Sainte-Marie, histoire de l’église catholique de Ouénzé- Par Denis Ngabé

Denis Ngabé, ancien élève de Saint-Michel de Ouénzé, a écrit un livre sur l’église de son enfance, Sainte-Marie de Ouénzé. En définitive, c’est toute l’histoire de Ouénzé (arrondissement 5 de Brazzaville) qu’il nous a restituée.

Genèse de Ouénzé

Quartier des laissés pour compte de Poto-Poto, Ouénzé est né suite à une banale scène de ménage entre un gendre, Mawa, et son beau-fils, Paul Ngambi, pêcheur à Yoro. Chassé du domicile familial, rue Yakoma, à Poto-Poto, le beau-fils traverse Madoukoutsékélé (ruisseau) et construit sa première case en pisé à l’endroit où sera situé l’ex-Boul’Mich, avenue Miadéka. 1946, Père Grivah débarque au Congo. Prof au Grand Séminaire, le RP. Moysan lui demande de remplacer l’Abbé Benoît Gassongo « pour s’occuper de la mission de Ouénzé en fondation  ». Les spiritains viennent d’acheter un terrain un peu plus loin. Ils bâtissent la première église qui sera consacrée à Sainte-Marie.

Vues générales de la paroisse Ste-Marie (cliquez sur l’image pour l’agrandir)

Difficiles débuts

Le rayonnement culturel de Ouénzé est le produit d’une interaction entre son église et ses habitants. Ces derniers, sous-prolétariat expulsé du bouillant quartier de Poto-Poto, ont naturellement des ouvertures spirituelles. Les spiritains, sous la direction de Mgr Biechy, envisagent compenser la distance qui sépare les résidents de Poto-Poto de la Cathédrale du Sacré-Cœur où on y monte, exténués pour écouter la messe, à l’image du Samaritain de la Parabole qui gravit péniblement la côte le conduisant à la Synagogue de Jérusalem. car la vie spirituelle est un acte d’élevation et de prise de hauteur...L’Archevêché résout de jeter une extension cultuelle de l’autre côté de Madoukoutsékélé, cours d’eau qui fait frontière avec Ouénzé. Disons-le, Père Grivah fait figure d’apôtre Pierre, socle sur lequel l’Eglise du Congo édifie Sainte-Marie de Ouénzé.

Résistances animistes

Comme à Rome, les premiers chrétiens de Ouénzé ne sont pas nombreux. Les néo-convertis doivent faire face à une farouche résistance païenne érigée par les groupes téké locaux qui ont pour fief, Impila, Tsiémé, Mouléké. Vers le confluent de la Tsiémé travaille un puissant thaumaturge téké, Tsailéngélé, qui diffuse des rites magico-religieux de souche téké. Alors que les spiritains débutent les travaux, on peut lire sur la palissade du chantier catholique ce tag que Denis Ngabé attribue à un mauvais plaisantin : « Je ne veux pas qu’on fasse une Eglise à Ouénzé »(Signé le Diable de Ouénzé ) p.34. Ce verset satanique, au contraire, stimule les bâtisseurs. « On va voir  » dit Frère Hyacinthe d’origine alsacienne. Au bout du compte, l’Eglise Sainte-Marie dans la forme qu’elle aura jusque dans les années 1980 voit le jour en 1951.

Méthode

La méthode est systémique. L’auteur de la monographie, chimiste de formation, commence par établir les interactions socio historiques avant de situer son objet d’étude : L’Eglise Sainte-Marie de Ouénzé. Il établit des rapports entre les diverses institutions culturelles puis décrit les transformations dues au choc des civilisations. L’auteur, chrétien baptisé à Sainte-Marie, a puisé dans ses souvenirs personnels pour construire son ouvrage. Il a également (bien entendu) consulté les documents, malheureusement assez rares, écrits sur la paroisse. Denis Ngabé est un témoin qui a vécu, de l’intérieur, la dynamique spirituelle et culturelle de cette grande institution catholique. Son discours narratif est un précieux outil de travail pour tout chercheur qui se pencherait sur le sujet.

Au bout du compte Sainte-Marie de Ouénzé est intimement liée à l’arrondissement 5. Ouénzé est une société globale où fonctionnent trois dimensions : le sacré, l’armée et la production économique.

