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Me Philippe Youlou passe au crible les arguments de Me Aimé Emmanuel Yoka, Ministre de la Justice

D’Aguesseau écrivait, en 1693, du corps des avocats : "c’est un Ordre aussi ancien que la magistrature aussi noble que la vertu, aussi nécessaire que la justice".

Sur le plan déontologique, estime Me Philippe Youlou, avocat au barreau de Nice, le Droit est totalement bafoué dans l’arrestation de Me Hervé Ambroise Malonga et Me Auguste Hombessa.

I : Sur les ragots et la malveillance

Me Emmanuel Yoka n’étant pas à Brazzaville comment a-t-il été informé des faits ? « Ils m’ont été rapportés » dit-il en substance. Voilà un Garde des Sceaux qui se fonde sur des propos rapportés oralement par ses espions pour décider de poursuivre deux avocats. Le ministre de la justice est entré dans les ragots. Ce n’est pas sérieux. On n’emprisonne pas sur la base de la rumeur publique. Est-ce la bonne personne qui est poursuivie, c’est-à-dire Me Ambroise Malonga ? On se le demande. Dans cette affaire, en vérité, c’est Me Malonga qui doit poursuivre celui qui le poursuit, en l’occurrence Emmanuel Yoka.

II : Sur le prétendu auditoire TEKE

D’où tient-on qu’à la conférence de presse il n’y avait que des Téké ? A-t-on procédé à des contrôles d’identité ? Non. Mais à supposer qu’il les ait faits, il est difficile (voire impossible) de déterminer, avec exactitude, les origines ethniques d’un public sur la base d’une pièce d’identité puisque la mention « appartenance ethnique » ne figure pas sur ledit document. On ne peut parler que d’une catégorie de personne pas d’un groupe ethnique.
S’il s’agit de balafres symboliques, cela ne veut rien dire étant donné que dans le Pool, les Soundi les portent aussi. Quant aux patronymes, qui peut conclure sans se tromper que Malonga, Mampouya, Mbemba, noms téké sont exclusifs à l’aire culturelle éponyme, que Ngatsé, Atipo, Ossébi ne sont pas portés dans la Cuvette bien qu’étant à consonance téké ? Dans nos sociétés en interaction, rien n’est plus interchangeable qu’un patronyme. Celui qu’on prend pour téké peut être kongo/lari et vice versa.

III : Sur la conférence de presse dans une caserne militaire

Qu’est-ce qu’une caserne au Congo ? Une passoire. On y a même réussi en 1977 à y assasiner un Président de la République. En dehors du Messe Mixte, des résidents y tiennent même des buvettes privées.

Les deux avocats avaient-ils le Droit de tenir la conférence de presse dans une caserne militaire ? Difficile de se prononcer sur ce fait. Toutefois, en quoi tenir une conférence de presse dans une caserne constitue-t-il une menace contre la sureté de l’Etat ? Au Ministre de démontrer le délit d’atteinte à la sécurité de l’Etat reproché aux avocats. Il arrive, dans le cadre d’une reconstitution, qu’on transporte la cour à l’extérieur afin que le public l’écoute ou qu’on prenne le peuple à témoin. C’est, du reste ce que auraient dû faire les magistrats qui instruisaient le procès des assassins de Marien Ngouabi en 1977. On aurait démasqué les vrais coupables, qui, on le rappelle, courent encore à ce jour.

Il ne demeure pas moins que les deux avocats, voulant tenir dans un premier temps la conférence à l’hôtel Saphir, espace civil, la police aux ordres du Ministère de la Justice les en a empêché. Dans le premier cas, ils ont essuyé un refus catégorique ; temps tandis que, dans le deuxième cas leur liberté, leur a été radicalement privée.

Me Philippe Youlou : "Que le Ministre Yoka revienne vite à la raison"

Au Congo, quel que soit l’endroit où on exerce le métier d’avocat, on a sa part de répression. En somme, depuis le 4 mars 2012, selon le Ministre, le métier d’avocat ne doit plus avoir cours nulle part.
Or à tous les niveaux, dans toutes les instances, administratives ou judiciaires, Maître Hombessa et Maître Malonga se doivent d’être présents, n’en déplaise au Ministre de la Justice.

IV : Sur le retour au juridiction d’exception, juridiction militaire

Quand un Etat se plaît à arrêter un avocat sans qu’on ne démontre sa culpabilité, quand les présumés innocents n’ont plus le droit d’être assistés par des avocats de leur choix, nous sommes dans un Etat sauvage, réellement totalitaire. Dans ce cas, tout justiciable congolais devient vulnérable, il ne peut se défendre, il ne peut être défendu.

Puisqu’on doit « fermer sa gueule » alors les Tribunaux doivent être fermés. Pourquoi ? Parce qu’il n’y aura plus d’avocats, puisque ceux-ci ne peuvent pas assurer le rôle d’Etat de Droit. On est, ça c’est sûr, en République Totalitaire. Si le droit des avocats est bafoué, il ne reste plus qu’à fermer les écoles de Droit vu qu’on n’a plus le droit de faire un métier dont la fonction est de soustraire les gens de l’arbitraire d’une accusation à sens unique. Quelle justice peut être rendue sans débat, et quel débat peut-il y avoir sans contradictions ? En outre les futurs avocats n’auront pas tort d’avoir peur des affaires politiques, au risque de subir le sort de Me Malonga.

Est-on revenu aux Tribunaux militaires ? Aux Tribunaux d’exception ? Le châtiment est-il devenu la règle, l’innocence l’exception ?

Ces deux avocats ont fait leur métier. Leur rôle est de s’engager intellectuellement, moralement, et même physiquement ( malheureusement) comme c’est le cas. C’est particulièrement vrai au moment où les passions se déchaînent, quand la Cité est en péril, quand les citoyens sont confrontés au grand drame national. La tradition des humanistes commandait de s’engager toujours avec les persécutés, de défendre les bonapartistes sous la République, les républicains sous l’Empire.

V : Sur la justice symbole de la balance

J’espère que ceux qui ont arrêté les deux avocats vont revenir sur leur décision. Entendons-nous bien : Me Malonga et Me Hombessa ne sont pas « courageux  ». Ils n’ont fait que leur devoir. L’avocat aide la société ; il aide le Magistrat. Il permet de regarder l’autre aspect d’une affaire pour faire équilibre. Ce n’est pas pour rien que le symbole de la Justice est une balance. Sans débats contradictoires, point de justice, sans justice, point de Droit. Or l’avocat est là pour assurer l’équité. C’est folie de le confondre avec le cas de son client. Me Malonga n’est pas terroriste. C’est ce qu’on reproche à son client. Assimiler le défendeur au client qu’il défend, ça s’appelle « transfert  » en psychanalyse. Il faut savoir distinguer les choses.
Le Ministre de la Justice confond tout. Il oublie ce qu’est un avocat. Pour Le Chancelier Séguier (1789) "C’est une femme ou un homme qui se consacre librement au service de ses concitoyens."

Espérons que le Ministre consacrera sa raison pour lire le Droit, celui qui éclaire l’opinion. Qu’il revienne vite à la raison avant que la clameur publique n’ait raison de lui.

Me Philippe YOULOU

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