Peu avant les plaidoieries, Sassou a prononcé un discours à la Nation, manière d’infléchir sur le cours du procès. Le prenant au mot, Me Quenum, avocat de la partie civile a axé sa plaidoierie sur le pardon. Un pardon qui ne signifie pas oubli. Il a demandé que soit érigée une stèle en mémoire des Disparus. Une manière sans doute de dire aux coupables que même s’ils n’ont pas avoué, leur crime sera inscrit dans l’histoire pour l’éternité. Somme toute, le pire des châtiments ?

Acte 15. Brazzaville. Le 8 août 2005. Cour criminelle.

Les Congolais, un peu désabusés, n’ont pas bronché tout le temps qui a précédé le discours du président de la République, M Sassou Nguesso, sur l’état de la Nation devant le parlement réuni en congrès. Que des promesses pleines de bonne foi qui ne sont jamais réalisées, ni même tenues, peu importe la nuance.

Comme prévu, cette allocution, qui a duré une trentaine de minutes, faite deux heures avant le début des plaidoiries sur l’affaire des disparus du Beach, dont la fin était programmée le 6 août par les officiels, a été reléguée au second plan par les Congolais.

L’attention générale ayant été attirée par les plaidoiries du dossier des disparus du Beach. Une bataille orale entre les avocats des parties civiles et du ministère public d’une part et ceux des accusés et de l’Etat de l’autre. Les pauvres contre les riches. Cinq avocats pour la centaine des ayants droits des disparus contre un armada de défenseurs (une vingtaine) pour les quinze accusés.

A 14h51, le juge et sa suite font leur entrée dans le prétoire. Le tribunal est plein à craquer. Tout le monde retient son souffle. C’est la ligne droite de ce procès. Contrairement à l’usage, il règne un silence de cathédrale dans le prétoire.

Après la minute d’introduction, la parole est donnée à Me Quénum pour le compte des parties civiles.

Scène 1. Plaidoirie du Me Quénum (14h53-16h09)

Me Quénum, devant la barre, présume qu’il prend la parole, avec émotion, devant l’histoire pour exprimer la douleur des familles bouleversées, victimes des barbaries humaines. Il rend hommage au gouvernement pour s’être donné la peine de médiatiser cette affaire sur les disparus qu’il qualifie d’ailleurs de désastre humanitaire, car la population a été utilisée comme bouclier humain par les protagonistes de la guerre de Brazzaville, en 98-99. Il estime que ce préalable est utile pour donner à cette affaire son importance. Les parties civiles, jetées en pâture et taxées d’être des parents des Ninjas, sont venues à ce procès pour savoir la vérité, ajoute t-il. Elles sont prêtes à pardonner, mais à l’unique condition qu’on leur dise où sont leurs enfants. Dans les mêmes circonstances de lieu et de temps, enchaîne l’avocat, des crimes contre l’humanité ont été commis sur les personnes des réfugiés. Les parties civiles, taxées de manquer des preuves par les médias la place et les avocats de la défense, ont été jointes à ce procès sous l’initiative du ministère public. Il ajoute que le but de ce procès est de prouver les disparitions du Beach, peu importe le nombre de disparus.

Il attaque qu’il y a eu génocide, puisque l’intention préalable de détruire un groupe est évidente. Il assimile ces disparitions à des crimes de guerre, car les quatre principales conventions de Genève du 12 août 1949 ont été violées. Les actes répréhensibles dirigés contre une population civile (meurtres et emprisonnements) sont des crimes contre l’humanité avance Me Quénum, et sont en violation des dispositions fondamentales du droit international que le Congo a ratifiées.

Selon Me Quénum, les faits de la cause sont évidentes : le début des hostilités en 1998, les accords tripartites entre le Congo, la R.D. Congo et le HCR, la traversée du Pool Malébo et la rétention de certains rapatriés au Beach, l’instruction de l’affaire, la prononciation de l’arrêt de renvoi, les déclarations et les dépositions des témoins.

Cependant, il souligne quelques zones d’ombre, tels que la présence régulière de Yvon Sita Bantsiri et de Vital Bakana au Beach, l’identité des personnes maintenues prisonnières dans les geôles de la direction centrale des renseignements militaires (DCRM), la non-exécution des accords tripartites par le Congo, l’audition de Mme Nkénzo, le manque à l’appel des personnes détenues au Beach dans leur famille, la vérité entre les propos de Mme Toutsi et ceux du sergent Ndoba, la volatilisation de Didas Bangui. Il remarque la prétention de la cour d’avoir son opinion sur ces questions et la conviction qu’elle se forge sur ces faits sont des atouts pour la prononciation d’un jugement équitable.

Il dénonce aussi le fait qu’aucune sortie n’ait été effectuée pour aller à la recherche de la vérité. Les ordonnances prises par le doyen des juges sont restées lettre morte. En dépit de cette nébuleuse, ajoute t-il, il y a une évidence : la disparition des personnes interpellées au Beach. « Cette séquestration qui dure 6 ans signifie assassinat ou meurtre ? » se demande-t-il.

Selon le ministre Léon Opimba, poursuit-il, l’accord tripartite est en quelque sorte un mariage à trois. La présence donc de deux signataires est nécessaire pour la prise d’une décision. Pourquoi y a t-il eu encore des formalités à remplir au Beach par des réfugiés avant de passer se demande Me Quénum ? Cela est contraire aux conventions de Genève. Dans l’armée qui a eu le mérite de rétablir la paix en un délai très court, comparaison faite avec la Sierre Leone, quelles sont les crapules à la gâchette facile qui ont donné l’ordre de ces enlèvements et détentions ?

De déduction en déduction poursuit-il, de supputation en supputation, quel était le rôle du personnel du port ATC lorsque le personnel du Beach se livrait aux formalité de contrôle de routine à la frontière sur les réfugiés ?

Il épingle la responsabilité de l’Etat, qui par le biais des forces de l’ordre, n’a pas respecté le caractère sacré du genre humain. Du 5 mai au 1er juin 1999, l’Etat ne s’était pas porté garant à assurer le transport des réfugiés jusqu’au camp d’éclatement. Quel était donc le rôle des services de l’ordre ?

Me Quénum avoue avoir le sentiment d’avoir joué une partition inachevée. Tel est son sentiment pour ce procès. Il propose l’élévation d’une stèle en mémoire des disparus. Il ajoute que les parties civiles peuvent pardonner, mais les accusés doivent d’abord accepter leurs fautes et ensuite se repentir.

Deux heures plus tôt, le président Sassou Nguesso soulignait dans son allocution sur l’Etat de la Nation le besoin d’une justice forte et non d’une force juste au Congo ; la balle est au camp de la cour, conclut t-il.


Keila Samuel,
Brazzaville, le 9 août 2005