Ouenzé, quartier gaulliste

Dans le lointain contexte de la seconde guerre mondiale, Ouénzé connaît son baptême de feu lorsque s’achoppent sous les colonies les contradictions entre pétainistes et gaullistes. La garnison de ce que la syntaxe urbaine désignera plus tard par « Ouénzé Mandzandza  » (à cause des maisons en tôle) abrite des tirailleurs Saras (Tchadiens) qui prennent immédiatement parti pour L’Homme du 18 juin, au grand dam du général vichyste, Husson, battu à plate couture par le lieutenant Rougé. L’acte héroïque des gaullistes donnera, plus tard, à Ouénzé une mentalité rebelle dont en pâtiront les pouvoirs fondés sur la dictature. Les habitants de Ouénzé ont toujours cultivé une idéologie de communards que, parfois, des régimes, pas toujours bien intentionnés, ont instrumentalisée.

Les missionnaires spiritains s’appuient sur la bravoure des néo-urbains de Ouénzé pour faire du quartier le bastion de l’évangélisation des quartiers nord (où Père Grivah bâtira des années plus tard Notre Dame de Talangaï )

Ecole St-Michel de Ouénzé

En 1944, naît l’école Saint-Michel de Ouénzé. La prime scolarisation des enfants de Ouénzé a lieu, au croisement de l’avenue Miadéka avec la rue Dongou (ancienne Bassoko) avant le transfert sur l’actuelle avenue de la Tsiémé. Le bâtiment en pierres taillées (Ecole ya mabanga, mikaté épola) a double fonction de salle de classe en semaine et de chapelle le dimanche. 1951, la grande école St-Michel est construite. «  A cette rentrée, plus de 750 élèves dont 620 garçons et 130 filles fréquentent les 12 classes de la mission.  » p. 21 Plus tard en 1954 l’école des filles, Immaculée Conception organise sa première rentrée.

Les fruits humains de Sainte-Marie de Ouénzé

Fidèle à sa méthode, l’Eglise se consacre à répandre la semence de la modernité dans la zone conquise. Le terrain est fertile. Le bon grain pousse grâce l’évangile qui arrose les esprits que la société rurale a jetés en pâture à l’utopie de la colonisation, puis, plus tard, de la post colonisation.
La messe est écoutée en latin, en lingala et en lari. Les deux langues traditionnelles sont enseignées aux curés par des jeunes répétiteurs indigènes dont Antoine Létembé Ambilly. Parmi les premiers enfants de chœur, un certain Théophile Obenga. Parmi les choristes, probablement, Jacques Loubélo. Les enseignants portent noms : Albert Otoungabéya, Sissila, Antoine Ngatsé… Parmi les sportifs en herbe, un certain Emmanuel Yoka alias Glovacki.

L’école de Ouénzé peut se targuer d’avoir donné nombre de ses illustres fils à la future édification de la jeune République Congolaise. Nous citerons pour mémoire, Martin Mbéri, François Loumouamou, Fulgence Biyaoula, Emmanuel Yoka, Clément Ossinondé, Ego.
Un autre bâtisseur, aux côtés du RP. Grivah, le RP. Jean Ernoult : ce dernier a fortement oeuvré quand il s’est agi de doter les écoles catholiques de manuels pédagogiques.

Sortie de Culte à Sainte-Marie

Ouvrage post-mortem

L’auteur de la brochure, Denis Ngabé, a chanté son requiem en écrivant son opuscule. Il est décédé peu de temps après avoir posé sa plume.
La passion de Sainte-Marie : la mission de Ouénzé, commencée sur un choc de civilisations a connu sa passion en 2012 comme Jésus sur le Mont du Crâne. Crucifié sur la croix de l’impiété humaine, l’Eglise Sainte-Marie a failli rendre son dernier souffle le 4 mars.

Epilogue

Sainte-Marie de Ouénzé a subi le sort du Temple de Jérusalem détruit en l’an 70. Le 4 mars 2012 les obus de Mpila ont eu raison de l’autel. Bilan : un mort et plusieurs blessés. L’hécatombe a pu être évitée parce que c’était la sortie de messe. L’école St-Michel (ex-Pierre Ntsiété) est par terre. Les bonnes âmes considèrent, pour leur part, que c’est la Vierge Marie qui a protégé son Eglise. Preuve du miracle de la Mère du Christ, la grotte mariale édifiée sur l’esplanade de l’Eglise a été épargnée par l’impact des obus de Mpila. Les bâtiments de l’école Saint-Michel n’ont pas eu cette chance.


« La Paroisse Sainte-Marie de Ouénzé : de la fondation à nos jours »
Denis Ngabé, 76p. Brazzaville

Le presbytère avant l’onde de choc du 4 mars 2012
Le presbystère après le choc
L’autel dévasté par l’onde de choc

Nota : cliquer sur les images pour les agrandir