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Adonis Ngatsé : je suis Mbochi, nous avons le pouvoir

Au Congo, toute discussion engagée, quel que soit le sujet, débouche toujours sur les Mbochi c’est-à-dire sur Sassou. Une vidéo qui fait le buzz sur les réseaux sociaux depuis dimanche 13 décembre 2015 vérifie cette théorie.

Le document montre une altercation entre deux individus dont l’un, pistolet au poing, est maîtrisé par deux à trois individus parmi lesquels un policier. La scène se passe au centre-ville de Brazzaville. C’est Ngatsé, un gars de Sassou contre un gars qui vient de nulle part mais qui veut revendiquer une part de liberté. Du jamais vu.

Parking

Une place de parking aurait constitué l’objet du litige entre les deux protagonistes car figurez-vous que le quidam ne voulait pas céder sa place au beau Ngatsé, originaire d’Oyo. Crime de lèse majesté. Ngatsé, logique politique oblige, voulait de gré ou de force, cette place qu’avait l’outrecuidance d’occuper l’hurluberlu. Ngatsé, l’ayant-droit, gêné dans son stationnement dégaina et pointa un colt de gros calibre sur l’impudent adversaire. Stupéfiant !

Le message est on ne peut plus clair, à savoir que le Congo est un Far-West où l’on règle ses comptes à coups d’armes à feu.

La scène, digne de Daesh, est filmée depuis le balcon d’un immeuble par un cinéaste amateur anonyme, mitraillant avec sa caméra de rares badauds ahuris qui doivent se dire en pensant à l’homme désarmé : « celui-là, le chef aura bientôt fini avec lui. »

Nous saluons ici, le civisme du cameraman amateur qui prend soin de noter le numéro d’immatriculation (133 L H 4 ) de l’automobile du prénommé Adonis et promet poster la vidéo sur Facebook. Ce qu’il fera.

D’accord, un simple problème de stationnement ne peut pas mettre le feu aux poudres. Mais n’oublions pas qu’à Brazzaville, depuis le 20 octobre 2015, la tension est palpable depuis que le régime, craignant pour sa survie, fait feu de tout bois pour se protéger d’une insurrection populaire. Pour un oui pour un non tout peut dégénérer. Par exemple, le simple fait de rendre visite à un opposant comme Okombi Salissa est passible d’embastillement. Une ambiance de saloon tient lieu de modus vivendi au Congo.

Un civil armé

Vêtu d’un polo rouge, l’homme au revolver, Adonis Ngatsé, véritable boule de nerf, essaie tant bien que mal d’intimider son adversaire qui ne s’en laisse pas conter pour le moins.

Comment peut-on s’appeler Adonis et se comporter comme Attila ! Pourtant si le prétendu Adonis à les allures d’un habitué des champs de bataille, il ne porte pas l’uniforme militaire. Conclusion : Ngatsé le Windy est un civil armé. Un « milicien » dirait-on. Malgré son prénom de Dieu grec, son caractère est moche. Il est étonné que l’autre lui tienne tête car dans ce pays les gens ordinaires ont accepté l’idée que soit on courbe l’échine soit on meurt.

La berline du Nga Tsié mwana mboka, une grosse cylindrée noire, est un indicateur d’appartenance à la classe de ces nantis de la République auxquels les Congolais doivent théoriquement respect et obéissance même s’ils leur doivent aussi l’absence d’eau potable, de courant, d’écoles de hôpitaux, de routes dans leur existence. Cette relation s’appelle méconnaissance/reconnaissance. Plus tu écrases les autres, plus ceux-ci te respectent. Un maître et un esclave : c’est ainsi qu’Alain définit le pouvoir de domination. Les Mbochi se prennent pour les maîtres du Congo, les autres seraient leurs esclaves. C’est aussi simple que ça. Sauf que là où il y a abus de pouvoir, il y a révolte. Comme dans la scène de Ngatsé le pistoléro.

Un katangais caïd

L’adversaire d’Adonis Ngatsé Mivé John, est fou à lier. Il ne se laisse pas faire. Pire : il tente, le voyou, d’agripper Ngatsé au cou. Le policier l’en empêche tant bien que mal. Puis dans une logorrhée verbale propre à ceux qui ont la légitimité de l’impunité, Adonis traite le Katangais de Zaïrois parce que ce téméraire adversaire originaire de la Likouala possèderait (CQFD) ses racines en RDC.

Ô paradoxe, on a même l’impression que le ressortissant de La Likouala prend le dessus sur l’homme au revolver. Dans un système d’autorité comme celui favorable à Sassou où les détenteurs des armes font la loi, où la raison des plus fous est la meilleure, ce gars qui est aussi du Nord Congo surnommé aussi « Katangais » comme certains sont appelés Tchek, Nibolek, Norvégiens doit s’identifier à Tassoua alias Général Giap pour oser tenir tête à un natif d’Oyo, village de Sassou. Les Katangais prétendent avec raison qu’ils furent, avec les Frolibaba, le fer de lance du coup d’état Mbochi du 5 juin 1997.

La théorie transhumaniste

Une discussion pour une place de parking dégénère. Selon une théorie transhumaniste, plus un débat est long, plus il débouche sur Adolphe Hitler. Au Congo quel que soit le sujet d’une discussion, celle-ci débouche toujours sur Denis Sassou-Nguesso. La dispute autour d’une place de parking, n’a pas échappé à l’hypothèse transhumaniste.

