre Wuta Mayi) connaissent toute « la géographie des « ngandas » de la ville. » Ca leur donne l’illusion de nager dans le bonheur, au grand plaisir de l’Homme de Mpila qui est conscient que la révolte populaire est généralement neutralisée quand le principe du plaisir est intelligemment activé au milieu du peuple.

Voilà pourquoi durant les fêtes de nativité et de la St-Sylvestre, les débits de boisson (les nganda, les maquis) ne désemplissent pas. La clientèle des nganda descend des hectolitres de bière « Ngok » dont la bouteille porte un saurien comme logo (tout un symbole). Les conséquences pathologiques sont énormes. L’espérance de vie du Congolais ne cesse de baisser malgré les quintaux de pétrole (300.000 barils/jour) censés rapporter des milliards au Trésor Public.

Se baladant incognito dans la ville, Sassou n’en revenait pas. L’abondante fréquentation géographique des bars de Poto-Poto et Bacongo lui fit dire ce mot d’esprit : « Les Congolais disent qu’ils n’ont pas l’argent, comment font-ils pour remplir les bars ? »

Pour un ancien marxiste, il avait simplement oublié que la religion (comme l’alcool) est un opium qui, en tant que drogue, permet justement de se détacher de la misère du monde. C’est justement parce qu’ils baignent dans la misère que les plus misérables de nos compatriotes (90% de la population) se refugient dans les bars où ils s’abreuvent de boissons éthyliques. CQFD.

Bientôt les Congolais auront droit au discours de fin d’année de Sassou. Quelle lune dans un seau d’eau va-t-il encore leur promettre ?

Laissons le mot de la fin et de la faim à un ami philosophe qui a beaucoup écouté les sketchs de Dieudonné Mbala-Mbala : « Le meilleur cadeau de Noël qui ferait le bonheur des Congolais serait peut-être qu’on les prive de leur Papa Bonheur »