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Au bord de la lagune Ebrié

La conférence de presse Ouattara-Gbagbo : de formidables travaux pratiques de science-po

Dans un palais présidentiel abidjanais aux allures staliniennes, deux anciens chefs de guerre, la démarche hésitante, main dans la main, se sont livrés à un exercice oratoire violent, en dépit des apparences. La conférence de presse Ouattara-Gbagbo a eu du mal à faire oublier qu’on avait affaire à deux champions olympiques en génocide humain. (kindoki, médicaments.).

En vérité, les deux chefs ivoiriens ont produit un chef-d’œuvre comme on l’enseigne en science politique. Tout ce qu’ils se disaient était calculé et se situait aux antipodes de leur pensée réelle. Du vrai renversement rhétorique. De la comédie dell’arte.

Sourire éclatant, Laurent Gbagbo a été excellent dans cet exercice de renversement syntagmatique où ce que l’on dit n’est pas ce que l’on pense, ce que l’on pense on le garde pour ses proches. C’est ça la politique.

Rictus sur la commissure des lèvres, Ouattara n’a pas non plus démérité quant au maniement de la parole diplomatique, parole ayant le diplôme de la licence, au sens licencieux de la censure, de la « sensure » et de l’autocensure.

Déni

Non-dits, actes manqués, lapsus lingua , rires socratiques, sardoniques, sourires entendus, sourire en coin : toute la topique freudienne était de sortie dans cet exercice oral ivoirien au sommet de la République. Exemple d’acte manqué : « Pardon, je voulais dire Président Alassane Ouattara » dit l’orateur bété Koudou Gbagbo après qu’il ait sobrement appelé son interlocuteur « Alassane ». Crime de lèse-majesté. Dans la tête de Koudou, Ouattara n’est toujours pas Président de Côte d’Ivoire plus de dix ans après sa « victoire » mitigée aux présidentielles.

Journalistes tués, Y a bon cacao

Pour sa part, Ouattara a abondamment fait du Machiavel quand il a traité les journalistes de timides incapables de poser des questions relatives à la conférence de presse. Très drôle. Intimidé on l’eut été pour moins.

La presse s’est gardé, bien-sûr, de poser les questions. On sait pourquoi. Jean de la Fontaine dans une Fable rappelle un dialogue entre (je crois) le singe et le roi lion ! « Qui t’a rendu si malin ? » demande le roi de la forêt à l’anthropoïde. « C’est le coup de griffe donné à l’âne » répond le rusé animal. Les journalistes ivoiriens se souviennent du journaliste français Jean Hélène disparu en Côte d’Ivoire au plus fort de la crise et du Canadien Guy André Kieffer dont on est sans nouvelles aujourd’hui. Ce dernier a disparu pour avoir été trop curieux sur la filière cacao.

Poussant le cynisme au paroxysme, Ouattara a discriminé la séquence des questions aux orateurs. « Posez-les à Laurent Gbagbo, pas pas à moi » lance-t-il aux journalistes avant de leur tourner le dos.

A ma mère

Le père viennois du complexe d’Œdipe, Sigmund Freud, a dû avoir les larmes aux yeux quand Ouattara a évoqué le sentiment humain ayant habité Laurent Gbagbo lorsque, en son temps, ce dernier autorisa Ouattara, alors en exil, de venir inhumer sa mère décédée en Côte d’Ivoire.
Tous les Ivoiriens des deux camps qui ont perdu des parents (mères, fils, enfants, pères) pendant la guerre sans pouvoir les inhumer dignement ont dû apprécier.

L’histoire ne dit pas si Ouattara renvoya l’ascenseur lorsque Laurent Koudou Gbagbo perdit sa maman alors qu’il était dans les griffes de la CPI à La Haye en Hollande. De toute façon, durant les guerres civiles, les chefs de guerre ne perdent guère des parents biologiques qui leur sont chers. Exemple Kolélas, exemple Sassou, exemple Lissouba au Congo. Toute leur famille était en sécurité à l’étranger, loin des tirs d’obus.

Prisonniers politiques

La politique c’est l’art de ne pas faire de cadeaux. Tout dictateur le sait. Le sort des prisonniers politiques (encore au gnouf) dont Gbagbo était le chef de file est préoccupant. « Attends d’abord !  » a fait comprendre mezzo voce Ouattara à Gbagbo quand il a plaidé leur cas durant le huis clos de leur rencontre.

Un bon politique c’est celui qui sert l’écrou ensuite jette du lest. Blé Goudé, par exemple, s’en sortira mais ne sortira pas de sitôt de son exil. On ne peut pas tout avoir. Faut pas exagérer ! Le café de Yamoussoukro se boit à petit feu. Les libérations s’obtiendront petit à petit.
Pour l’instant Blé Goudé, toujours en exil, écume les soirées zouglou des fêtes européennes.
Chez nous au Congo, le général Mokoko demeure le prisonnier personnel de Sassou. André Okombi Salissa, le Blé Goudé congolais croupit ad vitam aeternam au violon.
Nota Bene : le geôlier Sassou n’a jamais, de sa vie, séjourné en taule.

Le retournement religieux

Un nord musulman, un sud chrétien, animiste, syncrétique : voila la géographie humaine ivoirienne. La réconciliation Ouattara-Gbagbo a eu lieu sur fond de guerres de religions et de prophéties internes évangélistes alors que dans le même temps Gbagbo a articulé un divorce conjugal. Or, les Ivoiriens du sud ont attendu Gbagbo comme les Chrétiens la seconde venue de Jésus. Pendant dix ans, les messages des sudistes chrétiens étaient sans équivoque : Gbagbo, après avoir été Président et battu par Ouattara sera de nouveau Président après Ouattara. Tout une Révélation biblique.

Mais l’homme propose, Dieu dispose. Non seulement Gbagbo Koudou est redevenu catholique après avoir flirté avec les évangélistes pentecôtistes adventistes, ses chances de redevenir Président se réduisent comme peau de chagrin.

Ce, d’autant plus que Ouattara lâche au cours de la conférence de presse : « Tout ça ne nous rajeunit pas ». Ce mot d’esprit est un coup de Jarnac. Sassou est passé également maître dans ce jeu de disqualification de l’adversaire par tricherie constitutionnelle. Ici, sur les bords de la lagune Ebrié, ni Ouattara ni Gbagbo ne seront plus Président jusqu’à la fin de leur vie. Puissant coup assené au dessous de la ceinture, Ouattara compte baisser l’âge des futurs candidats à la présidentielle en Côte d’Ivoire. Sauf miracle, tout le monde a compris que c’était cuit pour Laurent. La seule chose qui rassure c’est La Bible. Selon Les Ecritures, Sara, épouse d’Abraham, défiant toute logique utérine accoucha à 90 ans. Il paraît que l’utérus ne vieillit jamais. Sassou a bien rempilé alors qu’il est octogénaire. Pourquoi Lékufé et pas Koudou ?

Magie noire

« C’est une bande de sorciers » a conclu un nombre remarquable de réseauteurs congolais chez qui l’expression des orateurs de la lagune abidjanaise n’étant pas sans rappeler les tandems Kolélas-Sassou, Sassou-Lissouba, Lissouba-Sassou ou le triumvirat Kolélas-Lissouba-Sassou pendant la guerre civile, une bande d’apprentis-sorciers qui ont passé leur temps à rouler leurs compatriotes
dans la farine depuis la Conférence Nationale Souveraine de 1991.

Simon Mavoula

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