Concert du groupe congolais Langu’I à "La Fontaine du Miel" à Paris

La particularité de Langu’i tient à son style qui sort des sentiers battus du ndombolo, à sa chanteuse Oupta et à son chanteur français Keben s’exprimant dans un parfait kongo/lari.
Le sommet de l’art fut, à notre avis, atteint ce 21 septembre 2007.
C’est que dans cette cave parisienne nouvellement restaurée, on a tous eu la chair de poule dès le premier morceau que la chanteuse Oupta attaqua avec une voix profonde que n’aurait pas reniée une diva de la soul afro-américaine.
Comme venus de nul part, les sons de la guitare et de la basse électro-acoustiques de Lang’i vous caressent les nerfs et finissent par plonger le spectateur dans un état second. Du coup, on se retrouve transplanté au cœur de Moungali à Brazzaville alors que tout cet opéra noir se passe à mille lieues de Mavoula, à quelques encablures du Centre Georges Pompidou.

Dynamique des chants

On croyait notre culture « par terre » après les coups de dague que lui assène chaque jour la désinvolture nommée Nouvelle Espérance. Mon Dieu ! ce n’est pas encore le cas puisque si tout est politique, il existe des acteurs sociaux qui continuent de se battre avec cette puissante arme qu’est l’art car rien n’est plus politique que l’art. Et, de ce fait, contrairement à la réaction à chaud d’un spectateur (Lascony) on peut considérer la musique de Lang’i politiquement virulente.
« Je suis déçu. Le Congo est en guerre, vous n’avez fait aucune allusion à cette situation extraordinaire » s’était plaint ledit spectateur auprès de Keben

Oups et Claude


Certes le répertoire donne, a priori, l’impression de jouer sur le registre conventionnel apolitique du folklore brut qui plaît tant à nos dictateurs et à certains lecteurs de nos écrits. Mais il suffit (comme toujours) de soulever la première couche de sens du corpus pour découvrir l’impressionnant niveau de contestation que véhicule l’idéologie musicale du groupe. On pense, bien entendu, au tissu dense des proverbes mobilisés dans les chansons dont aucun musicien, par prudence oratoire, ne revendiquera la paternité durant l’entretien post scénique : « nous contribuons tous aux compositions et aux arrangements du groupe » confieront les artistes, l’air de dire « vous n’en saurez pas plus ».
A qui pouvait, par exemple, s’adresser l’apophtegme « wa néna, bukuna » sinon à ceux qui (suivez notre regard) persévèrent à user et à abuser de leur pouvoir en déversant un torrent de merde sur l’ensemble du pays ?
Bien de voyous politiques qui sévissent à la tête de nos pays d’Afrique se reconnaîtront dans la sentence « wa wouna, yokéla » ou dans celle-ci « simbila nyoka a kati mbo wa mona mi kou toudila ».

Oups


D’accord. Une ode comme "Tangou za nsoni" de Jacques Loubélo repris par Lang’i, en faisant l’éloge de l’amour éternel, n’a rien de subversif qui ferait peur à un dictateur (dixit Bernard Lavilliers) de n’importe quelle couleur et de n’importe quel pays. Okay, "Lumbémbémba" de Zao également repris par le groupe n’est rien d’autre qu’une innocente déclaration d’amour. Pas de quoi fouetter un chat. Mais il ne faut jamais se fier à ces aspects anodins des cantiques angéliques. Quand on chante l’amour c’est qu’on dit "non" à la guerre, aux guerres civiles dont nos pays sont le théâtre.

Tout ce lexique symbolique est géré avec mélodie dans un style à mi-chemin entre le blues, le jazz et nos rythmes du terroir. Ces harmonies sont aussi noires que notre terre, cette matrice d’où participent, de toute manière, ce jazz et ce blues qui ont façonné l’imaginaire de nos parents déportés dans les Amériques.
Somme toute, on ne peut que se réjouir de ne pas être, pour une fois, sous l’emprise de la roumba à trois accords, cette soupe que nous servent les Kofi Olomidé et compagnie dont les louanges inlassables des généraux, de leurs progénitures et de leurs courtisans vous sortent par la tête.

