1994 Le Génocide Rwandais "Pas Trop Important" pour François Mitterrand

Les faits remontent au 06 avril 1994 lorsque l’avion -un Falcon 50, cadeau de François Mitterrand- du président rwandais Habyarimana soutenu par la France, s’écrase à l’arrivée à Kigali, abattu par un tir de roquettes d’origine non clairement établi à ce jour. Les extrémistes hutu de l’ethnie au pouvoir depuis

1962, qui règnent en vertu d’une oppression systématique de la minorité Tutsi, mettent en œuvre d’avril à Juin 1994, un véritable génocide de longues dates planifié, qui se solde par plus d’un million de Tutsi massacrés à l’arme blanche presque jusqu’à extermination. Cette tuerie mobilise principalement la garde présidentielle et les extrémistes irréductibles du régime du président tué, caciques du Hutu Power qui encadrent des massacres collectifs à la chaîne, menés par une population hutu conditionnée depuis plusieurs décennies à la haine anti-tutsi. La participation à cette logique d’extermination associe les élites intellectuelles comme les autres catégories de la population et tout particulièrement l’église catholique dont la responsabilité dans la radicalisation des factions hutu et tutsi est historiquement écrasante.

Il s’agit dans un premier temps de s’arrêter sur toutes les victimes tombées, leur rendre un hommage sincère et se souvenir du seuil franchi dans la faculté de l’Africain, de l’Humain à menacer son espèce propre. Un tel degré d’horreur pose à l’Afrique crûment le problème de son vivre-ensemble, de sa chose commune, fondamentalement la lourde épreuve de validation du modèle d’état-nation sur lequel elle peut espérer bâtir son devenir à venir. Elle pose l’épineuse question de l’ingérence africaine dans les affaires africaines, les modalités de gestion des conflits inter et intra africains. Il n’est pas vain de rappeler que Hutu et Tutsi qui partagent langue, culture et espace, ont vécu en harmonie des siècles durant, avant la colonisation belge, qui en jouant les uns contre les autres, a réussit à fabriquer deux ethnies vouées à une haine viscérale…

Le génocide rwandais est frappé du sceau particulier d’une contribution active des institutions internationales, l’Onu notamment, des Etats européens et américains, la Belgique et les Etats-Unis, tous ayant eu des troupes sur les lieux des massacres alors que de notoriété publique le génocide était en cours de préméditation, preuves à l’appui. Non seulement la lâcheté l’a emporté lorsqu’il s’est agi pour des troupes des Nations dites Unies de quitter le Rwanda devant une catastrophe qui se déroulait au vu et au su de tous, mais par la suite, ces pays se sont murés dans un hypocrite silence et une pusillanimité sans pareil, paralysant le jeu de l’Onu et de facto laissant les tueries se faire jusqu’au dernier sang.

Il est indispensable, à l’heure où, sur l’échiquier international, des guerres interminables suscitent des interrogations vives relatives à l’efficacité, à la volonté réelle et à la capacité collective de règlement des conflits planétaires, d’en apprendre sur ces acteurs de premier plan dans le cadre de leur mission au Rwanda entre 1993 et 1994. Ces Etats, et les Nations Unies comme organisation, sont tributaires in fine des contributions des citoyens du monde devant lesquels ils doivent rendre compte, et les effets retour des politiques et stratégies hégémoniques criminelles des grandes puissances, masquées derrière la fausse tutelle de la solidarité internationale, devront être resitués dans leur historicité.

