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A quoi servent les gouvernements d’union nationale ?

Source Congo Site 12/03/2004

Non signé, ce texte trouvé dans Congosite va sans nul doute amener de nombreuses réactions

La formation des gouvernements d’union nationale apparaît désormais chez les opposants politiques en Afrique comme une condition sine qua non pour la paix, la sécurité et le développement des Etats. Pourtant, au lieu de constituer un socle de paix et de stabilité, l’expérience montre que les gouvernements d’union nationale ont toujours été un échec, avec des conséquences plus désastreuses.

Les exemples des gouvernements d’union nationale qui se sont soldés par un échec sont légion en Afrique.

Le Congo-Brazzaville a tenté l’expérience d’un gouvernement d’union nationale en 1994, au sortir des troubles de 1993-1994. Les accords de Libreville avaient abouti à la formation d’un gouvernement d’union nationale donnant 60% de postes ministériels à la majorité et 40% à l’opposition.

Mais, sur le terrain, l’action gouvernementale a manqué de cohésion, chaque camp campant sur ses positions. Aux conseils des ministres, les débats étaient loin d’être dans l’intérêt du peuple. Et pour cause. Chaque membre prenait part à ce gouvernement pour des besoins électoraux. Et le pays est demeuré dans une instabilité politique qui a conduit jusqu’à la guerre du 5 juin 1997.

Au sortir de la guerre de 1997, qui s’est soldée par la victoire de Denis Sassou Nguesso, un gouvernement de large diffusion a été mis en place, regroupant en son sein des membres des partis de l’opposition (Martin Mbéri pour l’UPADS de Pascal Lissouba, Michel Mampouya pour le MCDDI de Bernard Kolélas, etc.).

Là encore, c’était un échec, puisque le ministre Martin Mbéri avait fini par démissionner. Pour sa part, les membres du MCCDI ont taxé Mampouya de traître, pour avoir accepté de faire partie de ce gouvernement. Cela explique le danger que court l’opposition en voulant faire partie d’un gouvernement d’union nationale.

D’autres cas de gouvernements d’union nationale sont la Côte d’Ivoire et la République démocratique de Congo (RDC).

En Côte d’Ivoire, affirmer que le gouvernement issu des accords de Marcoussis répond aux attentes du peuple serait abuser des Ivoiriens. Les querelles sont persistantes au sein de cette équipe gouvernementale et de la classe politique en général. La dernière expression du malaise a été la suspension, récemment, de la participation des ministres issus du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) à ce gouvernement dit de réconciliation nationale.

Le dernier acte du président Laurent Gbagbo qui a suscité la colère du PDCI est son refus de signer un décret de renouvellement du conseil d’administration du port autonome d’Abidjan. L’affaire a pris des proportions d’affaire d’Etat parce que le directeur général du port d’Abidjan est l’une des figures du FPI.

La volonté d’en découdre avec le président Gbagbo a conduit les frondeurs à chercher un soutien des autres formations politiques ivoiriennes. Ainsi, une réunion s’est tenue le 7 mars dernier, au cours de laquelle tous les partis (à l’exception du Parti ivoirien du travail), ont soutenu la décision prise par le PDCI.

Les Forces nouvelles (ex-rebelles), qui avaient suspendu leur participation au gouvernement pendant près de trois mois, ont refusé de se soumettre à l’opération de désarmement de leurs troupes, tant qu’ils n’obtiendraient pas certaines garanties.

En République Démocratique du Congo, après la course aux fauteuils gouvernementaux, qui les a incitées au compromis, les composantes de la transition (gouvernement Kabila, ex-rébellions armées, opposition civile, société civile et Maï-Maï) se livrent maintenant à des joutes inégales pour s’ancrer dans des fiefs électoraux encore mouvants.

Même si aucun des participants n’a vraiment intérêt à saborder trop vite la lucrative transition, des affrontements font encore des morts et font resurgir les pommes de discorde ayant alimenté la guerre.

