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Le topo de Poto-Poto

Les nouvelles d’Alfoncine Nyelenga Bouya dans « Un saut à Poto-Poto »

Victor Hugo a écrit sur les enfants de Paris dans un 19ème siècle révolutionnaire. Alfoncine Nyélenga Bouya écrit ici sur les enfants de Poto-Poto dans un milieu urbain en mutation. Rien de tel que l’étude des habitants de la cité pour saisir le dynamisme d’une ville.

« Un saut à Poto-Poto » rassemble trois drames croisés : « La morsure urbaine », « Les Zés de Saint-Tropez », « Koko Matourine »

Disons, d’entrée, que le triptyque est écrit sous le sceau de l’intimité biographique car l’auteure est, elle-même, enfant de Poto-Poto.

La première nouvelle qui ouvre les hostilités littéraires porte le titre féroce de « Morsure urbaine ». L’héroïne quasi balzacienne, Korotumu, infirmière de campagne, se pique de faire le voyage de la ville pour contrôler un avancement professionnel, étant entendu qu’en matière de promotion, rien ne pousse ici sans coup de pouce.

Evidemment, la belle Korotumu fait l’expérience kafkaïenne de la bureaucratie congolaise sur fond de harcèlement sexuel (quand ce n’est pas sous arrière-fond clientéliste).

Il était une M’foa Brazzaville

Korotumu et Apendi, deux amies qui se sont perdus de vue, se croisent dans le hasard des rues de Brazzaville. Apendi la brazzavilloise offre alors l’hospitalité à Korotumu la campagnarde. Commencent ainsi des intrigues comme sait les enclencher la gigantesque cité de Poto-Poto, village urbain que magnifia Antoine Moundanda. Pour la géographie, le grand Poto-Poto est une métonymie de Brazzaville nord, par opposition symétrique à Brazzaville sud (Bacongo). La totalité compose les «  Brazzavilles noires » du sociologue Georges Balandier. Dans sa structure éclatée, Brazzaville nord est composée des quartiers : Moungali, Ouenzé, Talangaï, Mikalou, Simba Pèle, Mama Mboualé, Petit Chose, Kombo, Massengo etc. etc.

Korotumu, comme toutes les femmes actives, est l’enjeu d’une lutte entre tradition ancestrale et modernité occidentale. Dans cette dialectique rurale et urbaine, les carrières professionnelles se développent à la faveur du clientélisme et du népotisme qui sont, de toute évidence, des articulations déviantes de la parenté africaine.

Champ du chantage sexuel

Les quartiers périphériques comme Simba Pèle, siège de toutes les survies, sont le fief des hôtels de passe (flamingo) où les agents féminins, en quête d’avancements professionnels, atteignent leur objectif, à leur corps donnant. Ca s’appelle « promotion canapé », une stratégie d’accès à la femme basée sur le chantage sexuel assorti de harcèlement.

Avec la rhétorique féministe dont elle a le secret, Alfoncine Nyelenga Bouya donne une illustration réaliste d’un espace où se négocient ces trafics d’influence : les VIP . La scène se passe dans les périphéries de Poto-Poto.

« Au bout d’interminables zigzags, elles arrivèrent à destination. L’enseigne du lieu clignotait, illuminant son nom : « LLLO ». Korotumu s’en étonna. » page 22
A noter que le champ lexical congolais est un cycle de sigles que les acteurs eux-mêmes méconnaissent parfois.

« — C’est quel nom, ça encore ? On ne peut même pas le prononcer !
— Hé, Tanti ! Nous sommes à Brazza oh ! Réveille-toi donc. Tu ne connais pas le « LLLO » ? Vraiment il est temps que tu partes de ton village ! Bon, je vais te le dire pour que tu ne me donnes pas la honte en posant la question à d’autres personnes. « LLLO » signifie : « Ledza Lenwa Lekia Okola » Ça veut dire qu’on peut tout faire dans ce nganda. Tu comprends maintenant ?
 » page 22.

