Les crises constituent toujours l’occasion de remettre en cause les schémas inappropriés de développement : politiques, sociaux, économiques et favorisent les évolutions culturelles. Yves Roger Massoukou, président de Générations Sans Frontières (GFS), hier chef de bande armée « zoulou » pendant les guerres fratricides 92-93, au Congo s’est racheté en déposant les armes, au chaud des événements, lorsqu’il a découvert la trahison des politiques. L’association qu’il a créée, Générations Sans Frontières (devenue le 10 Avril 1994, une association de paix et développement), est née pour contribuer à l’arrêt des hostilités de 92-93, à Brazzaville. Son but est de construire, affirmer et cultiver ensemble la paix. Elle intervient dans les domaines de la santé de l’éducation, de l’insertion et de la réinsertion socioprofessionnelle. Aujourd’hui, cette armée pacifique, de plus de cinq cent jeunes sous sa direction, œuvre activement et bénévolement pour la paix, le développement et l’humanité.

Le revirement idéologique de Yves Roger Massoukou est survenu en pleine guerre, alors qu’il est responsable d’un check point routier. Bien qu’il ait reçu ordre de laisser passer un véhicule qui doit s’annoncer par un triple appel de phares, il passe outre, stoppe le véhicule et le contrôle. A sa grande surprise Bernard Kolélas en est passager. Il se rend en visite chez son ennemi théorique du moment, le Président Lissouba. A son retour le « Nkumbi » découvert laisse une somme de cinq cent mille francs CFA, à la troupe. Le lendemain Massoukou, écoeuré, dépose définitivement les armes avec ses hommes.

Tournant le dos à son passé guerrier, il décide de mettre temps et énergie à combattre la violence de la rue, celle de ces gosses livrés à eux même et à tous les excès prostitution, vol, usage de stupéfiants, véritable creuset d’un grand banditisme issu de la misère. Au Congo on recense plus de six mille enfants de la rue.

L’exclusion, la mauvaise gouvernance, la censure, et la violence figée, celle de l’injustice consolidée sont autant de plaies que Génération Sans Frontières (GFS), tente de conjurer dans la paix et le droit à la différence. « On naît toujours quelque part, personne tout compte fait ne choisit le lieu et la famille de sa naissance. On peut parler une langue différente des autres, ce n’est pas un drame en soi, un obstacle insurmontable à quiconque voudrait la parler. On peut avoir une couleur différente des autres, est ce un motif suffisant de l’exclusion des autres ? Non. » GSF, fait sienne cette vision.

L’ambassadeur de la France à la rescousse de ce jeune mouvement.

L’ambassadeur de France à l’époque, est surpris de voir autant de personnes œuvrant bénévolement au développement et à l’assainissement de la ville de Brazzaville, au sortir de cette période convulsive, demande qui sont ces jeunes. La réponse est simple et déroutante : « Nous sommes ceux qui s’affrontaient hier.
  Que voulez-vous aujourd’hui ?
  Notre problème est de démontrer à l’opinion nationale et internationale que la jeunesse n’est pas seulement active pour détruire mais aussi capable de reconstruire ce qu’elle a détruit : Qu’on nous fasse confiance. »

Pour les tester l’ambassadeur leur confie la réfection la façade du Lycée de la Libération, chantier pour lequel SOCOFRAN exigeait quatre vingt dix neuf millions de francs CFA. Après expertise de l’architecte de GSF, l’association présente un devis de vingt quatre millions de francs CFA. La réussite de ce premier chantier lui vaut la réfection de tous les lycées de Brazzaville.

Daniel Lobé Diboto a rencontré à Pointe-Noire Yves Roger Massoukou

Daniel Lobé Diboto : Yves Roger Massoukou, comment êtes-vous arrivé à Générations Sans Frontières ?

Yves Roger Massoukou : Nous avons été acteurs des évènements de 92-93, pourtant, nous avons pu constater que les enfants de ceux-là même qui nous envoyaient au front étaient presque tous à l’abri. Ceci nous a révoltés. Après le choc que j’ai subi en vivant l’anecdote que je vous ai citée et qui m’a éclairé sur la sournoise guerre des responsables politiques, nous nous sommes dit qu’il fallait faire la paix.

