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L’Afrique subsaharienne survivra-t-elle à la mondialisation ?

2 mai 2010

Au XVIIIe siècle, Karl Marx décrivait l’évolution du capitalisme comme suit : « une fois que le capitaliste aura satisfait la demande locale, il se lancera à la conquête du monde ». C’est sa phase « ultime » –l’impérialisme- qui lui permettra d’augmenter et de consolider ses profits en baisse tendancielle, écrivait-il. Nous y sommes.

Amorcée au début du XIXe siècle, cette conquête s’est accélérée à partir des années 1990 sous la forme de la constitution d’un village planétaire ; on parle alors de mondialisation. L’effondrement du mur de Berlin venait de consacrer la victoire des thèses libérales dans le domaine économique, et les firmes multinationales (FMN) pouvaient obtenir ce dont elles avaient toujours rêvé : un monde sans frontière où les marchandises et les capitaux pouvaient enfin circuler sans entrave.

Dans ce travail, nous essayerons de répondre aux questions suivantes : la libre circulation des biens et des capitaux se fait-elle pour le bien-être des populations africaines ? L’Afrique a-t-elle intérêt à soumettre toute son économie aux logiques du « laissez-faire » et de « la main invisible » ?

Mondialisation ; un bilan mitigé pour l’Afrique subsaharienne

Conçue en principe pour aider les FMN à trouver des débouchés pour leur surproduction, la mondialisation est présentée en amplifiant à dessein ses seules vertus motrices de la croissance du produit global mondial. L’ouverture des frontières, en faisant jouer les avantages comparatifs, serait profitable pour tous les participants au commerce international. L’Afrique trouverait alors dans la mondialisation un moyen d’espérer, de gommer sa pauvreté et de réduire son retard économique.

Un nouvel ordre économique mondial et une nouvelle division internationale du travail se mettaient en place. L’industrie à haute technologie, nécessitant une main d’œuvre très qualifiée, se réaliserait au Nord dans les pays occidentaux alors que l’industrie à forte utilisation de main-d’œuvre se ferait au Sud, dans l’ancien Tiers-monde.

Par ce biais, l’Afrique et tous les autres oubliés de l’enrichissement et du développement économique, devraient bénéficier des transferts des capitaux et des technologies à forte consommation de mains d’œuvre. La voie du développement économique se balisait enfin, pouvait-on entendre et lire de la part des libre-échangistes.

Vingt ans après son accélération, le bilan de la mondialisation en Afrique est plus que préoccupant, l’ouverture des frontières n’ayant pas atteint les objectifs que les libre-échangistes lui prêtent. Sur au moins deux des principaux objectifs de la mondialisation à savoir : attirer les capitaux étrangers et augmenter les capacités exportatrices, le compte n’y est simplement pas. La mondialisation se solde en Afrique par l’insuffisance voire la fuite des capitaux et l’étouffement des activités agroalimentaires locales.

Quelles peuvent être les raisons de ces résultats contrastés ? La faiblesse structurelle des économies africaines à attirer les capitaux et les coûts de production relativement élevés de leurs produits sont nos pistes d’analyse.

L’attractivité difficile voire impossible des capitaux et des technologies.

D’une manière générale, en dehors de l’Afrique du Sud, l’Afrique subsaharienne attire peu d’investissements directs à l’étranger (IDE). Pour les pays africains, l’IDE est essentiellement concentré dans l’industrie extractive. Selon les chiffres du FMI, en 2008, sur 100 dollars d’IDE en direction des pays en développement à peine 8 dollars ont pris la direction de l’Afrique subsaharienne. Les transferts de capitaux et de technologies tant espérés se font donc toujours attendre si ce n’est qu’ils se réalisent à dose homéopathique.

Les vagues de délocalisations subies par les pays du Nord jusqu’aujourd’hui se font au bénéfice des continents d’Asie et d’Amérique latine. Par exemple, toute l’industrie de l’habillement ou presque a quitté l’Europe et l’Amérique du nord pour s’implanter en Asie. Les centres d’appel des grands groupes d’assurance et des banques se délocalisent vers le Mexique, l’Inde, le Brésil ou l’Argentine. De même, les firmes automobiles occidentales installent des filiales au Brésil, en Chine, dans les quatre dragons. Les pays émergents et leurs périphéries, qui reçoivent plus de 92 % des IDE de l’ensemble des pays en développement, semblent tirer leur avantage dans cette compétition économique internationale qui s’est accélérée depuis le début des années 1990.

Pourquoi alors l’Afrique ne bénéficie-t-elle pas des délocalisations ? L’Occident serait-il moins sensible aux souffrances des africains qu’à celles des asiatiques ou des sud-américains ?

Les logiques économiques ne sont pas celles de la philanthropie, pour cause, il n’y a pas de place aux sentiments ni à la solidarité dans l’esprit du libéralisme économique. Sur la planète de l’homo economicus, seules comptent la rationalité, la solvabilité et la rentabilité. Comme le poisson qui ne peut se mouvoir que dans l’eau, le capital lui ne se déplace qu’en fonction de sa forte propension au profit. Le profit est le moteur des mouvements des capitaux, la raison principale des transferts des capitaux d’un point (pays) à un autre.

Or, les économies africaines se caractérisent par : un déficit important en infrastructures de base (routes, énergie), la lourdeur bureaucratique, la pénurie de la main-d’œuvre qualifiée, l’instabilité politique, un secteur privé local aux contours flous, une corruption endémique, un système fiscal totalement opaque. Cette structure économique ne facilite simplement pas les capitaux étrangers à s’y implanter. Ainsi, quel investisseur, guidé par l’esprit de l’homo economicus, serait-il prêt à engager ses fonds dans les pays où les perspectives sociopolitiques sont souvent soumis à la loi du hasard ? Les investisseurs occidentaux et biens d’autres, orientent alors leurs capitaux là où la profitabilité serait la plus élevée possible.