« Mangeons, buvons, forniquons.  » Le vin de la débauche est tiré, il faut le boire.
LLLO est le lot des harceleurs comme le DAF auprès de qui Korotumu cherche à faire valoir ses droits professionnels inscrits dans la convention collective. Mais comme on le voit « un saut dans Poto-Poto  » correspond à un saut dans l’inconnu de la luxure pour la femme active célibataire (ou mariée) sortie de sa brousse.

L’art des rues

C’est dans « Les Zés de St-Tropez  » que l’auteure pose le chef d’accusation selon lequel : « Brazzaville est une ville cruelle  » ; en faisant un clin d’œil aux évènements totémiques de 1959 connus sous le terme générique de « guerre civile ». L’année 1959 que l’inconscient collectif tend à refouler est cependant une pièce à conviction dans les représentations de Poto-Poto. L’auteure prend le contexte de Poto-Poto pour signaler une nomenclature urbaine à nulle autre pareille, étant entendu que les rues, à Paris comme à Brazzaville, sont des champs de lutte.

Le plan en damier de la ville-capitale, Brazzaville, est exceptionnel. Rien à voir avec Libreville, Bangui, Yaoundé, Abidjan où l’absence de voierie peut transformer la ville en repaire de toutes les incertitudes. Il ne reste pas moins que la taxinomie des rues de Brazzaville renvoie à des discriminations capables de dégénérations. 1959, date des affrontements tribaux fut une date symptomatique de cette cohabitation tendancieuse entre les groupes ethniques. Certes, le sociologue Côme Manckasa, nota que, dans leurs profondeurs, les groupes ethniques, ne sont pas dysharmoniques mais harmoniques. Ils sont pour le vivre-ensemble.

« Une nouvelle clameur se leva en provenance de Moungali, bien au-delà de l’Eglise des spiritains de l’avenue Jacques Opangault… la rue Itoumbi,… la rue Impfondo, … les rues Mbochis, Yakoma et Bacongo … la rue Mbakas … rues Mongo et Banziri. » page 58

On se doute que le cadastre ne nomma pas les rues dans un projet de zizanie. Le fugitif, Tâ Manuero, a été l’une des premières victimes du conflit. Il trouve son salut dans les rues de Brazzaville. Alfoncine Nyelenga Bouya étoffe le dossier de Brazzaville, ville structurée dans l’architecture des voies de communication urbaine.
« Tâ Manuero passa de l’autre côté de l’avenue de France …. En proie à une colère sourde, il s’étonna de ce que l’avenue de France pouvait bien faire là, coincée entre la rue Paul Kamba ou Polokamba – peu importait – et la rue Dahomey qui ne deviendra jamais rue du Bénin à l’instar de la rue Dolisie qui devint rue Loubomo » page 58

Dans certaines villes européennes, les noms des rues se basent sur des musiciens classiques. On y trouve, comme à Nice, le « Quartier des Musiciens ». A Brazzaville l’administrateur s’est basé sur les ethnies. Ainsi, Bacongo, Mbochi, Makoua, Batéké, Mbéti, Kouyou, Mbaka, Loango, Koukouya, Mbanza, Bomitaba, Mboko...

« Dans ce quartier où les rues portaient les noms des ethnies d’ici et d’ailleurs, l’avenue de France apparaissait comme un cheveu dans un bol de bouillie de maïs. Alors qu’elle aurait dû être une grande artère illuminée au centre de la ville de Brazzaville … vers Madukutsékélé … la rue Yaoundé, capitale de ce Cameroun qui, avec son Union des Populations du Cameroun (UPC), donnait du fil à retordre à la France. » page 59

