D’où viens-tu Ntoumi ?

Beaucoup ont croisé les registres de l’oral et de l’écrit pour rendre intelligibles les tragédies dont le Congo est le brûlant théâtre. Georges Duby, le grand maitre de l’histoire médiévale dit que l’homme est le gibier de l’histoire. Nous ajoutons que le piège est le gibier du pouvoir.

Thuzard Mouyéké, ancien Ninja, a tenu à apporter sa froide pierre à l’édifice quant à l’authenticité héroïque ou réactionnaire des figures emblématiques qui fondent nos mythologies. Mouyéké a parlé de Ntoumi. Questions : pourquoi précisément cette diffusion au moment où Sassou est en train d’examiner sa levée du mandat d’arrêt ? Pourquoi Ntoumi alors que nombre d’acteurs ténébreux peuplent l’univers apocalyptique de notre histoire ? En l’occurrence Sassou. Y aurait-il des interactions ? C’est ce que l’on verra ci-après.

Les thèses sur la nature réelle du plus fantasque, voire du plus fantomatique des agents politiques, notamment le chef Nsiloulou Ntoumi, foisonnent au rythme des crises. Pour certains, Frédéric Bintsamou c’est le maquisard bizarre, le résistant inconsistant, l’opposant inclusif, exclusif, occlusif, le prophète de la fête, le messie auquel on doit un merci. Pour d’autres c’est l’envoyé odieux de Dieu, l’imposteur/maison, le menteur, le pantin plaisantin de Sassou, le plastron maelström, l’instrument destiné à mettre les Kongo/lari à genoux, à les domestiquer, le cheval de Troie offert aux Lari par Sassou afin de laminer le Pool de l’intérieur. Bref, Ntoumi est l’illustration parfaite de la locution latine ex nihilo. « D’où sort-il ? » C’est ce qui ressort des tentatives d’explication des esthètes qui essaient de comprendre le leadership dont s’est approprié ce soigneur de fous errant dans les forêt-galerie du Pool.

Témoignage sans rage

Dans une cassette vidéo qui circule sur la toile, posté en mars 2018, Thuzard Mouyéké a donné sa part de vérité sur la genèse de l’énigmatique phénomène Ntoumi et particulièrement sur ses représentations de la résistance.

De tous les récits sur l’émergence ex abrupto du Robin des Bois du Pool, celui de Mouyéké paraît le plus cohérent sans pour autant (NDLR) être le plus vrai.

Le statut du document est difficile à situer et dans le temps et dans l’espace. Etant donné que Mouyéké n’introduit pas dans son témoignage les événements structurants récents, par exemple la fameuse attaque du 4 avril 2016 qui a déclenché le deuxième guerre du Pool, la vidéo est alors antérieure à l’élection présidentielle et au changement de la Constitution voire à l’intégration de Ntoumi dans le gouvernement de Mvouba en tant que chargé de mission pour la paix. Etant donné que les risques de représailles sont grands du fait de la teneur des accusations, le lieu d’enregistrement n’est pas Brazzaville, encore moins le Congo. On penche pour l’Afrique du Sud comme source de fabrication du sulfureux récit.

Autobiographie

Né le 26 mars 1973 à Brazzaville, sur fond d’embrigadement marxisant, que dit Mouyéké ? D’entrée, ce Ninja postule que l’idéal communiste le guida, enfant, à épouser les causes révolutionnaires postérieures au monde bipolaire de la guerre froide. Comme les jeunes des Brigades Internationales pendant la guerre d’Espagne, le Congolais Mouyéké, étudiant, rejoint la province du KwaZulu-Natal (nation estimée pour sa tactique guerrière) en Afrique du Sud, pays secoué jadis par l’apartheid.

Lorsque la première guerre civile se déclenche au Congo en 1997 après que Sassou a mis le feu aux poudres, la route de Mouyéké croise à Johannesburg celle d’un certain Willy Matsanga qui vient de s’échapper des prisons de Lissouba au Congo-Brazzaville. Le guerrier Matsanga n’arrive pas à convaincre Mouyéké de rentrer au Congo afin de s’engager dans la milice de Sassou qui combat le pouvoir de Pascal Lissouba. Néanmoins l’internationaliste Mouyéké remonte sur Brazzaville via Kinshasa pour vivre l’histoire tumultueuse du Congo à son« corps donnant ». Point de chute : Bacongo puis le Pool après la débandade des Cocoyes du Président déchu Pascal Lissouba. Le Congo est le théâtre de situations menaçantes. C’est « Sauve qui peut ; chacun pour soi. »

La précarité de l’après-guerre civile fait glisser Mouyéké vers le trafic de drogue avec pour chef de gang un certain Koubemba Kamar, officier de police, foncièrement ripoux, chargé du maintien de la paix dans le Pool, lieu de repli des ex-Ninja de Bernard Kolélas.

