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Ange-Edouard POUNGUI fait le point

Interview accordée au journal congolais l’Observateur in n°161 du 25-31 juillet 2002.

Ancien membre du Bureau politique du PCT (Parti Congolais du Travail), parti
unique d’obédience marxiste, de 1969 à 1975 et de 1984 à 1990, ancien
Premier Ministre de Denis SASSOU-NGUESSO de 1984 à 1989, Vice-Président du
Conseil d’Etat, Ministre des Finances et du Budget de 1971 à 1972, Ministre
des Finances du Budget et du Plan de 1972 à 1973, Président du Conseil
Economique et Social de 1989 à 1991, élu député à l’Assemblée Nationale en
1992 ; mandat interrompu en 1994 pour cause d’incompatibilité avec ses
nouvelles fonctions de Directeur National de la BEAC (Banque des Etats de
l’Afrique Centrale), Grand Officier de l’Ordre National du Mérite Congolais
et Commandeur de l’Ordre National du Mérite Français, Ange-Edouard POUNGUI
rompt avec le Président Denis SASSOU-NGUESSO le 28 novembre 1990 en
démissionnant du PCT, pour cause de divergence sur l’instauration du
multipartisme. L’Observateur l’a rencontré. Il nous livre sans langue de
bois, son point de vue sur la situation politique du Congo.

1. - L’Observateur : Monsieur le Premier Ministre, sept mois après le début
du processus électoral au Congo, quelle lecture faites-vous de la situation
qui prévaut dans le pays après ce marathon électoral ?

A.E.P. : La situation de mon pays n’est pas encore stabilisée et personne ne
peut raisonnablement aujourd’hui soutenir le contraire. Nous venons de nous
en rendre compte, en constatant que les fameuses élections démocratiques
n’ont pas apporté la paix et la stabilité tant promises. Posons-nous alors
la question de savoir pourquoi, après une si longue période de transition
ponctuée par le forum dit de paix et de réconciliation de janvier 1998, le
dialogue national de mars avril 2001, présenté comme sans exclusive mais
d’où étaient tout de même exclus : Pascal LISSOUBA, Bernard KOLELAS et
YHOMBY-OPANGO. Pourquoi malgré le plébiscite de M. SASSOU-NGUESSO avec près
de 90% des suffrages exprimés, le Congo se trouve-t-il à nouveau confronté à
de nouvelles violences ? Pourquoi certains compatriotes n’ont de cesse de
recourir à la force pour conquérir et/ou pour conserver le pouvoir ? Comment
régler le problème des victimes de toutes les violences politiques qui ont
émaillé notre histoire politique ? Comment lutter contre l’impunité des
auteurs des crimes politiques et/ou économiques ? Quelle architecture
institutionnelle convient le mieux à notre pays ? Comment partager le
pouvoir tout en respectant la règle fondamentale de la démocratie : un
homme, une voix ? Pourquoi un pays comme le Congo, doté de tant d’atouts
naturels, tarde-t-il à décoller ? etc, etc…

L’ensemble de ces interrogations doit être abordé avec sérénité par la
classe politique, la société civile et les autorités morales congolaises
dont les hommes d’église, autour d’une table, afin d’extirper les maux qui
minent le Congo, j’ai nommé, l’intolérance, la violence, etc... Les réponses
à ces questions seront nécessairement consensuelles. Pour cela, il faudra un
véritable exercice de psychanalyse politique collective associé à une bonne
dose d’esprit de compromis, pour sauver le Congo. Malheureusement, toutes
ces questions de fond ont jusqu’ici été éludées par le forum de 1998 et le
récent dialogue national de 2001. En effet, après une guerre aussi sanglante
que notre pays a connue, je croyais pour ma part, que nous avions atteint
les limites de l’inacceptable et que nous dirions : plus jamais ça ! Hélas,
M. SASSOU-NGUESSO et son camp, se prenant pour les vainqueurs, pensent
qu’ils n’ont plus rien à faire avec les autres, sinon leur imposer le droit
de la force, afin de se maintenir à tout prix au pouvoir. Mais quand on sait
comment cette fameuse victoire a été acquise, je les invite à avoir la
victoire modeste et à faire montre d’humilité pour privilégier ce que nous
avons tous de plus cher, le Congo notre patrimoine commun. Personne n’ignore
en effet que c’est grâce à l’intervention de l’armée angolaise que le
putschiste SASSOU, vint à bout des forces loyalistes. La mémoire collective
retiendra de cette intervention étrangère, comme le fait le plus inédit de
notre histoire et surtout comme la pire des humiliations que notre peuple
n’avait jamais subie, après la traite des Noirs et la colonisation.

