C’est cette semaine que se tient en France le procès du groupe pétrolier Elf. Le sulfure que dégage le dossier, épais de plus de 600 pages, atteindra certainement les abords du Congo (fleuve). Mais quelles vagues risquent de submerger la Françafrique, quand les liquides en cause ici sont les deux liquides les plus précieux au monde : le rouge de notre sang, et le noir de notre pétrole !

Les faits, curieusement, sont d’une africaine banalité. Des personnages haut-placés chez Elf ont arrosé à gauche et à droite dans leur propre pays, puis se sont tournées vers nos dirigeants qui ont invité leurs proches à goûter à la sauce. Dos Santos, Bongo, Sassou ont été tour à tour arrosés et arroseurs ; ils ont boukouté en bonne et due forme, et ils ont permis à des partis politiques français, de recevoir des ristournes juteuses.

Je parle de Sassou, mais je n’oublie pas Lissouba. Elf a pratiqué la politique du fameux Comité des 300 - dits les Illuminati - : toujours placer deux marrons au feu. Ainsi, en Angola, on a soutenu Savimbi et Dos Santos : deux ennemis mortels. Au Congo, on a appuyé Lissouba et aidé Sassou pendant qu’ils étaient en guerre de légitimité. Quoiqu’il arrive, on est sûrs de remporter la mise : mieux qu’au loto !

Ce dossier sent aussi la contradiction de bout en bout. Car, c’est bien sous le régime du champion de la bonne gouvernance ; du prédicateur de la fin des pré-carrés ; du militant reconnu des Droits de l’home, François Mitterrand, que les faits incriminés ont eu lieu. D’un côté la Beaule, de l’autre l’obole : dire et ne pas faire.

Paradoxe aussi que les faits incriminés n’aient pas constitué, jusqu’à une certaine époque, des délits en France. Dans le box, les Loïk Le Floch Prigent, Sirven et autres André Tarallo seront seuls : aucun Chef d’Etat africain ou ex-Chef d’Etat ne sera poursuivi. Du reste, de quoi pourrait-on les accuser ? D’avoir perçu des prébendes pour brader les richesses de leur propre pays ? Ce serait plutôt à nous d’intenter ce procès-là : la France n’est pas notre lave-vaisselle.

Paradoxe enfin que sur l’échiquier congolais, la question du pétrole soit devenue une vraie patate brûlante ; que le régime et l’Eglise catholique se regardent en chien de faïence, même quand ils disent - ou devraient dire - tous deux la même chose ! Sassou Nguesso ne décolère pas : il estime que les évêques congolais soufflent sur la braise. Et que leurs visées sont autres qu’humanistes.

Le même Sassou qui s’aperçoit - mieux vaut tard que jamais - que Elf nous grugeait et nous trompait de mille manières ; qui voudrait relever la part de notre gain sur les exploitations. Les députés ont refusé de renouveler un permis d’exploiter à la compagnie française. Une expertise est en cours pour déterminer de combien nous avons été lésés. Des contrats ont été passés qui sont de vrais reculs de souveraineté, sous Lissouba, mais aussi sous Sassou 1er. Il faut corriger.

Les évêques du Congo ne disent pas autre chose pourtant. Nous sommes le troisième producteur africain de pétrole, mais nous étalons une misère digne d’un pays de chiffonniers. Le baril de pétrole caracole à plus de 30 dollars l’unité, mais à Brazzaville des chauffeurs de taxi sont obligés de faire la queue devant des stations d’essence parfois deux nuits de suite. Et on ne parle pas des ornières sur toutes les routes de Brazza (manque de goudron, autre produit du pétrole), ni du prix exorbitant du pétrole lampant.

Pour avoir du carburant à Brazza il faut l’acheter chez des « kadhafi ». Terme commode pour désigner les trafiquants de l’ex-Zaïre ; c’est à dire un pays sans pétrole qui en vend à celui qui en produit. D’où la question : que fait-on de notre pétrole ? Comment pouvons-nous vivre mieux avec notre propre richesse minérale ? Questions qui fâchent, mais réponses toujours attendues.

A Paris s’ouvre le procès d’une société aux pratiques nébuleuses. Il nous restera, chez nous, à faire le procès de notre propre gestion. Et ouvrir un débat serein où ceux qui s’interrogent ne seront pas taxer de tribalistes. Car à défaut de leur répondre, il faudra au moins montrer sur le terrain que je peux aller du Rond-point Mikalou jusqu’au Pont du Djoué sur une route qui fleure bon mon pétrole. J’ai essayé. J’y ai cassé mes essieux.

BB