Avec ce roman «
Demain j'aurai vingt ans » , Alain MABANCKOU s’affirme comme un des grands piliers de la littérature africaine. On en peut s'empêcher de se remémorer Allah n'est pas obligé, de son aîné ivoirien.
Dans ce roman, il essaie d’égratigner le régime dictatorial de Brazzaville, mais je trouve que la plume est hésitante
Je vous propose quelques morceaux choisis de la presse française sur le sujet.
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Alain MABANCKOU, Laureat du Prix Georges- BRASSENS 2010
Le Figaro - Mohammed Aïssaoui - 24 août 2010
Mabanckou, sujets, verve et compléments
ALAIN MABANCKOU a officiellement 44 ans, mais il est né en 2005. Le 6 janvier 2005, exactement. Ce jour-là paraissait un ovni littéraire, Verre cassé. Bernard Pivot fut séduit d’emblée par cette plume virevoltante, drôle et érudite. J. M. G. Le Clézio, Patrick Besson, Franz-Olivier Giesbert et beaucoup d’autres, découvrant le récit, furent enchantés: un écrivain était là. Fait rare: publié en janvier, Verre cassé – galerie de portraits de quelques losers qui viennent se confier dans un café nommé "Le crédit a voyagé" – tint en haleine critiques, libraires et lecteurs jusqu’à l’automne suivant, où il fut sélectionné pour le prix Femina et manqua d’une voix, au onzième tour de scrutin, le prix Renaudot (où siègent Besson, Le Clézio et Giesbert). Sans regrets: l’année suivante, il le décrocherait avec Mémoires de porc-épic.
Cette semaine, Alain Mabanckou revient en librairie avec Demain j’aurai vingt ans, publié aux Éditions Gallimard, maison qu’il vient de rejoindre. C’est l’un des livres les plus attendus de cette rentrée. Il faut dire qu’en moins de cinq ans Mabanckou s’est imposé dans le paysage éditorial. Il est désormais un auteur qui compte, sollicité par tous les salons du livre. Les grands journaux lui commandent des chroniques, ses textes sont joués par des comédiens en vue, comme Josiane Balasko. "J’ai publié mon premier roman en 1998, mais c’est vrai que le prix Renaudot m’a donné une visibilité extraordinaire", explique-t-il. Depuis, on connaît mieux le parcours de cet homme toujours vêtu avec élégance et reconnaissable à son béret et à son sourire. Il a vu le jour au Congo-Brazzaville, à Pointe-Noire. Ce fils unique décroche un bac options lettres et philosophie. Puis rejoint la France et entame à Paris des études de droit des affaires à l’université de Dauphine. Pendant une dizaine d’années, il travaille pour Suez (ex-Lyonnaise des eaux), mais c’est le virus de l’écriture qui le ronge: recueil de poèmes, romans, essais… Il s’installe tranquillement grâce à un style où se mêlent la truculence et l’autodérision. Il est repéré par l’Université du Michigan, puis la fameuse Ucla (Université de Californie Los Angeles) le recrute pour enseigner la littérature francophone et pour donner des cours de création littéraire.
Sa force ? Il fait de l’humour une arme d’analyse approfondie. Comme dans Demain j’aurai vingt ans, où il se met dans la peau de Michel, un gosse d’une dizaine d’années vivant les années 1970 dans un Congo à l’heure de la décolonisation. Ce récit au ton candide d’un enfant dépassé par les enjeux des adultes est une véritable réussite. À travers ce gamin, et toujours avec humour, Mabanckou explique ce que peu d’essais ont réussi à faire. C’est la première fois depuis bien longtemps que l’on voit comment un petit Africain percevait le monde. Rarement, on avait lu l’histoire – l’histoire de France et les remous internationaux – racontée de cette manière, avec cet angle. Qu’apprend-on finalement? Le bourrage de crâne dont firent l’objet de nombreux enfants africains baignés dans l’enseignement du communisme. Il faut lire les scènes où le meilleur élève de la classe récite par coeur le discours du dictateur.
Éclats de rireOn apprend aussi le poids du fétichisme sur l’existence, le joug des traditions. On apprend surtout le rôle déterminant des femmes pour s’en sortir. «C’est vrai que c’estmon roman le plus féminin. J’ai voulu dire que la femme est le pilier de l’Afrique. » En fait, Demain j’aurai vingt ans est un décryptage du monde côté africain – la politique des dictateurs, les années 1970 en France et ailleurs, de Giscard d’Estaing à Mesrine en passant par Khomeyni, le chah d’Iran, l’avortement, le terrorisme…
Il y a de nombreux éclats de rire dans ce texte, des scènes d’anthologie – notamment celles consacrées à Idi Amin Dada, burlesques et instructives. Avant, on faisait de la politique avec de la littérature: c’était lourd. Mabanckou, lui, fait de la littérature avec un zeste de politique : c’est efficace.