Dans une tragédie rouge et noire où Mouyéké ne décrit pas son propre rôle, la narration est truffée de noms d’acteurs, de dates et de lieux authentiques qui fait gagner gagne en véracité le témoignage. On découvre les schémas de violence mis en place par les trafiquants de drogue en marge de la paix des braves que Sassou instaure à Brazzaville après le coup d’état du 5 juin 1997. C’est abominable. Les enjeux financiers énormes (des centaines de millions en CFA avec des ramifications en France) font tourner la tête aux narcotrafiquants.

Le camarade Kamar double Yogoshi et Pistolet, deux redoutables ex-Ninjas qui sont ses associés. On parle ici de sommes (80 millions en CFA) qui disparaissent. Point de drogue sans arnaque et sans violence. Pour entériner la terreur, exécutions sommaires, menaces sont le quotidien de la vie agitée des planteurs de chanvre indien. kamar se projette en parrain sicilien. Comme Don Corleone à Palerme, Kamar consititue un état dans un état dans le Pool ou plutôt une société sans état.
Sur une montagne à côté de Kinkala organise une exécution au cours de laquelle il abat trois Ninja qu’il est supposé conduire en prison. Pour venger leurs comparses, Yogoshi et Pistolet décident d’éliminer Kamar. Ils le « manquent » à Mindouli où ils « butent » le gardien de prison local, libèrent au passage des prisonniers, s’emparent de quelques kalachnikovs. Ayant eu vent du contrat sur son compte, Kamar se réfugie à Kinkala d’où il lance un SOS à Sassou en faisant passer ses associés pour des insurgés alors qu’il s’agit d’une banale affaire de partage de butin entre dealers.

Le SOS ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd

Sassou dépêche dans la région le lieutenant Obosso qui tombe dans une embuscade en compagnie d’au moins deux cents miliciens Cobras. Obosso, un habitué des coups durs, est tué dans l’attaque. Voila l’essence qui manquait pour allumer le feu.
La guerre reprend dans le Pool.

Un certain Mabiala, parent de la ministre Adelaïde Moundéléngolo, née Moughani, veuve d’Ange Diawara, cède une portion de terrain à un certain Frédéric Bitsangou ou Bitsamou, spécialiste des maladies des nerfs. Coût de la transaction foncière : 200.000 FCA.

On ne sait par quel processus, le guérisseur se métamorphose en chef religieux. Ntoumi s’emploie de recruter des jeunes grâce à un discours fondé sur la Bible. Son prosélytisme fait d’autant plus mouche sur la jeunesse rurale désœuvrée que, par tradition, la région, depuis Kimpa-Vita, André Matsoua, Malanda ma Croix-Koma, est familière des figures messianiques.

Que le nouveau messie noir surgisse dans la région dès la fuite en exil de Bernard Kolélas, n’a rien de fortuit selon Mouyéké. Que des caches d’armes lui soient révélées comme par hasard sous l’empire des transes, voilà qui laisse pantois. Que le résistant Ntoumi ne soit jamais attrapé malgré l’arsenal dont dispose le pouvoir de Brazzaville, que notre rebelle national développe des stratégies défensives, jamais offensives, et enfin qu’il ait pu être nommé secrétaire d’état par l’ennemi qu’il est censé combattre, la collusion et la connivence avec Sassou ne sont pas à exclure. Pour la petite histoire, Yogoshi et Pistolet seront abattus par les gars de Ntoumi. Rebelles au milieu des rebelles, électrons, libres, trop libres au regard de Ntoumi, ils devraie,t disparaître de la circulation.

On a parlé de piège. Ntoumi serait-il un appât qui vient du cerveau malade de Sassou ? Pour révoltante quelle soit, la question n’est pas pour autant inédite. La question fait l’unanimité dans les débats sur le statut de Ntoumi. Sauf que Mouyéké dans sa vidéo valide le cahier des charges qui pèsent contre le célèbre Jean-Moulin lari, arguments marteau à l’appui.

Simon Mavoula