Le dernier accroc en date : "l’affaire Kasongo", mais aussi la bataille des groupes armés de l’Ituri pour accéder à la table du pouvoir ou les polémiques verbales agitant les sommets de la transition témoignent de l’épreuve de force qui agite l’attelage chargé de conduire la RDC aux élections tant attendues.

Le major Joseph Kasongo était au premier rang des accusés du procès de l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, puis condamné à mort par contumace en janvier 2003. Il a refait surface dans l’actualité congolaise le 21 février dernier avec l’annonce d’une importante quantité d’armes et de munitions saisie à son domicile de Bukavu. Immédiatement arrêté, M. Kasongo a été transféré le 23 février à Kinshasa.

L’« extradition » du major Kasongo a déchaîné l’ire du RCD-Goma, dont les soldats ont mis à sac la résidence du général Nabyolwa. Pendant ce temps à Kinshasa, le vice-président RCD, Azarias Ruberwa montait au créneau, qualifiant la mesure présidentielle de « terrorisme d’Etat » et menaçant de quitter la transition avec tout son équipage de ministres, de députés et autres gouverneurs.

Les membres du Mouvement de Libération congolais (MLC) de Jean-Pierre Bemba, avaient menacé de quitter les institutions transitoires. Le MLC estimait avoir maille à partir avec Joseph Olenghankoy, le ministre des Transports, également président des Forces novatrices pour l’Union et la Solidarité (FONUS), qu’il a accusé d’avoir tenu des propos orduriers à son encontre dans une publication congolaise à Londres.

Au regard de ces trois exemples pris, parmi tant d’autres, il est une évidence que la formation des gouvernements d’union nationale n’est pas une solution idéale aux crises, moins encore un principe légal de la démocratie.

Toutefois, un gouvernement peut être imposé par la force des choses, c’est-à-dire si dans un conflit armé on n’arrive pas à avoir un vainqueur. En cas de non vainqueur, les belligérants sont craints soit par les populations qui se sentent lassées et démoralisées, soit par la communauté internationale, à aller vers une sorte de consensus pour sortir le pays de la crise.

C’est à ce moment là que la nécessité de partager le pouvoir, en attendant hypothétiquement les élections dites libres et transparentes, se fait sentir. Tels sont les cas de la RDC et de la Côte d’Ivoire.

Mais, ce postulat ne résout pas à lui-même le problème, d’autant plus qu’on n’aperçoit pas dans la vision des belligérants leur perception de la démocratie et de l’Etat qui changerait substantiellement les réalités à 100% à la crise de la démocratisation formelle à laquelle on assiste à travers tous les pays démocratiques depuis 1990.

Il est aussi clair que lorsque les belligérants arrivent dans un gouvernement d’union nationale, ils ne cherchent qu’à préparer d’éventuelles futures élections. Entre la période de fin de la guerre et celle de prise de pouvoir à travers des élections, ils ne gouvernent pas, mais sont en campagne électorale. Il n’y a ni entente au sein du gouvernement, ni programme politique, moins encore un programme qui fédère les différentes forces politiques.

La conséquence la plus grave est qu’au cas où il peut y avoir entente, la bataille d’idées entre les leaders politiques disparaît, avec elle l’opposition. Car, plutôt que de défendre son projet, l’opposition est obligée de défendre celui du président de la République.

Un gouvernement d’union nationale au Congo-Brazzaville, par exemple, reviendrait à dire que l’opposition devra désormais soutenir le projet du Président de la République, ’’La Nouvelle Espérance’’. L’on pourrait alors s’interroger sur le rôle d’une telle opposition, ainsi que son sort.

Ainsi, la tendance à vouloir former des gouvernements d’union nationale débouche sur l’absence de l’Etat, ainsi que des gouvernements au sens de la responsabilité et de l’innovation. Le risque d’aller vers un marché de dupes où le gouvernement accepte la formation d’union nationale tout juste pour calmer une certaine agitation et dès que celle-ci prend fin ce gouvernement est remanié.

Les opposants politiques devraient comprendre qu’être opposant c’est à la fois une ambition et un métier politique. L’ambition c’est qu’on a des idées pour le développer, qui soient différentes et meilleures que celles du pouvoir.

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