J’ai aussi vécu un autre fait imprévisible : les ninja (milice armée de Bernard Kolelas) avaient faim, les zoulou (milice armée de Pascal Lissouba) avaient faim eux aussi. Dans un bassin, il y avait un safoutier. Tout le monde avait faim, qui pouvait tirer sur l’autre ? Nous avons mangé ensemble. Voilà les raisons de la première rencontre.

Les politiques ont voulu récupérer le mouvement, nous sommes allés déminer le chemin de fer avec les ninja. Quand nous sommes revenus, nous avons pensé à jeter les bases d’une structure qui permettrait aux uns et aux autres de se rencontrer. C’est l’origine de Générations Sans Frontières.

Préparation du 15 Août

Les moyens nous manquaient, nous avons commencé par un bénévolat de trois mois, jusqu’au moment où l’Ambassadeur de France s’est intéressé à nous. C’est comme çà qu’on a reçu un premier crédit en matériel de cent dix millions de francs CFA. Aujourd’hui, si vous allez dans l’enceinte du lycée du 1er Mai (Brazzaville), le plus beau bâtiment que vous pourrez voir a été réalisé par ces jeunes, au lycée Cheminade aussi.

Le mouvement devenait puissant et efficace au point que le président Pascal Lissouba nous nous a octroyé le marché du bitumage de l’avenue du 5 mars. Quand TABEY est venu, nous lui avons pu lui imposer que sa main d’œuvre non qualifiée soit en priorité choisie parmi nos jeunes. La Poclain ici ce sera nos jeunes, ce chantier est un chantier école, vous venez avec vos professionnels mais ils doivent enseigner à nos jeunes. Cet ouvrage de référence fait maintenant la fierté des 9.600 jeunes qui ont participé à sa réalisation. On travaillait de manière rotative. Voilà ce que nous avons fait dans le passé.

Malheureusement le retour de la guerre a anéanti tous nos efforts et nous avons tout perdu.

J’ai recommencé à Pointe-Noire, en janvier de cette année,

Y.R Massoukou surveille ses petits

par les réunions chaque samedi, car il fallait d’abord conscientiser les jeunes, pour qu’ils comprennent l’intérêt et les motivations du mouvement.

Actuellement nous avons notre siège dans l’arrondissement III, Tié-tié précisément à quelques mètres du stade Tata Louboko.
Je voudrais dire ici toute ma reconnaissance à monsieur le député maire de la ville de Pointe-Noire, Roland Bouity-Viaudo, qui nous a donné le matériel et un véhicule aux fins d’assurer les déplacements des jeunes sur les différents sites de travail

DLD : Monsieur Massoukou, pouvez vous revenir sur votre cadre de travail avec la municipalité de Pointe-Noire ?

YRM : Nous avons d’abord demandé à la mairie de mettre le matériel à notre disposition parce qu’on avait les mains valides. Monsieur le député maire a réagi positivement car nous offrions un travail bénévole. Après une première expérience de neuf jours au fond Tié-tié , nous avons eu les satisfecit du premier citoyen de la ville. En tant que père, il n’a cessé de mettre à notre disposition la collation et le savon.

A sa demande, nous sommes intervenus au marché central et son environnement. Ensuite il m’a demandé de reverser un groupe à la mairie. En retour chacun de ses membres reçoit une somme quotidienne de 1500 FCFA en tant que membre de Générations Sans Frontières.

DLD : Combien de jeunes ont été enrôlé par la mairie ?

YRM : Actuellement, ils sont 100 membres à la disposition de ma mairie de Pointe-Noire.

DLD : Qu’elles sont les difficultés que vous rencontrez sur le terrain ?

YRM : Il y a d’abord un problème d’éducation parce que nous constatons que les citoyens n’ont aucun respect pour leur environnement immédiat.
Par exemple, les eaux usées des parcelles sont déversées directement aux caniveaux, y compris les WC le plus souvent. On peut en particulier constater cela dans le secteur du marché central. Si devant chez soi, on n’est pas capable d’assurer l’hygiène, c’est à notre avis un problème d’éducation.

Conscientisation chez GSF

Donc pour l’instant nous travaillons et après nous allons passer à la phase d’éducation. Car de manière naturelle, même quand on se promène, si on a un besoin pressant, généralement on a tendance à s’orienter là où c’est sale. Ce constat nous l’avons fait au fond Tié-tié. Depuis que nous avons travaillé là-bas, les populations et les commerçants veillent au nettoyage des caniveaux. Il est vrai que chaque jeudi, nous envoyons une équipe d’entretien sur les sites, mais ils y vont pratiquement en ballade. Car, il y a moins de travail. En somme, les gens commencent à prendre conscience.