La musique alternative

D’ordinaire la musique que débitent les groupes les plus en vue (arbre cachant la forêt) est une litanie d’accords majeurs redondants. Or avec Lang’i, la surprise, l’insolite, la rupture sont au rendez-vous.
Ces notes bleues, ces rifs de guitare, ces accords mineurs du piano qui pleuvent sur vous en soufflant le chaud et le froid prouvent que la musique peut s’avérer une force magique quand on en maîtrise les rudiments.
Durant le spectacle on a parfois l’impression d’être soulevés de terre, puis soudain, comme la vague du surfeur, la musique vous ramène vers votre point de départ mais en changeant de niveau existentiel. Espiègles, les artistes semblent se moquer des frontières établies par des tribus classes du Congo.
Le même morceau commencé sur une rythmique bémbé achève de vous entraîner vers les forêts mbochi où résonne généralement le folklore édenda et, sans transition, le tempo finit par vous faire naviguer chez les bomitaba grâce à la frappe syncopée des percussions (ici boxées par Morgan).
Quand on pense en avoir fini avec le dépaysement bakouélé ou moundzombo voilà que les artistes, ces traîtres, vous entraînent dans la Vallée du Niari et vous invitent à savourer les coups saccadés du tempo du niboland façon Loussialala de la Poussière.
Le niveau mystique de la transe est à peine dépassé et notre corps détaché de son esprit que, brutalement ces briseurs de frontières ethniques passent au coda.
Les morceaux ne s’éternisent pas comme les spécialistes du ndombolo s’emploient généralement à le faire à notre corps défendant.
Ouf c’est fou, c’est flou, c’est filou et c’est loufoque aussi. Oui, le Congo n’est pas encore mort malgré l’acharnement de nos croque-morts du PCT.

Claude koulou

Le répertoire de Lang’i n’est donc ni « bembé, ni lari ni téké ni mbochi » il est tout cela à la fois. C’est un arc-en-ciel culturel qui embrasse tous les folklores du Congo-Brazzaville, du kongo/lari au bomitaba en passant par le bembé, le téké et le mbochi. Comme preuve de son ouverture d’esprit, Lang’i a repris un ancien morceau kinois « Di moninga na gaï » de Lucie Eyenga.
Coup de chapeau pour la reprise en mbochi de la berceuse kongo Nawo tsétsa, déjà interprétée par plusieurs artistes dont Jacques Loubélo, Myriam Makéba et Albert Kisukidi.
« O di o mbochi ? » demande un spectateur à la chanteuse du groupe tant son interprétation de la célèbre comptine pouvait se targuer d’avoir atteint la perfection tonique.
« Ce fut un régal de le reprendre parce que nous somme passés du rythme kongo binaire au ternaire mbochi » confesse Keben, affectueusement surnommé le « Johnny Cleg congolais » par un ami dans la salle.
La comparaison n’est pas audacieuse quand on sait le rôle politique joué par le fameux zoulou blanc dans le combat sud-africain.
Oupta est polyglotte. Aucune langue congolaise ne lui semble étrangère. Son mbochi est parfait. Son bembé aussi. Elle a visiblement pris le parti de parler directement en lari à Keben.
« Twa batika ? » demande-t-elle à Keben peu avant le concer. Réponde de keben en lari : « eh ni bo ba télé ».
La langue du groupe semble le lari comme l’attestent au moins cinq chansons sur dix interprétées sur scène.

Une petite exégèse est ici nécessaire pour se rendre compte de la dimension politique cachée de l’idéologie du groue.
« Wa néna boukouna » (il faut savoir s’arrêter à temps) ou encore, plus impressionnant « simbila nyoka a kati mbo wa mona mi ku tudila » (ne jamais chercher à attraper un serpent entre la tête et la queue) (il vous en cuira de s’immiscer dans des affaires qui ne vous concernent pas) : Keben vous fait passer comme une lettre à la poste ces formules cabalistiques à structure harmonique complexe.

Qui est Keben ?

« Je suis arrivé au Congo voici au moins cinq ans. J’ai choisi de m’installer à Brazzaville alors que j’hésitais entre cette ville et Kinshasa » se souvient Keben. Après avoir prospecté le terrain, Keben a fini par rencontrer ses actuels collaborateurs. Un vrai challenge et une vraie aubaine car rares sont les groupes interculturels dans la ville de Brazzaville. Il faut remonter dans les années 1950 où, selon le témoignage de Don Fadel, des groupes mixtes de jazz sévissaient dans les cercles européens de la Brazzaville blanche. Le percussioniste Diaboua, par exemple, comptait parmi ces Africains qui composaient les ochestres interethniques black and white.