Dans les noms de rue se lit l’histoire d’une République, d’une nation.
«  Pas étonnant donc qu’il n’y ait jamais eu à Poto-Poto de rue Douala, ni de rue Bassa, Bamiléké ou du Cameroun. Les mauvaises langues colportaient même qu’une telle chose était inimaginable, car l’évocation des seuls noms de Ruben Um’Nyobé ou d’Ernest Ouandié risquerait de mettre en ébullition les cerveaux des Congolais et de ressusciter l’entêtement contagieux d’un certain André Grenard Matswa. Il valait donc mieux que l’avenue de France restât entourée des dormantes rues Polokamba et Dahomey, plutôt que de chercher inutilement des tracasseries.  » page 59

L’auteure nous fait le clin d’œil sur la naissance du conflit de 1959 entre partisans de l’Uddia et du Msa, deux partis politiques antagonistes. On a souvent parlé, à l’origine, d’un féminicide à Ouenzé.

« De la lointaine rue Babémbés à Moungali, un cri s’envola, noir comme le plumage d’un grand corbeau sur une décharge de Djibouti. Une femme enceinte de huit mois venait d’être éventrée. Le fœtus gisait à côté du corps sans vie de la dame. Trois pique-bœufs guettaient le fœtus à quelques mètres de là.  » Page 59

C’est qui les Ekélés ?

Les Zés du quartier St-Tropez sont une bande de jeunes qui font partie de la mémoire collective de Poto-Poto dans le périmètre du mythique dancing Carrefour du Congo, chez Bernard Bouya. Les Zés c’est l’acronyme de Ekélé, une expression langagière du relâchement des mœurs. Les Ekélés (vagin en mbochi) veillaient à ce que les veillées mortuaires affichent une dimension polissonne bien sentie. De ce fait les Zés ne faisaient qu’appliquer une théorie connue de la psychanalyse : le meilleur moyen de supporter l’idée de la mort c’est de l’associer au sexe.

Le tour de Koko Matourine

Bouquet final de la trilogie, « Koko Matourine » est, jamais deux sans trois, la confirmation de la cruauté que peut afficher une ville africaine où l’individualisme le dispute à la solidarité.

Dans tous les quartiers existent toujours une dame d’un certain âge, archive de ce qu’a vécu le quartier. Personne n’est au courant de ses origines et personne n’est connu et reconnu comme étant son parent. On ne connaissait ni ascendants ni descendants à koko Matourine. Elle mourut dans l’anonymat et fut enterrée dans une fosse commune comme Tâa Ngwèmbè dans «  Les Zés de St-Tropez » .

C’est peut-être de là que naît le «  sanglot de l’homme noir » dont parle l’enfant de Pointe-Noire (l’autre grande cité congolaise), l’écrivain Alain Mabanckou (Prix Renaudot)

Dans « Un saut à Poto-Poto » on mesure combien les rapports humains sont à l’image de la géomorphologie de cette célèbre cité : boueux. Le quartier a été bâti dans les années 1900 sur un terrain marécageux. Par temps de pluie, la boue est dominante, d’où le nom éponyme de Poto-Poto donné à la cité.

L’auteure n’est pas à son coup d’essai. Elle a vécu en Haïti, pays où la solidarité internationale n’est jamais en déficit. Sa dénonciation des injustices est déjà remarquable dans « Makandal dans mon sang » (2016) et dans « Le rendez-vous de Mombin-Crochu » (2020). Dans « Un saut à Poto-Poto », Alfoncine Nyelenga Bouya, est tombée à pied-joint dans ce qu’elle sait le mieux faire : partager l’humain.

Thierry Oko

 Un saut à Poto-Poto, 116 pages 15€ (année 2021). Autoédition qui se commande sur les plateformes en ligne (Bookelis, Amazone, FNAC etc. Le livre est aussi présent dans plusieurs librairies desservies par Hachette.

Appendice

De la même auteure
1°- Makandal dans mon sang (2016)
2+- Le rendez-vous de Mombin-Crochu (2020)

Elle a participé à des anthologies ; exemples : « Paix et Respect pour Haïti , première république noire au monde  » ; « Pour un monde meilleur  » ; « Non à l’esclavagisme en Libye »

Puis elle a coordonné le recueil des poèmes : « Des plumes contre les violences en Afrique du sud  »

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