La responsabilité de la France, de l’avis de toutes les investigations crédibles, émanant de sources diverses, politologues, journalistes, anciens coopérants français et européens, ONG, est tout simplement accablante à la limite inimaginable. Et il est important que la France, qui est à priori une démocratie, soit instruite dans ses couches les plus profondes, des crimes imprescriptibles que des dominants et coalitions prédatrices au sommet de l’Etat, commettent ou sous-traitent au nom d’une nation tenue scrupuleusement dans une ignorance construite. Là encore nul ne saurait trop prédire quels effets boomerang pourraient à un moment ou à un autre rétroagir sur des citoyens français probablement individuellement innocents…

Les termes utilisés par ceux qui ont enquêtés sur le génocide sont explicites. Pour Pascal Krop : « Un génocide franco-africain » sous-titré « Faut-il juger les Mitterrand ? », pour François-Xavier Vershave « Rwanda : complicité de Génocide ? », Mehdi Ba titre « Rwanda, un génocide français », alors que Michel Sitbon parle d’« Un Génocide sur la conscience », il ne s’agit rien moins que d’« Un Génocide Sans Importance » pour Jean-Paul Gouteux.

Le fait est que la France depuis 1975 avec Giscard, davantage sous Mitterrand et Balladur -premier ministre de cohabitation- a procuré une aide totale aux génocidaires, avant les massacres en formant l’armée ethnique hutu dont un des probables organisateurs des tueries, en stoppant militairement en 1990 dans une guerre secrète décidée à l’Elysée, le FPR [Front patriotique rwandais] en provenance d’Ouganda, l’armée des exilés tutsi qui tentaient de rentrer dans leur pays. Ces interventions connues du monde politique, des journalistes de la cour, de l’élite militaire et intellectuelle ont été soigneusement cachées au peuple français avec la complicité des plus éminents médias. En fait depuis 1990 des officiers français sont mêlés aux opérations les cruelles de tortures, de tueries, de massacres de Tutsi dans le cadre d’opération spécifique, Noroît, Turquoise, Amaryllis, ou dans le cadre du contrat d’assistance militaire liant les deux pays.

La France poussera sa contribution, sa co-production du génocide jusqu’à livrer des armes aux exécuteurs du plan macabre que toutes les représentations diplomatiques occidentales connaissaient pour en avoir été alertées par des sources directes hutu. Une radio haineuse et à fort impact hutu diffusait sur les ondes nationales des messages quotidiens antitutsi, d’appel à l’extermination, la tristement célèbre Radio des Mille Collines. Outre les aides par prêts garantis par le Crédit Lyonnais pour l’achat d’armes -y compris de machettes- visant l’anéantissement des Tutsi, la continuation de cette politique de subvention de l’horreur devait se poursuivre malgré les tueries. La France allait apporter son appui au gouvernement intérimaire rwandais, le GIR, qui se chargerait des basses œuvres, pis elle aurait co-constitué ce gouvernement extrémiste, l’ambassade de France à Kigali en abritant une réunion. Tout aussi grave, alors que tous les Occidentaux civils et militaires étaient censés avoir quitté le pays pendant les massacres, des soldats français sont restés sur le territoire rwandais, en marge de toute légalité, légitimité et mandat officiel…

La France développa une intense activité diplomatique liée au secrétaire général de l’Onu Boutros Boutros-Ghali qu’elle soutenait, et qui serait après son éviction onusienne recyclé à la Francophonie, afin d’assurer la présence du Rwanda, dirigé par les exterminationistes hutu, aux Nations Unis. Hasard du calendrier [?], le Rwanda était opportunément membre non permanent du Conseil de sécurité et y maintenait sa place grâce aux euphémismes et aux contrevérités de Boutros Boutros-Ghali sur la situation rwandaise.

Lorsque l’armée tutsi arrêta les massacres par son entrée victorieuse à Kigali, la France décida de protéger et d’ex-filtrer une partie des durs du régime Habyarimana, notamment la femme du président assassiné, connue pour son appartenance à la ligne hutu radicale. Devant la pression du FPR triomphant des FAR [armée hutu], l’armée française protectrice, sous prétexte d’humanitaire, monta une opération de sauvetage des criminels hutu via l’opération Turquoise, qui faisait suite à une première opération militaire tout aussi douteuse, Amaryllis, officiellement conçue pour rapatrier les européens. Mais aussi pour livrer des armes aux criminels …