DLD : Monsieur Massoukou, quel est votre secret à pouvoir gérer autant de jeunes, dont la préoccupation serait la recherche de la provende au jour le jour ?

YRM : Je ne sais pas s’il faut parler en terme de secret. C’est d’abord un problème d’histoire. Je vous ai dit que la structure est la réponse aux événements fratricides de 92-93. Aujourd’hui en tant qu’objecteurs de conscience, nous essayons de conscientiser. La jeunesse aujourd’hui à tout à gagner dans l’organisation pas dans le désordre.
Il faut se dire que dans quinze ans, ou vingt ans, la classe politique actuelle, et de surcroît la première depuis l’indépendance à l’exception de quelques jeunes, passera le flambeau à la jeunesse. Mais quel pays vont-ils diriger, s’ils ne se connaissent pas ?
Donc nous pensons qu’il faut créer les conditions pour que les uns et les autres constituent une famille. Il faut dire qu’à l’époque il y avait moins d’établissements scolaires, l’ethnocentrisme n’était pas aussi accentué. Force est de constater qu’au niveau de la jeunesse les gens ne se connaissent plus. En fait mon discours est simple, depuis Janvier 1994, j’ai réuni les gens. Pendant la CAN et j’ai dit ceci : « Je vous ai appelée pour qu’ensemble, qu’on réfléchisse. Je sais une chose, c’est que si aujourd’hui nos chaussures avaient des compteurs, il y a des gens qui font trois à quatre kilomètres jour pour chercher du travail. Si quelqu’un peut parcourir autant de distance à pied sans avoir vingt cinq francs pour s’acheter un sachet d’eau glacée, cela doit nous faire réfléchir. Même la solidarité des fumeurs n’est plus de mise. Face à cette décrépitude est ce qu’on ne peut pas s’arrêter et se poser la question où va le pays ? »

La pauvreté est notre force

J’ai dit aux jeunes si nous souffrons aujourd’hui, nous devons nous organiser pour sortir de cette situation. Si la jeunesse n’est pas capable de se poser les vrais problèmes dans l’ordre, il est tout à fait normal que le Président de la République en tant que père de la nation pense que tout va bien.

DLD : Comment ces jeunes arrivent-ils à joindre les deux bouts en fin de mois , alors que vous travaillez bénévolement ?

YRM : Il y a deux aspects à prendre en compte : l’individu avant qu’il n’adhère au mouvement et le travail dans le groupe.

Il faut comprendre ce qui pousse les jeunes dans la rue. Connaissez-vous la misère dans laquelle la plupart vivent ? Dans leur famille est-ce seulement une vie ? C’est le désespoir, on dort et on se réveille avec une seule préoccupation. Peut-on avoir quelque chose à manger ? La rue offre des illusions d’opportunités, ces enfants s’y retrouvent et s’y regroupent. Animés par les mêmes motivations ils se sentent moins seuls et plus forts. Les enfants de la rue sont un problème dont les gens semblent se désintéresser, mais c’est toute une armée grandissante. Jugez en, vers le siège de la fondation Congo Assistance, là où nous sommes entrain de curer les caniveaux, un jour en plein 13 heures, pendant mes jeunes entraient sous les dalles, ils y ont découvert réfugiés, avec deux chats, douze enfants de la rue. Voilà une frange de la population qui affronte toutes les intempéries, privée d’amour, alors quand elle se déchaîne, plus rien ne l’arrête.

Nous emmenons les gens auprès de l’association pour faire sur eux un travail d’éducation, et leur faire comprendre qu’il ne sert à rien de désespérer. Si nous souffrons actuellement c’est aussi d’un problème de déficit relationnel. Quand nous sommes ensemble, les ouvertures sont certaines. Par exemple une société de la place nous a demandé si nous pouvons lui procurer un soudeur assermenté. Nous le lui avons trouvé dans le groupe. Si ce jeune n’avait pas été dans Générations Sans Frontières, il aurait manqué cette opportunité. Moralité : Il ne faut pas désespérer, ensemble nous réussirons.

DLD : Monsieur Yves Roger Massoukou, Congopage vous remercie.

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