J’en conclus que la situation actuelle de mon pays ne me rassure guère et la
paix que l’on vante tant n’est que factice ponctuée d’ailleurs d’incidents
souvent très graves qui provoquent de nouvelles victimes, des disparitions,
des déplacements incessants des populations, de nouvelles destructions des
biens et de pillages. Tandis que la répression exercée par le pouvoir est
qualifiée par le doux euphémisme de simples opérations de police, la paix ne
peut être définitive que si une véritable réconciliation nationale entre
toutes les filles et tous les fils du Congo intervient, à l’issue d’un
véritable et sincère dialogue entre les principaux protagonistes des guerres
itératives que notre pays connaît, ainsi que Fulbert YOULOU et Jacques
OPANGAULT nous en donnèrent l’exemple, après les émeutes de 1959. C’est en
ce moment là et en ce moment là seulement que les élections auront un sens.
Celles qui viennent d’être organisées ne visaient qu’à transformer la
victoire militaire de M. SASSOU en victoire politique. Comment pouvons-nous
parler de victoire électorale quand on sait que Monsieur SASSOU-NGUESSO
s’était employé à écarter méthodiquement et systématiquement tous ses
adversaires par des procès bidon ou par des textes iniques ! Par des procès
pour certains leaders politiques comme Pascal LISSOUBA, Bernard KOLELAS,
Jacques Joachim YHOMBY OPANGO, MOUNGOUNGA NGUILA et bien d’autres, condamnés
de façon fantaisiste. Par des textes iniques telles que la constitution et
la loi électorale qui ont interdit des hommes et des femmes comme moi, qui
vivent à l’étranger depuis plus de 24 mois, de postuler à une fonction
élective.

2. – L’Observateur : L’opposition a été délibérément tenue à l’écart du
processus électoral comme vous venez de le souligner. Pourtant le principal
groupement des partis de l’opposition regroupés au sein de la "Convention
national pour la démocratie et le salut (CODESA) a souvent participé aux
différents scrutins controversés. Que pensez-vous de cette attitude ? Par
ailleurs M. Jacques MOUANDA MPASSI, un éminent dirigeant du CDUR, votre
parti, vient d’être élu député de Nkayi. Comment avez-vous accueilli cette
élection ?

A.E.P. Il ne m’appartient pas d’apprécier les prises de position des partis
ou groupements de partis auxquels je n’appartiens pas. Il revient aux
militants de ces formations politiques de le faire et au peuple de juger du
sérieux de ceux qui ont la prétention de le diriger. Pour ma part, je ne me
serais jamais porté candidat à élection dans n’importe quelle
circonscription, alors qu’une partie du pays, en l’occurrence le Pool, est à
feu et à sang. Cela dit, si certains partis se réclamant de l’opposition et
certaines personnalités, ont participé à la mascarade électorale organisée
par M. SASSOU souvent pour des raisons inavouées, il reste que la grande
majorité de l’opposition a maintenu le mot d’ordre de boycott, lancé tout au
début de ce processus. Ce qui explique le très fort taux d’abstention qui,
aux derniers scrutins a dépassé la barre de 80% des personnes inscrites.