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Alain Mabanckou, lauréat du Prix Georges Brassens 2010
Marque de fabrique de l’auteur, il évoque des sujets politiques et sociaux
Demain j'aurai vingt ans
Gallimard, 2010Pointe-Noire, capitale économique du Congo, dans les années 1970. Le narrateur, Michel, est un garçon d’une dizaine d’années qui fait l’apprentissage de la vie, de l’amitié et de l’amour, tandis que le Congo vit sa première décennie d’indépendance sous la houlette de « l’Immortel Marien Ngouabi », chef charismatique marxiste. Les épisodes d’une chronique familiale truculente et joyeuse se succèdent, avec ses situations burlesques, ses personnages hauts en couleurs : le père adoptif de Michel, réceptionniste au Victory Palace ; maman Pauline, qui a parfois du mal à éduquer son turbulent fils unique ; l’oncle René, fort en gueule, riche et néanmoins opportunément communiste ; l’ami Lounès, dont la sœur Caroline provoque chez Michel un furieux remue-ménage d’hormones ; bien d’autres encore. Mais voilà que Michel est soupçonné, peut-être à raison, de détenir certains sortilèges…
Au fil d’un récit enjoué, Alain Mabanckou nous offre une sorte de Vie devant soi à l’africaine. Les histoires d’amour tiennent la plus grande place, avec des personnages attachants de jeunes filles et de femmes. La langue que Mabanckou prête à son narrateur est réjouissante, pleine d’images cocasses, et sa fausse naïveté fait merveille.
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Nouvel Observateur - Grégoire Leménager - 19 août 2010Il publie « Demain j’aurai vingt ans ».
Portrait Alain Mabanckou, l’enfant noir
Ses premières lectures, ce sont les « San-Antonio » défraîchis que son père adoptif collectait dans les poubelles des coopérants, en sa qualité de gardien d’hôtel à Pointe-Noire. Pour un Congolais d’une dizaine d’années, il y avait de quoi s’interroger : « Est-ce que San-Antonio c’est l’écrivain qui a le plus écrit au monde ? » Mais il n’y avait pas foule pour l’éclairer tandis qu’il découvrait la littérature française, « par effraction », à travers « Ma langue de Chah » et « Vol au-dessus d’un lit de cocu ». A l’école, où le maître maniait la chicotte, on apprenait d’abord à réciter « les commandements du Mouvement national des pionniers », Révolution rouge oblige. Alain Mabanckou s’en souvient encore.
Aujourd’hui, le petit Congolais est un écrivain de premier plan, récompensé par le prix Renaudot pour ses savoureux « Mémoires de porc-épic ». C’est lui qui répond aux questions des autres : journalistes, lecteurs, étudiants. Il est traduit dans une douzaine de langues. Avec « Demain j’aurai vingt ans », récit de son enfance à Pointe-Noire, il est le premier noir africain publié dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard. Et après avoir enseigné à l’Université du Michigan, le voilà recruté par la fameuse UCLA de Los Angeles. Là-bas, l’auteur de « Black Bazar » apparaît comme « le professeur de littérature française le plus cool de Californie ». Pas étonnant quand on l’y a vu, devant cent cinquante personnes hilares, lire l’histoire de la femme qui pisse dix minutes d’affilée. Pour un peu, on l’appellerait Mabancool. C’est qu’il y a du show man dans ce garçon chaleureux parti habiter la ville du cinéma. Quand il sort sur Hollywood Boulevard, sous sa casquette, on le confond avec l’acteur Samuel L. Jackson, ce qui est à la fois flatteur et scandaleux : « Je suis beaucoup plus jeune ! ».