A cette faible attractivité des capitaux, on peut noter également les dégâts occasionnés en l’Afrique par le « laissez-passer » intégral.

Quand l’ouverture des frontières déstabilise l’agroalimentaire africain

« Le laissez-passer » ou l’ouverture des frontières, vise à augmenter la concurrence et la production sur l’ensemble de la planète. Cependant cette concurrence ne se fait pas à armes égales. Elle met en compétition des acteurs et des Etats politiquement et économiquement inégaux.

Dans le domaine de l’agroalimentaire, la concurrence oppose ; d’un coté les agriculteurs occidentaux mieux organisés en syndicats, bénéficiant de la protection et d’énormes subventions de leurs Etats (exemple, plus de 43% du budget de l’Union européenne sont consacrés à l’agriculture) et de l’autre coté, les agriculteurs ou paysans africains dispersés dans le continent, mal ou pas du tout syndiqués et ne bénéficiant ni de la protection de leurs Etats (politiquement faibles) ni des subventions.

La circulation des produits alimentaires est plus fluide de l’Occident vers l’Afrique que de l’Afrique vers l’Occident. Les produits alimentaires d’origine africaine sont soumis en Occident à diverses normes ; NF - normes françaises - ou NE - normes européennes – (traçabilité, conditionnement, protection de certaines espèces animales, etc.) auxquelles ils ne correspondent pas ou très rarement. L’Afrique ne peut alors profiter de la présence de plus en plus nombreuse en Occident de sa diaspora pour espérer augmenter ses exportations des produits alimentaires. On constate par contre que les surplus (souvent de très mauvaise qualité) de poulets, d’œufs, de tomates, d’oignons, de riz, d’huile, de haricots, de farine et biens d’autres produits agricoles occidentaux, sont déversés sans entrave sur le marché africain, au détriment de la production et des emplois locaux.

Bénéficiant de l’absence des normes africaines, des faibles droits de douane et des aides à l’exportation de leurs Etats d’origine, les produits agricoles des pays hautement plus avancés, arrivent en Afrique très compétitifs, à la grande joie des consommateurs urbains. Ces produits sont largement moins chers que leurs équivalents locaux en dépit de la longue distance parcourue. C’est ainsi que, l’essentiel du contenu des assiettes de déjeuners et de diners des africains provient de l’extérieur. Les seuls produits qui font encore l’objet de production locale sont ceux dont le climat interdit la production en Occident comme le manioc, le Saka-saka, l’arachide, le coco, la banane, etc.

Ne dit-on pas « qu’un peuple qui ne produit pas ce qu’il mange n’est pas un peuple libre » ? C’est la liberté et l’avenir de l’Afrique qui se trouvent menacés. L’entrée incontrôlée en Afrique des produits agroalimentaires occidentaux, en détruisant les productions locales, aggrave les problèmes déjà préoccupants de chômage, d’exode rural et de croissance des bidonvilles. Cette situation risque de porter atteinte à la fragile cohésion sociale du continent si la mondialisation n’est pas refondée en tenant compte des spécificités de chaque contrée.

La refonte de la mondialisation ; une nécessité pour la survie des africains

La production est la seule source possible d’enrichissement, de création de valeur ajoutée donc des revenus. Avec la destruction de la production locale et de l’agriculture vivrière, l’Afrique deviendra à terme qu’une vaste zone de consommation. Le paradoxe est que pour consommer il faut être solvable, avoir un revenu. En l’absence de toute rente, avec quel revenu acheter si toute la production est réalisée à l’étranger ?

Poursuivre l’ouverture des frontières à tous les produits, c’est courir le risque d’imposer à l’Afrique une soumission supplémentaire ; celle de confier les clés de son alimentation et de son destin aux caprices des bourses et des multinationales occidentales.

Tous les produits ne doivent pas être soumis à la libre expression du marché comme l’a démontré le gouvernement français il y a quelque temps. En effet, la France dans les négociations avec l’OMC, avait réclamé et obtenu l’exception culturelle en dépit de l’opposition des tenants du libéralisme. Par cette disposition, la culture échappait aux diktats des marchés, au grand dam des américains et de tous les néolibéraux de la planète.

Même si cette exception culturelle n’était qu’un prétexte pour obtenir la protection des industries cinématographique et musicale françaises, moins compétitives que leurs homologues américaines. Il faut reconnaître qu’elle a eu le mérite de tempérer la domination absolue des préceptes libéraux. Et si la France ne l’avait pas obtenue, aujourd’hui son espace audiovisuel serait envahi par les séries et la musique américaines au détriment de ses propres films, de sa propre musique et de ses emplois.

Alors dans le même esprit, l’Afrique doit rechercher l’infléchissement de certaines dispositions du « laissez-passer » intégral. Notamment négocier la protection de son alimentation et de son agriculture vivrière, qui fait encore vivre une majorité d’individus. L’autosuffisance et la sécurité alimentaires du continent passent par la réalisation et la maîtrise de la production par les africains eux-mêmes, ce que ne permet pas la porosité de ses frontières. Par conséquent, il faut rétablir ou relever significativement les droits de douane sur les produits alimentaires et agricoles. Si non, les campagnes se videront de leurs populations les plus valides et les bidonvilles se développeront à vitesse « V » avec leur cortège de désagréments (problèmes d’insalubrité, d’eau potable, d’électricité, de transports…). Ensuite, arrêter toute politique de fixation et de contrôle des prix des produits agroalimentaires qui, tout en favorisant les populations urbaines, délaisse et pénalise les populations rurales.

Daniel Moukoko-Maboulou, Socio-économiste, Bordeaux, Avril 2010.