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Bana Ngo

Olivier Bidounga : "Ntsikamanou, l’art de l’autre, précis de civilisation Kongo"

Olivier Bidounga vient d’enrichir sa bibliographie. « Ntsikamanou, l’art de l’autre, précis de civilisation Kongo » est le titre de son dernier livre.

On a déjà lu de lui : « Olivier Bidounga notes de recherches sur quatre institutions sociales : kimuntu, bunzonzi, bunganga, Kinguizila » ici sur notre site.
(http://www.congopage.com/olivier-bidounga-notes-de-recherches-sur-quatre-institutions-sociales-kimuntu-buzonzi-bunganga)
Scrutez attentivement la photo en médaillon ci-dessus. « C’est ma mère » explique O. Bidounga non sans véhémence. L’image dramatise un rite d’initiation sous la période postcoloniale. La femme représentée sur la couverture a été immortalisée par des chercheurs. La photo est au centre d’une querelle sur le droit à l’image, querelle dont nous parlerons plus loin.

Professionnel des musées, Olivier Bidounga, est bien placé pour parler de la place de la culture dans l’affirmation de l’identité, un terrain de travail dont il a tâté l’écosystème depuis l’enfance et depuis qu’il rencontra le musée de Nkankata issu du mouvement dit Croix-Koma de Tâ Malanda.

Le titre Ntsikamanou (réveil en kongo) sonne comme un impératif. La léthargie du peuple kongo ne devra pas être envisagée comme un statu quo mais davantage comme un avant-propos pour l’éveil de son peuple. Soucieux du destin du Pool, chez O. Bidounga le Ntsikamanou pourrait être perçu comme l’essence de l’avenir des kongo. (suivez notre regard). Il s’agit-là d’une perspective vécue, moins comme la crainte du Jugement Dernier pour quelque crime commis, mais comme une valeur ajoutée à l’héritage de ses ancêtres depuis des siècles. « Wa dia fwa yika dio. »

Méthode : Homme de science et militant engagé, O. Bidounga a d’abord rattaché la société kongo du Congo-Brazzaville au grand Royaume du même nom ; puis il a fait son inventaire dans les temps actuels de la globalisation propices à l’aliénation. Car : « Nsimou ni mayéla »

Olivier Bidounga a pris conscience que l’impérialisme de la modernité est sur le point de mettre en péril le capital culturel hérité de nos ancêtres. Car « lutambi ndélo ». Son livre cherche à contrer cette menace. Comment ? En décrivant l’arsenal des institutions qui constituent la trame de la société : savoirs alimentaires, cuisine, pharmacopée, pratiques sociales (mariages, veillées mortuaires) ; autant de rites de consécration et d’intégration qui participent à la formation du kimuntu cher aux Kongo, les « Bana ngo » (ceux qui ont pour totem la panthère)

« Le kimuntu revêt l’ensemble des valeurs humaines dans ce qu’elles ont de plus élevées, une philosophie à part entière et un art de vivre lié essentiellement à la parole, celle que pratique le nzonzi, sorte de médiateur et d’avocat détenteur de la parole chez les kongo » p.39

Le Kimuntu, procès de transformation de l’homme en humain, dure toute la vie.

Cependant les kongo ne sont pas seulement confrontés à des ennemis de l’extérieur dont ils doivent craindre les assauts. Ce serait compter sans les démons de l’intérieur.
Engagés dans l’aventure républicaine postcoloniale, les Kongo doivent gérer des luttes intestines dont l’un des enjeux est le contrôle des destinées de la supposée Nation congolaise née en 1960, date de l’Indépendance du pays.
Le pays ne compte pas les coups d’états dont les ressortissants kongo font les frais. En février 1972, le mouvement dit M22, illustre cette lutte de pouvoir où Ange Diawara et ses compagnons laissent leur peau en voulant rééquilibrer les forces politiques face à un Nord totalitaire.
« J’ai fait la connaissance de Ange Diawara en 1963 alors qu’il était élève au lycée Savorgnan de Brazza. Nous militions tous deux contre l’impérialisme, lui à LASCO (Association scolaire du Congo), moi à l’UJC (Union de la Jeunesse Congolaise) - d’obédience communiste. Nous nous retrouvâmes témoins des évènements des 13, 14 et 15 aout lors du soulèvement populaire qui déposa le régime de Youlou Fulbert. » p.138
Ne se contentant pas de militantisme abstrait, en 1972 Olivier Bidounga, mwana ngo, rejoint Ange Diawara au maquis de Goma-Tsé tsé , au péril de sa vie.

Détournement d’image

Fondé sur le Kanika boué, son combat actuel porte sur un faux et usage de faux opéré par l’historien Théophile Obenga. La photographie authentique de sa mère kongo/lari (cf. photo de couverture du livre) sortant d’un rite initiatique dans les années 1960 a été récupérée par le célèbre égyptologue pour illustrer l’image de la femme typique Mbochi.

O. Bidounga somme l’historien Théophile Obenga de rétablir la vérité. « Cette dame n’est pas Mbochi, c’est ma mère » clame celui dont les parents viennent du Pool. « Mama ni mama kwa. »
La photogravure à été faite à L’institut géographique. Manquant de rigueur scientifique, le conseiller culturel de Denis Sassou Nguesso, fera passer la génitrice de Bidounga pour un type féminin représentatif de l’ethnie mbochi : « Oyourou nioumba »
L’affaire est entre les mains de la Justice. Dans le courrier envoyé au professeur Obenga par le biais de son éditeur, Présence Africaine, Olivier Bidounga lui a posé la question de l’origine de l’image. « Où avait-il eu cette photo ? » aimerait savoir le muséologue.

Au-delà de cette querelle iconographique, c’est de stratégie de positionnement qu’il s’agit, entre un Nord qui marche sur les Droits de l’Homme et un Sud ancré dans la philosophie du kimuntu et du Ntsikamanou qui ne veut pas se laisser marcher sur les pieds.
Depuis la bataille de Mbuila au 15ème siècle, les Kongo n’ont jamais baissé les bras quand ils se sont sentis menacés. (1)
« Pour ce qui est de la période coloniale, il advint heureusement vers 1920-1930, au Congo et dans toute l’Afrique un souffle nouveau pour les populations, celui de la réaction, de la revendication de la prise de conscience identitaire qui déboucha sur le combat des Indépendances. » pp 131-132
Kani ka bwe (jamais, c’est hors de question)

Certes la déontologie bantoue interdit ce genre de débat aux connotations bavaroises assaisonnées III è Reich. Même si dans le contexte congolais, il s’agit d’une question de symboles, il ne demeure pas moins qu’on peut tirer l’enseignement selon lequel : rien ne ressemble plus physiquement à une femme kongo qu’une femme mbochi et vice versa.
Il reste que, selon les règles du copyright, Théophile Obenga doit, par honnêteté intellectuelle, rendre à Toutankhamon ce qui est à Toutankhamon et à Bidounga ce qui lui revient.

G. BIMBOU

Olivier Bidounga : Ntsikamanou, l’art de l’autre, précis de civilisation Kongo. Editions Amalthée 14 euros 172 p. France 2019

p(1) Lors de la bataille d’Ambuila (ou bataille de Mbwila) le 29 octobre 1665, les armées portugaises vainquirent les troupes de l’empire Kongo et décapitèrent le roi Antonio Ier du Kongo, connu également sous le nom de Nvita Nkanga, mettant fin au contrôle indigène sur le pays.

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