Keben


Pour keben, apprendre le lari ne fut pas chose facile car son esprit fut, au départ, sollicité également par le lingala. Le choix du kongo/lari fut d’autant plus fait rapidement qu’il optera pour lieu de résidence l’une des Brazzavilles Noires, notamment le quartier Mpissa au cœur de Bacongo dont le radicalisme linguistique a toujours intrigué les anthropologues. Le processus d’acculturation a si bien fonctionné que Keben s’exprime aussi bien en kongo/lari qu’en français sa langue natale.
En fait, ce n’est pas du tout impressionnant, d’entendre un Européen parler lari dans la mesure où les musiciens ont pris l’option de lui parler systématiquement dans la langue de Matsoua.
« Il a choisi de ne jamais résider au centre-ville comme les autres Européens » explique Murphy (fils du célèbre compositeur Ya Moïse ).

D’entrée de jeu, on entend Keben discuter en lari avec Oupta (la seule musicienne du groupe ) : « é bou ka télé twa shika » lui dit-il en faisant allusion à Mascot de Katalas, le patron du restaurant « La Fontaine de Miel ».
Cet établissement qui dispose d’une cave à l’intérieur de laquelle se tiendront désormais des concerts acoustiques « deux à trois fois par mois » selon le mot de son propriétaire, Mascot de Katalas vient à peine d’ouvrir les portes.

Les artistes

Le parcours des musiciens de Lang’i est d’autant plus atypique qu’à Brazzaville n’existe aucune école de formation et, encore moins, de Conservatoire. La question qui coule de source est la suivante : d’où tiennent-ils leur capital de connaissances si pointues ? On ne peut qu’avancer l’hypothèse du mimétisme culturel. Généralement le musicien en herbe fait école auprès d’un "pro" dont il imite le jeu. On dit, sans rire, que les Africains ont la musique dans le sang, le rythme dans le corps. Ce n’est pas totalement faux. Ce paramètre ethnologique joue un rôle majeur dans la maîtrise du rythme par les Africains. Ensuite il y a l’environnement écologique. Par exemple, le bruit du fleuve qui coule, les cataractes du Djoué qui grondent ou le bruit du train au contact des rails du CFCO sont autant de sources d’inspiration ou d’école de musique pour batteur et percussionniste potentiels.

Claude Koulou


Les "musicos", profondément ancrés dans la tradition, s’inspirent farouchement du folklore dès leur enfance. Mais leurs oreilles sont également attentives aux bruits du monde extérieur. Assurément le jazz, le blues, le rock sont assiduments écoutés. Ca s’entend dans le système musical de Lang’i.
Qu’on ne s’y méprenne pas : il y a aussi le travail personnel. Il y a également la confrontation avec des comparses dans le cadre émulatoire d’un groupe.
Le bassiste (Willy Bourdon) avec son phrasé jazzy n’a rien à envier aux grands maîtres camerounais ( Richard Bonna, Hilaire Penda, Aladji Touré, André Manga). Je lui fait remarquer que c’était original de jouer sur une basse électro-acoustique.
Bourdon fait bourdonner la basse comme jamais ne le font les bassistes congolais classiques. Son jeu est à la fois pur et fougeux sans être sauvage façon "slap". Bass et tam-tam sont jumeaux. Disons que le tam-tam est une basse sans cordes et, réciproquement, la bass une percussion à cordes. L’avantage d’un bassiste congolais qui passe au jazz c’est de pouvoir produire des sons harmoniques avec une frappe de percussionniste. C’est prodigieux comme amalgame. Je fais remarquer également à Bourdon qu’il n’exploitait pas assez son capital congolais dans son jeu, par exemple, le groov du walla ou le bruit des rapides du fleuve Congo. Toutefois la pentatonique ne semble plus avoir de secret pour Bourdon.
Dommage que son chorus au moment de la présentation du groupe ne fut pas plus long. Or le solo (le chorus) est le seul moment où l’orchestre accorde la parole à l’artiste pour délivrer sa part de message à l’auditoire.