Il faut préciser que l’église catholique et ses hautes sphères s’investirent de toute leur énergie pour soustraire les prêtres génocidaires à la justice rwandaise et lancèrent leurs réseaux -opus dei en tête- dans une campagne d’intoxication et de falsification des faits véridiques relatant le génocide rwandais. Cette institution avait dès la période coloniale soutenu, préformé la constitution d’une élite hutu exterminationiste antitutsi, et le premier président du Rwanda indépendant, l’extrémiste hutu Kayibanda qui a organisé des massacres et persécutions de masses de Tutsi, est un ancien séminariste, ancien secrétaire particulier de l’archevêque de Kigali. L’église aura suscité une part significative de son action criminelle.

La France, l’armée française couvrit ainsi la fuite des responsables des massacres et permis à beaucoup d’échapper à la justice de leur pays et au FPR, en renouant attache avec un des dirigeants les plus contestés si ce n’était à l’époque un des plus honnis dans son pays, sur le fil d’un règne finissant et ensanglanté, le Maréchal Mobutu Sese Séko…

Depuis, les dirigeants français ont fait bloc autour d’une stratégie de négation, de brouillage de pistes, s’aliénant des médias de grande renommée dont la face cachée d’agent de propagande sur des questions françafricaines, tombe au clair dans le domaine public. Précisons, depuis que la séquence des faits est établie sans ambiguïté, les Etats-Unis se sont excusés de leur inaction pour stopper la machine du génocide, la Belgique. Aucun commencement de remords du côté des officiels français…

Il serait injuste de juger globalement la France et surtout de concevoir une aigreur voire des rancoeurs contre les Français comme totalité nationale, sur la base de rapts anti-démocratiques répétés, puisque preuve est régulièrement faite que depuis De Gaulle au moins, l’Afrique est l’exception démocratique, l’exception des Droits de l’Homme, la transgression naturelle des devoirs d’humanité de la France politique. La trop nébuleuse et trop coûteuse Françafrique ! Il s’agit aussi d’un viol contre ceux des Français qui ont une conception différente du rapport à l’autre, à l’Afrique.

C’est donc une question que les Français, dans l’intérêt de leur démocratie, de leur intégrité aussi bien que de leur honorabilité, devront tôt ou tard mettre sur la table de discussion politique. Quand aux Africains, ils devront nécessairement se regarder différemment et imposer aux autres, à la France spécialement, un rapport foncièrement différent, ou demeurer des humanités sans importance ainsi que le suggéra le président socialiste humaniste français.

Lire Jean-Paul Gouteux, Un Génocide Sans Importance. La Françafrique au Rwanda. Editions Tahin Party 2001

A.Akamayon, A. Blé


Sur le sujet du génocide Rwandais, Niaou, correspondant extérieur, nous a proposé ce texte issu du site lyon capitale
http://www.lyoncapitale.fr/actu-471-forum.html

Sommes-nous complices de génocide ?

À l’heure où l’on s’apprête à commémorer les dix ans du génocide des Tutsi au Rwanda, les médias s’emparent de ce sujet. Malheureusement, le rôle que notre pays a joué dans ce génocide demeure bien souvent occulté.

C’est pour cette raison que quatre associations (la Cimade, Aircrige, l’Obsarm et Survie) et un certain nombre de personnalités et de citoyens français, ont constitué une commission d’enquête citoyenne. Elle a examiné, du 22 au 26 mars 2004, l’ensemble des éléments à sa disposition faisant peser sur la France le soupçon d’une complicité multiforme dans l’un des plus graves crimes du XXe siècle. Vous pouvez retrouver ses conclusions provisoires sur le site http://www.enquete-citoyenne-rwanda.org. Cette commission d’enquête a permis de confirmer le soutien diplomatique, médiatique, militaire et financier de la France au régime ethniste de Habyarimana, composé des extrémistes hutu qui avaient consciencieusement préparé et planifié le génocide, qui s’est déroulé d’avril à juillet 1994, mais aussi au gouvernement intérimaire rwandais (GIR) qui l’a accompli.

