email
Transparence ?

André Milongo, après le vote de la loi de règlement 2000 : « C’est beaucoup trop facile, C’est du simple rafistolage »

© La Semaine Africaine du N° 2467 du jeudi 20 mai 2004.

Le 19 avril dernier, l’Assemblée nationale a voté la loi de règlement du budget de l’Etat exercice 2000. La particularité de cette loi est qu’elle comporte un trou de 137 milliards de F Cfa [plus de 200 millions d’euros, soit plus de 250 millions de dollars], couvert seulement par un certificat administratif signé par le ministre des finances. André Milongo, député de l’opposition, s’est abstenu de voter cette loi et dans l’interview qu’il nous a accordée, il exprime son indignation face à ce genre de pratiques de gestion publique. II considère que par ce vote, le parlement congolais a donné la preuve qu’il n’est que « la caisse de résonance du pouvoir en place ».

La Semaine Africaine : Vous vous êtes abstenu de voter la loi de règlement 2000, pour quelles raisons ?

A. Milongo, en campagne à Ngabé
André MILONGO : Je me suis, effectivement, abstenu, lors du vote de la loi de règlement pour l’exercice budgétaire 2000, parce que 137 milliards, soit environ le quart des dépenses effectuées par le Trésor public, n’avaient pas fait l’objet d’ordonnancement, c’est-à-dire qu’on les a décaissés sans mandat, sans ordre.

Comme justification, à posteriori, il nous a été servi un certificat administratif pour attester que ces dépenses hors budget étaient régulières. C’est beaucoup trop facile, c’est du simple rafistolage. Voyez-vous, quelqu’un aurait pu sortir dix milliards pour un but personnel et inclure ce montant dans ce certificat administratif. Le parlement n’en saurait strictement rien. Or, ne peuvent faire l’objet de certificat administratif que les menues dépenses que l’on ne peut pas justifier par une facture. Par exemple, le gestionnaire d’une caisse d’avance qui a payé un pourboire à un serveur dans un restaurant ou à un griot dans une manifestation n’a pas la possibilité d’obtenir une facture. Dans ce cas, un certificat administratif se justifie.

Et, enfin, pourquoi la Trésorerie générale a-t-elle accepté de sortir des fonds sans mandat, probablement sur présentation de simples papiers ou de cartes de visite ? A-t-elle fait l’objet de réquisition comme l’exige, en la matière, le Règlement général sur la comptabilité publique ?

La S.A. : Pourquoi, selon vous, l’Assemblée nationale n’a pas diligenté une enquête administrative pour tirer au clair cette affaire et établir les responsabilités ?

A.M. : Ce devait être la tâche de la Commission économie et finances qui, elle, est permanente. Ses membres se sont contentés de justifications vagues et grossières, du genre « la non concordance entre le compte administratif et le compte de gestion est due aux nombreuses dépenses liées à la restauration de la paix sociale et à la sécurisation du pays, dépenses jugées urgentes et décaissées, en grande partie, sans ordonnancement préalable ». C’est faux parce que, plus loin, le rapport de la commission donne le détail des 137 milliards, détail qui révèle que seulement 36 milliards correspondent aux dépenses relatives à la restauration de la paix et à la sécurisation du pays.

La S.A. : Si l’Assemblée nationale ferme les yeux sur ces pratiques de gestion publique qui occasionnent une grande hémorragie financière au niveau du Trésor public, à quoi sert-il encore d’interpeller le gouvernement ?

A.M. II y a de quoi, effectivement, poser la question de savoir à quoi bon interpeller le gouvernement quand le parlement ferme les yeux sur une mal gouvernance aussi criarde. Voyez-vous, il arrive que les collègues députés de la majorité embarrassent les ministres par la pertinence de leurs interventions, mais quand arrive l’heure du verdict, ils votent presque unanimement pour le projet de loi. Le parlement congolais est, à cet égard, l’exemple même d’un parlement croupion, la caisse de résonance du pouvoir en place. Nos collègues ont le devoir de soutenir leur gouvernement quelle que soit la situation, c’est le mot d’ordre qu’ils reçoivent à la « Congolaise », siège des F.d.u, chaque fois que le gouvernement se trouve en difficulté.

La S.A. : Ne pensez-vous pas que le vote de cette loi de règlement 2000, avec un trou de 137 milliards de F.Cfa couvert par un certificat administratif du ministre des finances, a entamé le crédit de l’Assemblée nationale au sein de l’opinion publique ?

A.M. : Je ne sais pas si vous avez suivi les interventions des députés de la majorité. Ils n’ont pas seulement voté le projet de loi de règlement avec un trou de 137 milliards F.Cfa. Ils ont fait mieux. Ils se sont, de longues heures, répandus en propos dithyrambiques à l’égard du ministre des finances, pour « son courage ». Décidément, nous ne sommes pas sur la même planète ! Evidemment, auprès de l’opinion nationale, le parlement n’en sort pas grandi. Au lieu de contrôler le gouvernement, il l’incite à persévérer dans la mauvaise gestion. L’honorable Siapa Ivouloungou a eu le mot juste quand il a qualifié ce projet de loi de règlement pour l’an 2000, de loi d’amnistie. Effectivement, dans l’esprit du pouvoir, il s’agit de couvrir, d’enterrer, définitivement, l’inavouable, c’est-à-dire les détournements et autres turpitudes financières.

Savez-vous que le ministre des finances nous a avertis que la pratique du certificat administratif va s’étendre aux années 2001, 2002 et même 2003 ? A ma connaissance, le directeur du budget et la Trésorerie générale fonctionnaient normalement, ces années. II n’a pas été signalé de pillage de ces administrations, ces années-là.

La S.A. : Avez-vous un dernier mot ?

A.M. : L’impuissance de l’Assemblée nationale résulte de la Constitution de janvier 2002 qui concentre tous les pouvoirs entre les mains de l’institution « présidence de la République ». Par exemple, les ministres ne sont pas responsables devant l’Assemblée nationale. Pourquoi voulez-vous qu’ils la redoutent ? Au contraire, la Constitution leur permet de venir la narguer. N’a-t-on pas entendu un ministre - et pas des moindres - répondre à une question d’un député : « Si le gouvernement ne le fait, le ciel ne tombera pas ». II y a une autre formule souvent utilisée : « le chien aboie (ici l’Assemblée nationale), la caravane passe » (le gouvernement continue sa mauvaise gestion)..

Propos recueillis par Cyr-Armel YABBAT-NGO

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.

Recevez nos alertes

Recevez chaque matin dans votre boite mail, un condensé de l’actualité pour ne rien manquer.