« Je l’ai rencontré au Salon du livre de Paris en 1999, raconte son grand ami, l’excellent romancier haïtien Dany Laferrière. Il était à son stand et sifflait en voyant les gens passer sans s’arrêter : "Ce sont mes lecteurs". Je l’ai trouvé si drôle qu’on ne s’est plus quittés. » Ne pas trop se fier, pourtant, à ce flegme rigolard :
« C’est un homme très secret, ajoute l’auteur de « l’Enigme du retour ». On a accès difficilement à lui. La mort de sa mère l’a détruit. Il n’a de cesse de lui redonner vie. C’est pourquoi il a dû être si heureux et si malheureux en écrivant ’’Demain j’aurai vingt ans’’. Je n’ose imaginer ce qu’il a dû traverser. Alain ne rit jamais dans son cœur. C’est un homme très triste, très seul. Son univers n’est pas surpeuplé. Il a une femme, un ami, une passion (l’écriture) et sa mère. Pour le reste, il joue. »
Aux Etats-Unis, Mabanckou joue donc à se sentir chez lui, mais la France reste son « pays d’adoption » : « Les Français doivent comprendre qu’il n’y a pas plus français que ceux qu’ils ont colonisés, puisqu’on a pris au pied de la lettre tout ce qu’ils nous ont appris. » Il était venu à Paris en 1989, comme étudiant en droit, avec l’idée de revenir au Congo-Brazzaville « comme professeur ou comme cadre de la fonction publique ». Deux guerres civiles ont éclaté dans son pays. Alors il est resté, dix-sept ans. Comme conseiller juridique à la Lyonnaise des Eaux dans un premier temps. Il n’a jamais revu sa mère.
« J’ai décidé que la géographie importait peu, qu’il faut s’efforcer de vivre bien là où l’on est », dit-il doucement. C’est là qu’il a lu Mongo Beti et Amos Tutuola : « Ils m’ont ouvert les yeux. C’est peut-être en France que je me suis senti le plus africain. Et aux Etats-Unis que je me sens européen. Que va-t-il se passer si je pars en Asie ? »
Ce « mic-mac identitaire tricontinental » lui convient assez. Et le débat sur l’identité nationale l’a plutôt « agacé » :
« Cette question très gauloise, lancée par des plaisantins qui voulaient faire leur numéro, a été perçue en Afrique comme une manière de faire la politique de Jean-Marie Le Pen. Invoquer les ’’valeurs républicaines’’, c’est du fascisme froid : restons-en à la Constitution, qui interdit toute forme de discrimination ! De toute façon, ceux qui ont parlé ne sont pas ceux qui défendent la culture française hors de ses frontières. »
Cet étonnant voyageur, détenteur d’un passeport français, sait de quoi il parle, lui qui participe à une vingtaine de festivals littéraires par an. « Tandis qu’à l’étranger, en Inde, en Algérie, en Angleterre ou au Nigéria, je suis présenté comme un écrivain français, on continue en France à me cataloguer ’’francophone’’, observe l’auteur des « Petits-fils nègres de Vercingétorix ». C’est une forme d’ostracisme. Mais c’est à nous, nés ailleurs, de rompre ces barrières sans nous contenter du périmètre carré où on nous confine. »
Dans « Demain j’aurai vingt ans », un demi-siècle après « l’Enfant noir » de Camara Laye, il réussit ce miracle : faire parler le gamin qu’il fut, pour évoquer le Congo-Brazzaville des années 1970-80, la radio qui portait les rumeurs du monde, les voyous qui « prenaient les surnoms d’Amin Dada ou Bokassa Ier », et surtout sa famille qui n’était « ni riche ni très pauvre », mais partagée entre sa « maman Pauline » et sa « maman Martine », l’autre femme de son père. C’est drôle, tendre et bouleversant comme du Pagnol. San-Antonio mène à tout.
G. L.
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Marianne - Frédérique Briard - 28 août/03 septembre 2010Alain Mabanckou, génial marabout des mots
Roman. La confirmation.
Et si Alain Mabanckou était en passe de devenir ce que fut Ahmadou Kourouma? Un pilier de la littérature africaine.
À lire son dernier roman, Demain j'aurai vingt ans, on ne peut s'empêcher de le penser, comme on ne peut s'empêcher de se remémorer Allah n'est pas obligé, de son aîné ivoirien.
Le narrateur, Michel, un enfant au bord de l'adolescence, vit à Pointe-Noire, capitale économique du Congo-Brazzaville, dans les années 70. Cette décennie draine encore les espoirs des indépendances, et déjà ses écueils: Lénine ou Marx ressemblent à Spiderman; le père, Papa Roger, décrypte ce nouvel ordre mondial complexe avec une assiduité pittoresque, l'oreille collée à la radio; Muhammad Ali affronte George Foreman à Kinshasa; et Michel s'intéresse aux femmes, comme il s'interroge déjà sensiblement sur le sens des mots.
Alain Mabanckou déroule le fil de sa jeunesse, chargée de tendresse, d'innocence, et relatée avec humour. On retrouve cette plume, au premier abord simple mais jamais futile, qui caractérise celle de Mabanckou; ce verbe imagé, cocasse et puissant
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Avec ce huitième roman, il parfait une oeuvre qui traduit la société et l'histoire africaines comme aucune autre. Loin des clichés, au coeur de l'émoi.
Frédérique Briard
Voir son site :
http://www.alainmabanckou.net/accueil.html