À la fin du génocide, grâce à la fameuse opération Turquoise, sous couvert "d’humanitaire", la France va réussir à faire évacuer vers le Zaïre les principaux génocidaires qui avaient contribué à la planification et à l’organisation des massacres. Aujourd’hui comme alors, la France entretient activement la confusion, allant parfois jusqu’à participer au négationnisme en distillant la thèse du double génocide. Celle-ci consiste à donner une importance équivalente aux crimes de guerre supposés de la rébellion FPR (majoritairement tutsi, qui mit fin au génocide), et au génocide planifié. Comme si Dresde effaçait la Shoah.

Bien sûr, la question de la complicité de la France dans une telle horreur reste difficile à concevoir. Comment des dirigeants honorables et respectés auraient-ils pu s’engager dans une telle abomination, après la Shoah, après le "Plus jamais ça !" unanime des nations ? Malheureusement les faits sont là, difficilement audibles, mais véridiques : un génocide de cette ampleur - plus d’un million de morts - n’aurait pas pu avoir lieu sans un soutien infaillible et inconditionnel de la France. Il aurait pu être arrêté par la France dès le moment de sa conception. La France a préféré former les futurs tueurs, dont les responsables affirmaient pourtant qu’ils allaient "exterminer" tous les Tutsi.

Aujourd’hui, nous devons nous interroger sur ce qui fait que des politiques ont pu laisser des militaires se rendre complices de génocide, sur notre ignorance savamment entretenue, et sur ce que signifie une "démocratie" dont les "citoyens" ne savent même pas qu’elle soumet ou opprime par les pires moyens la moitié d’un continent (l’Afrique francophone). Il nous faut dire "non" à tout ce qui a permis cette complicité de génocide et qui, si cela reste incritiqué et inchangé, pourrait conduire à une répétition d’abominations (depuis le génocide au Rwanda, on estime, par exemple, à au moins 3 millions de morts, les victimes de la guerre civile en RDC ! Et la France est totalement impliquée aux côté du criminel contre l’humanité Denis Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville depuis sa guerre putschiste de 1997).

Nous ne pourrons pas dire une seconde fois : "Nous ne savions pas…" Il faut que la question de la politique africaine de la France occupe désormais le devant de la scène médiatique ! Le génocide de 1994 est aussi la question de l’indifférence à l’autre homme. Pour comprendre le rôle de la France au Rwanda, ne faut-il pas revenir à la question posée par le général Dallaire, ancien commandant des forces de l’ONU au Rwanda pendant le génocide : "Tous les hommes sont-ils des êtres humains, ou certains sont-ils plus humains que d’autres ?" Quand l’ancien président de la France, François Mitterrand, a confié en 1994 à propos du Rwanda : "Dans ces pays-là, un génocide, ce n’est pas trop important" - comme l’a rapporté le journaliste Patrick de Saint Exupéry dans le Figaro -, tout semble être résumé.

Comme l’explique le président de "Survie", François-Xavier Verschave, dans Noir Silence, "c’est le génocide au Rwanda qui nous a fait prendre conscience de ce dont la Françafrique était capable." Depuis cette époque, l’association Survie dénonce la politique criminelle et mafieuse que la France mène en Afrique, considérant qu’avant de se soucier de secourir, il faudrait déjà refuser de nuire. Nous vous invitons donc tous à venir participer le samedi 10 avril, à 16h30, sur la place de la République de Lyon à un rassemblement pour dénoncer la complicité de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda et signifier ainsi à notre gouvernement que "Nous ne voulons plus que l’on tue ou laisse tuer (en notre nom, qui plus est !)".

* Ignace Fabiani est coordinateur des actions pour les dix ans du génocide au Rwanda pour "Survie Rhône".

Pour plus d’info, lire L’Inavouable de Patrick de Saint Exupéry, éd. Les Arènes, 2004.