Adonis Ngatsé aurait menacé le Katangais de lui faire la peau car il a des affinités avec Oyo-city, bled de Sassou. « Nous les Mbochi avons le pouvoir dans ce pays » clame-t-il. Traduisez , il ne lui arriverait rien à lui Adonis Ngatsé (nom qui signifie propriétaire terrien) et que, en revanche, tout pourrait arriver au Katangais qui n’est, en définitive, qu’un Zaïrois (entendez un gibier de potence), sujet apte à se voir administrer un magistral « mbata ya ba kolo ».

Que le kinois Koffi Olomidé, soit dit en passant, ami de Jean-François Ndenguet (bourreau des Zaïrois), en tire la leçon.

Quelqu’un de la diaspora

Le Katangais serait un opérateur économique ayant séjourné en France : un membre de la diaspora. C’est donc quelqu’un qui connaît ses droits, quelqu’un qui a une dent contre le système dictatorial de Sassou. Bref, un indigné de la République. Justement c’est le genre d’individus, comme Paulin Makaya, que déteste le pouvoir. La diaspora a toujours pointé le canon d’un fusil sur la tempe de Sassou. A la moindre occasion elle lui explose la tête. Les Combattants ne rateront aucune occasion pour appuyer sur la détente. Il suffit de lire la littérature des Indignés du 242 pour comprendre qu’ils veulent faire parler la poudre au Congo. Voilà pourquoi le procureur/procurateur Ngakala fait régner une ambiance de Kansas City dans le système judiciaire congolais. Buck John ou Wallace a remplacé Thémis. Brazzaville c’est Dallas. Pas Ouagadougou. Comme Pecos, à Mavoula, tu tires ou tu meurs. Avis à Zacharie Bowao qui a l’intention de rentrer au Congo après avoir flirté avec la diaspora congolaise de France.

Crimes méconnus

Bravo disions-nous, au cinéaste amateur qui immortalise le duel au pistolet. Il a eu le réflexe de viser et tirer son appareil au bon moment. Mais combien de drames de ce type se passent incognito, loin des caméras, à la faveur de cette ambiance délétère créée par l’illégalité de la nouvelle Constitution de Sassou, le Pancho Villa de l’Afrique Centrale (cf l’article d’Olivier Mouébara - Congo-Liberty du 15 décembre 2015) ? Les escadrons de la mort à la mode sud-américaine sillonnent les nuits pour des enlèvements d’opposants et de tous ceux dont la tête ne plaît pas au régime sans que la presse ne s’en émeuve. Personne ne saura dire le nombre de pistoléros qui opèrent à l’abri des regards, loin des regards gênants. Mais de plus en plus aussi, à découvert, car ils ont d’autant moins peur de l’opinion que leur patron, Denis Sassou-Nguesso alias Zapata, a récemment reçu la bénédiction de François Hollande en matière de massacres.

Fils de général

Renseignement pris, le balado Adonis Ngatsé le Yankee, l’homme au pullover rouge, serait le fils d’un général de l’armée de Sassou. Quel général ? On n’en saura pas plus. Et comme le nom Ngatsé, ce n’est pas ce qui manque dans l’armée de Sassou, autant chercher une paille dans une botte de foin. De toute façon l’enfant d’un général (que ce général s’appelle Ndenguet, Oba, Adoua ou Okemba) est le général de tous les enfants. Ces enfants, on le voit, ont la gâchette facile. On pourrait les appeler les Dalton puisque, bêtes et cruels, à leurs yeux, le Congo est devenu l’équivalent des USA avant la guerre de Sécession avec, en arrière-plan, des duels, des diligences et des banques attaquées, des pendaisons à la corde, de la bière qui coule à flot, du whisky à gogo, des juges véreux, des ports d’armes sans permis, des sheriff corrompus, des cow-boys qui soufflent sur le canon de leur Smith & Wesson après avoir abattu leur adversaire au poker.

Jeu d’enfant

Ces temps-ci, dégainer une arme à feu est devenu un jeu d’enfants dans ce Far-West Made in Sassou. Un collégien de Dolisie, Stévy Loïc Mayoussa, a récemment fait les frais d’une kalachnikov maniée par un flic. Le 20 octobre, des Congolais ont été tués à l’arme lourde à Brazzaville et à Pointe-Noire.

Le Yankee Adonis Ngatsé, un civil, aura beau jeu de se moquer de Paulin Makaya embastillé pour détention illégale (mais surtout imaginaire) d’armes à feu. On n’a pas encore entendu le procureur Ngakala sur le cas Ngatsé ngotobobo, un civil détenteur d’une arme et coupable de menace de mort sur la voie publique. Normal Ngatsé émbouchou est Mbochi. Et, les Mbochi ont le pouvoir. Les loups ne se mangeant pas entre eux, Ngatsé El Coyote peut dormir du sommeil du juste.

Courage, fuyons

Tous ceux qui regardent la vidéo restent admiratifs et non moins craintifs de la témérité du « Katangais ». Rien qu’avec la force de ses poings, il a fait reculer Ngatsé le Yuma qui, après s’être engouffré dans son puissant bolide, démarre en trombe sans demander son reste. « Courage, fuyons !  » aurait dit Henri Laborit auteur de l’ Eloge de la fuite.

En fait Ngatsé le gourba n’était que Ngatsé le ngaya.

Thierry Oko

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