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Alassane Ouattara hôte de Sassou-Nguesso

Le voyage du Président ivoirien au Congo est l’expression de la chronique d’une visite annoncée ainsi que l’a indiqué, peu avant le séjour, le barrissement médiatique de la plupart des journaux ouest-africains. Sassou a dû souhaiter « bonne arrivée »à son homologue ivoirien ce vendredi 7 juin 2013 en enchaînant probablement sur un « On dit quoi ? » ou un « Ca va chez toi ?  » dans le bon esprit des formules de convivialité qu’on s’échange au pays des Eléphants.

L’Ivoirien a foulé le tarmac de Maya-Maya tard dans l’après-midi. Une forte foule de diplomates, d’officiels, d’officieux, de résidents ivoiriens à Brazzaville, de groupes folkloriques l’attendait à son arrivée avec une ambiance dont le service de propagande du PCT a le secret. Selon les méchantes langues, on paierait les figurants pour faire nombre.... Voilà pour le côté cour.

ANALYSE CROISEE

Côté jardin, les deux hommes sont des lions de la brousse politique africaine. Ils ont été tous soutenus par la France, Chirac pour Sassou en 1997 ; Sarkozy et Claude Guean pour Ouattara en 2011.

Après les classiques poncifs du protocole (mots de bienvenue, honneurs militaires, questions de journalistes) le vainqueur de l’intrépide Laurent Gagbo a dû vibrer d’émotion en regardant droit dans les yeux Sassou, vainqueur de Lissouba. Télé-Congo s’est trompé en annonçant que Ouattara était le premier Président ivoirien à fouler le sol congolais. Erreur : sous Lissouba, Konan Bédié mit déjà pied à Pointe-Noire à l’occasion de la parade nationale du 15 août. Par ailleurs, Guillaume Soro, certes un éléphanteau du RDR, est un habitué du palais présidentiel de Mpila où il est venu faire antichambre chez Sassou au plus haut de la crise ivoirienne. Notons toutefois un étonnant hiatus de l’histoire : Houphouët Boigny, l’un des pères des indépendances africaines, ne séjourna jamais sur les berges du Congo quand bien-même Youlou et lui entretenaient de franches relations d’amitié fraternelle.

Ressemblances, dissemblances

Entre la Côte d’Ivoire et le Congo, les différences de mœurs socioéconomiques le disputent aux ressemblances. Les deux Etats ont accédé à leur indépendance dans les années 1960. Félix Houphouët Boigny, premier Président de la Côte d’Ivoire a milité au Rassemblement Démocratique Africain (RDA) un espace politique intra-africain, comme l’Abbé Fulbert Youlou, premier Président congolais. Sur le plan économique, dans les années 1960, bien que « L’Afrique noire (fut) mal partie » selon la triste prophétie de Réné Dumont, le Congo n’avait rien à envier à la Côte d’Ivoire. Mieux, Brazzaville, ancienne capitale de L’AEF, faisait l’admiration de l’Afrique de l’Ouest grâce à des projets comme le barrage sur la Sounda, notamment du Guinéen Sékou Touré.

Deux décennies plus tard, le dynamisme des planteurs Baoulé aidant, la production du cacao et du café tire l’économie ivoirienne vers le haut tandis que le Congo empêtré dans le marxisme léninisme, postérieur au pragmatisme de Massamba-Débat, dégringole au bas de l’échelle malgré ses richesses minières (parmi lesquelles le pétrole dont le premier boum survient en 1972). Pour la petite histoire, à l’origine, les boutures de café et de cacao sont venues des laboratoires d’Afrique Centrale, à Bangui.

Riche en productions idéologiques, le Congo brille plus sur la scène africaine par ses coups d’état dès le début des années 1970 que par ses performances économiques. Dans le même temps, le pays des Eléphants, dirigé de mains de maître par un dictateur éclairé, Houphouët, voguera dans une relative stabilité.