William Bourdon


Les cordes de la guitare lead et rythmique sont pincées par Claude Koulou. « J’ai d’abord été bassiste avant de passer à la guitare » retrace pour sa part l’artiste dont je congratule la parfaite maîtrise du manche et l’usage savoureux des gammes majeure et pentatonique. Claude Kouloufoua chante aussi ce qui, dans la distribution scénique congolaise, est une rareté. Il est de la veine de Basile Tsika, excellent guitariste avec lequel Ego a joué à Montpellier (Zimaméya) et dont C. Koulou reconnaît honnêtement les mérites.

Murphy clavier


Au clavier sévit Murphy. Son jeu est irréprochable et, sa reprise du morceau de Zao (lumbémbémba - libellule) ne souffre d’aucune alternation harmonique. Ses plans de blues trahissent une judicieuse synthèse entre une formation typique congolaise et une pratique assidue des grands classiques. Pourtant, me confiera-t-il « je suis autodidacte ».

Morgan


Le cuir des « percus » est frappé par Morgan. Les phrases à l’envers du tempo ne l’effraient pas. Il n’y a rien d’étonnant à cela. Là-bas à Moungali ou Bacongo où il a été initié à ce dur art de la percussion, ce type de frappe fait partie du pain quotidien du percussionniste. Manifestement il a flirté avec les ballets ngouakatour dont Les Tambours de Brazza, le Ballet Diaboua de Toulon et Wa bélé yaoula sont des échantillons représentatifs.

Jess batteur

La batterie est chicotée par Jess. Ses break sont impressionnants. Dans le groupe, entre instruments harmoniques et percussions, s’instaurent des questions/réponses syncopées à l’audition desquelles m’est revenu un propos de feu Ntaloulou Alphonso ( bassiste des Bantous) : il n’y a de musique que dans l’application du contretemps.
Jess et Morgan développent durant les prestations une complicité qui donne toute son étoffe au style de Lang’i.
Oupta , l’éblouissante chanteuse dont le coffre jure avec sa silhouette de mannequin, a compris que le tempo s’attaque généralement à la deuxième ou troisième mesure. Sa voix creuse dans les graves et escalade les pentes abruptes des aigus sans se laisser rattraper par les coups bas de la fausse note. Le mariage des voix est un véritable défi que remportent Oupta et Keben dans un duo plus qu’impeccable.

Où on demande Mère Evé

« Congopage ? Vous êtes de Congopage ? Vous connaissez Mère Evé ? » me demande Keben lorsque je me présente à lui.
« Oui, virtuellement. Je suis surpris qu’elle ne soit pas là » fais-je.
« Aïe ! Je ne sais même pas si elle sait que nous sommes à Paris » me dit Keben en se mordant les doigts.
"Après notre tournée européenne, nous avons convenu de faire halte à Paris, la ville de keben" annonce Oupta au micro avant le début de la prestation.
Ce passage incognito et inopiné à Paris explique la faible affluence au concert de La Fontaine de Miel. Nous-même n’avons été tenu informé qu’in extremis par le producteur Cyriaque Bassoka qui, au passage, nous a demandé de lancer un SOS à la générosité humaine ainsi qu’à la solidarité afin que soit pris en compte le sort de cet autre enfant terrible de la chanson congolaise, Kimbolo Clotaire, dont tous les biens meubles et immeubles ont été réduits en cendres suite à un incendie. Kim Douley n’a plus que ses yeux pour pleurer.

Retour au pays

Dans la cave où a eu lieu le concert, nous avons reconnu le Prix Renaudot Alain Mabanckou et bien d’autres acteurs politiques comme Tsouarez et Lascony (voir supra). Bien entendu, ceux qui cultivent l’imaginaire culturel de la diaspora congolaise étaient là, notamment, Gabriel Mawawa Kiessé des Editions Paari, Alain Kounzilat des Editions ICES
« Don Fadel n’a pas pu rester » regrettera Mawawa Kiessé, également cofondateur du journal Congo ya Sika avec Ego.
Le plus étonnant c’est la promesse des musiciens de Lang’i de rentrer à Brazzaville après leur périple européen.
Je ne sais pas si dans leur champ proverbial figure la sentence "lutambi ndélo" tant prisée par Côme Manckasa (quel que soit l’écart du pied, il revient toujours à son point de départ). A l’heure où tout est prétexte pour fuir l’enfer de Brazzaville, en tout cas la décision du retour au pays illustre ce dicton.

La Fontaine de Miel
Réservation : 0142725494
94 rue Quincampoix 75003 Paris . Métro : Rambuteau/ Châtelet-Les Halles.