Ndalla Graille-Ntumi, la guerre (?)

Claude-Ernest Ndalla, dit Graille, publie un roman, Le Gourou/Une imposture congolaise, aux éditions Harmattan, dans lequel il étrille Ntumi. Règlement de comptes ou simple envie d’écrire ?

On connait Ndalla Graille le politique, le patriarche. On connait peu Ndalla Graille le littéraire. Désormais, cette injustice est réparée. Ou presque. Le gourou est une sorte de « Dieu est mort ! alors tout est permis » où se mêlent, pour le plus grand plaisir du lecteur, intrigues alambiquées, bons sentiments, coups bas, scènes d’amour, règlements de compte... Le patriarche déboulonne celui qui, longtemps, fut considéré comme un résistant politique au pouvoir de Sassou. Extrait : « Le Pool, après avoir donné vie à des êtres exceptionnels de dévouement à la cause de tous comme Matswa André Grenard, avait enfanté d’un monstre - le gourou - qui prenait plaisir à trucider ses frères pour avoir la sensation d’être honni.  »(page 150)

L’auteur démontre comment le révérend pasteur a été fabriqué de toutes pièces par les hommes de Sassou : « Nzokou avait sculpté une statuette nommée le gourou », écrit-il. Et de le comparer, dans son analyse, à un héros russe : « Le gourou ressemble en plusieurs points à des créatures de Dostoïevski. Le gourou, c’est Stavroguine dans Les Possédés. » Et pour cause : « Les héros de Dostoïevski sont toujours pris entre les antinomies violentes : ils ne veulent pas être les maîtres de leur vie, mais les esclaves fanatiques de leur destin, tout en se voulant dominateurs. » (page 146)

Comme Ntumi, un gourou qui ne recherche que « l’inaccessible et l’infini ».
Un livre où Ndalla Graille raconte comment Ntumi et l’agent de Sassou ont minutieusement préparé la fameuse bataille de Brazzaville. Le tout, pour faire du mal au Pool. Certes, on peut reprocher à Ndalla Graille d’être en retard sur le sujet ! Certes, on peut reprocher à Ndalla Graille d’avoir écrit en premier sur Ntumi - « Ndalla Graille s’est trompé de sujet », peste Jean-Pierre Samba. « On attend de Ndalla Graille qu’il nous parle des assassinats de Matsocota, Pouabou, Diawara, Ngouabi, Massamba-Debat, Emile Biayenda, etc » . Mais l’art ne connaît pas la chronologie des faits, surtout si le livre est bien écrit.

Un fourre-tout puisant

Oui, Le gourou est « un foisonnement créatif et la contagieuse énergie des artistes ». Ndalla Graille est définitivement un mastodonte des lettres : il aurait pu se lancer dans l’écriture plutôt que dans la politique. Il nous gratifie dans ce roman de ses connaissances littéraires. L’ouvrage est truffé de citations. Le gourou est tout simplement un exercice de style des plus splendides, d’une grande virilité. Le patriarche nous offre là une alacrité d’écriture, une narration dans la narration sublimée par une procession d’analepses et de descriptions époustouflantes. Ndalla Graille est maître en matière de variation. Tantôt mordant, tantôt lyrique, il sait aussi se remettre en question - un homme écartelé. Une maîtrise parfaite de la construction : chaque mot est bien pesée. Le gourou n’est pas seulement un roman d’analyse, c’est aussi une merveilleuse réflexion sur la littérature, le sexe, la politique... Le Congo en a bien besoin au moment où Sassou éternise le chaos de ce pays.

Bedel Baouna