Systèmes jumeaux

En 1979, Sassou est aux commandes au Congo suite à un long coup d’Etat commencé le 18 mars 1977. Houphouët Boigny qui règne depuis les années 1960 meurt en décembre 1993 alors que Lissouba, professeur comme Laurent Gbagbo est aux affaires à Brazzaville. Sassou, après une éclipse de 5 ans, s’implante sur la scène politique avec la ferme intention de ne pas se faire avoir comme son homologue militaire Robert Gueï. Konan Bédié succède à Houphouët avant d’être viré par le général Robert Guéi comme Lissouba par Sassou. Robert Gueï, après avoir barri fort, meurt au pouvoir de la même façon que Marien Ngouabi, suite à un atroce assassinat. Comme des frères jumeaux, Ivoiriens et Congolais semblent adorer les coups de force comme facteur de changement politique. Un nationaliste radical, Laurent Koudou Gbagbo (le Bernard Kolélas ivoirien) succède au malheureux Gueï. A l’image de Lissouba, Gbagbo, sudiste, veut s’éterniser au pouvoir en déployant tous les artifices constitutionnels et subjectifs afin d’écarter son sérieux rival Ouattara de la compétition politique. Nordiste comme Sassou, Ouattara accède à la magistrature suprême sur fond de violente guerre civile suivant un scénario rôdé par Sassou en 1997. Lissouba avait ses milices Zoulou, Gbagbo ses Patriotes, Sassou ses Cobras, Ouattara ses Dozo. Devenu sans défenses, Gagbo, ce pachyderme du panafricanisme croupit en prison à La Haye à l’instar de Lissouba, autre panafricaniste en exil en Europe.

Œkoumène

17 millions d’habitants pour la Côte d’Ivoire, 3,5 millions pour le Congo, les deux économies soumises aux mêmes tensions politiques voient cependant celle de la Côte d’Ivoire prendre le large alors que la congolaise affiche un taux de croissance de 5%, un indice dont les populations ne ressentent pas l’impact positif dans leur vie quotidienne. 9,3 % pour la Côte d’Ivoire, ce qui le fait figurer dans le top 10 des prévisions de croissance des pays africains en 2013, (en fait la 4ème position) En Afrique de l’Ouest, La Côte d’Ivoire, en concurrence avec le Nigéria et le Ghana, occupe le leadership de la sous-région ; cependant, le Congo, malgré son pétrole se laisse écraser dans la CEMAC par son voisin, le Cameroun, où sévit (comme d’ailleurs au Congo) une vertigineuse corruption.

Ce samedi 8 juin 2013, Sassou a invité son homologue Ivoirien à Pointe-Noire afin de lui faire visiter les plates-formes pétrolières et le port de Pointe-Noire, géré par Bolloré tout comme celui d’Abidjan. En fait Bolloré gère tous les ports francophones.

Qu’est-ce que Sassou pouvait offrir d’autre dans un pays qui a des allures d’un désert industriel. Sur le plan pratique Abidjan ne connaît pas les délestages d’électricité, l’eau courante coule dans les foyers. La reprise économique est en cours en Côte d’Ivoire alors que le Congo joue sur le saupoudrage (municipalisation accélérée) pour abuser son monde.
Sassou ayant le feu au cul a dû dire à son ami ivoirien, au moment de se séparer : « Je t’invite à boire du cacao chez toi ». C’est son droit, lui qui, disions-nous, a longtemps reçu Guillaume Soro, Premier Ministre, puis Président de l’Assemblée ivoirienne. Reste à savoir si Ouattara va renvoyer l’ascenseur.

Comme on vient de voir, ces deux pays ont à peu près la même histoire, une histoire, si on ose dire, qui danse du «  couper/décaler » puisque, lorsque la RCI décolle, le Congo se cantonne fièrement en queue de peloton dans le classement des pays africains en développement.

Cherchez l’erreur.

Thierry Oko

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