Voir mourir son mari ou son père peut devenir source de dépression dans tous les sens du mot. C’est l’un des événements qui vous remet plus bas que terre au Congo. D’ailleurs, pour certaines belles familles la veuve devra s’asseoir et coucher par terre durant tout son deuil. Elle n’aura même plus le droit de lever la tête pour parler aux gens. A la veuve et à l’orphelin tout sera ravi.
Comme le dit le proverbe, il faut manger le maïs lorsqu’on a encore ses dents. Pour certaines familles, la veuve et l’orphelin deviennent édentés dès le moment où on annonce la mort du mari ou du père. Puisqu’ils ont mangé durant la vie du défunt, l’événement de sa mort met fin à toutes les récréations et les festivités. Avoir opté pour le régime des biens communs lors du mariage peut s’avérer une grave erreur à ce moment précis.
A l’occasion du décès de votre mari ou de votre père, vous apprendrez à connaître tout le monde dans la famille. Même ceux qui vous paraissaient gentils deviennent méchants avec vous parce que l’heure est enfin venue pour eux. L’heure de la récupération de leur dû qui était confisqué par l’épouse et les enfants du parent mort. Ils vont le dire par les mots, mais surtout par des gestes qu’il est temps de débarrasser le plancher, car la comédie a assez duré.
C’est ainsi que le calvaire va commencer pour la veuve surtout [1] Elle recevra des instructions précises à respecter sinon elle se verra abandonnée et n’aura pas droit aux cérémonies de purification prévues par la tradition. Le risque encouru serait d’avoir sur le dos durant tout le restant de sa vie, le fantôme du mari. Donc, pour ne pas en arriver à cette possibilité pour le moins troublante, une veuve qui veut continuer à vivre est tenue d’obéir. Pour commencer, comme je l`écrivais plus haut, elle devra dans certains cas, s’asseoir et coucher par terre durant la période de deuil. Se lever pour aller faire quoi que ce soit, est soumis à une autorisation parce qu’il y a une ou des dames qui sont désignées pour la surveiller et "s’occuper d’elle". Pour que la veuve boive ou mange, ce sont encore elles qui décident du comment et du pourquoi. Mais tenez-vous bien, elle ne doit même pas prendre sa douche quand elle le désire, même pour ça il faut qu’elles y consentent. Sinon, la pauvre veuve peut rester des jours entiers sans se laver. La période de veuvage est vécue comme celle de l’obéissance aveugle à la belle famille qui se vengerait de quelque chose. Mais de quoi ?
Au Congo, comme partout dans le monde, la cohabitation avec la belle famille n’est pas une partie de plaisir. Dans de nombreux cas, les choses se passent mal et même très mal. Mais comme pendant le vivant du mari il est parfois difficile de s’imposer parce que le mari peut s’y opposer, certaines belles familles attendent le jour de sa mort pour déverser sur l’épouse et même les orphelins toutes les haines emmagasinées durant de longues années. Curieusement, le jour des obsèques, les veuves sont tout de blanc vêtues (par la belle famille) de la tête aux pieds. On leur fait même porter un voile comme au jour du mariage. Allez-y comprendre ! C’est certainement la célébration de l’enterrement de la vie de mariée !
Pour mieux faire comprendre que la période des vaches grasses est terminée, la veuve est chassée du domicile conjugal après les obsèques. Les biens, qu’ils appartiennent aussi à la veuve ne pose aucun problème, sont tout simplement confisqués (vendus ou partagés entre les membres de la famille). Le capital décès, quand on arrive à l’obtenir, revient de droit à la belle famille. Les enfants, même si on ne les chasse pas ouvertement, n’auront plus droit de cité dans leur maison. Ils devront faire avec la nouvelle conjoncture et s’ils ne sont pas d’accord, ils n’auront qu’à rejoindre leur mère dans son exil.
C’est à ce moment là que tout commence vraiment. Une femme et des enfants qui ont vécu dans un climat familial plus ou moins normal se retrouvent dans la rue à recommencer la vie à zéro, pendant que ceux qui ont attendu durant des années dans l’oisiveté et le parasitisme jouissent des biens qui ne sont pas les leurs. Tout ceci se passe dans une totale impunité et sans scrupules bafouant ainsi le code de la famille congolaise [2].
Le phénomène des enfants de la rue émane aussi de ce problème parce que de nombreux orphelins sont jetés dehors par la famille du père ou se retrouvent d’eux même dans la rue à cause des maltraitances subies. Pour se déculpabiliser de ne pas s’occuper de la progéniture d’un frère, on s’emploiera à dire à tout le monde que cet enfant est sorcier [3] . Et un sorcier au Congo n’a pas droit à la vie fut-il un enfant !
Blanchard Alice