S’agissant de M. MOUANDA MPASSI, je dois préciser, en ma qualité de
président du CDUR, que notre parti n’a pas présenté de candidats aux
élections qui viennent de se dérouler car, avec l’UPADS, le RDD, le MCDDI
ainsi que d’autres formations de l’opposition, nous avons clairement
préconisé le boycott. J’ajoute que si notre parti avait participé à ces
élections, il aurait présenté des candidats dans plusieurs circonscriptions,
plutôt que de se limiter à une seule ! Cela signifie en clair que M. MOUANDA
MPASSI s’est présenté à titre strictement personnel. Une telle attitude
s’explique sans doute par le fait que certains frères de l’intérieur, qui
ont pourtant soutenu le boycott du référendum et de l’élection
présidentielle ont, s’agissant des législatives et des locales, découvert
que les dirigeants en exil étaient subitement déconnectés des réalités
nationales ! A cet égard, je dois concéder que la seule réalité dont je peux
réellement être déconnecté, est celle qui concerne les prébendes que le
pouvoir de M. SASSOU distribue à tout va, pour s’assurer des ralliements
explicites ou implicites. Les dernières élections en sont une illustration
indiscutable. Il n’échappe à personne qu’il s’est agi plus de distribution
de postes que d’élection véritable.
En revanche, il est une réalité dont je ne peux être déconnecté, c’est celle
qui est faite de la présence d’armées étrangères sur le sol de notre pays,
de terrorisme d’Etat érigé en système de gouvernement, de coup d’Etat
permanent, de complots à l’intérieur même du pouvoir et dont l’opposition
sert souvent d’exutoire expiatoire, d’assassinats de milliers de citoyens
innocents, de disparitions jamais élucidées, de rafles de jeunes et leur
exécution sommaire, de pillages devenus le sport favori des hommes en armes,
de l’impunité absolue pour tous les hommes du pouvoir, de la paupérisation
toujours plus accrue des couches les plus démunies de notre population et de
l’enrichissement scandaleux concomitant de l’oligarchie militaro-tribale au
pouvoir, de détournements des deniers publics, de retards de paiement de
salaires, des pensions et des bourses, de pénurie de carburant, de pénurie
de médicaments dans les hôpitaux, bref, cette réalité là, je prétends la
connaître parfois mieux que de nombreux compatriotes qui se trouvent à
l’intérieur car, paradoxalement, il m’est arrivé de renseigner certains, sur
ce qui se passe à Pointe-Noire ou à Ouesso, à Brazzaville ou Loubomo, à
Madingou ou à Kellé, ou sur des faits ou des événements qui ont eu lieu
parfois dans un quartier d’une ville où ils résident.

3. – L’Observateur : L’ancien président de l’Assemblée Nationale, M. André
Milongo vient d’être évincé de la tête de la CODESA, au bénéfice de M. 
Saturnin OKABE. Vous connaissez les deux hommes, quelle a été votre réaction
 ?

A.E.P. : Il s’agit des problèmes internes à un groupement de partis dont mon
parti et moi-même ne sommes membres. Je n’ai donc aucun jugement de valeur
à formuler sur ce qui les divise. Je connais en effet les deux hommes avec
qui j’entretiens par ailleurs d’excellentes relations amicales. Je note
qu’ils se réclament tous les deux de l’opposition. J’attends par conséquent
qu’ils adoptent des positions et posent des actes de nature à renforcer
l’opposition et à éviter tout ce qui peut la fragiliser.

4. – L’Observateur : Dans une déclaration récente, relayée par RFI par la
voix de l’archevêque de Brazzaville Monseigneur Anatole MILANDOU, les
évêques du Congo "exigent une gestion transparente des revenus pétroliers".
Le porte-parole du gouvernement, M. IBOVI a vivement réagi en déclarant : « 
Il n’est pas de la compétence de l’Eglise de créer la confusion en matière
de gestion pétrolière ». Que vous inspire cette réaction ?

A.E.P. : Les vociférations outrancières de M. IBOVI sont inacceptables.
Elles traduisent la gêne qu’il éprouve à rendre compte au peuple, de la
gestion calamiteuse des ressources pétrolières par l’oligarchie politico
tribale dont il est une pièce maîtresse. Chaque Congolais, quelque soit sa
confession religieuse, ou son rang social, a le droit de savoir comment sont
gérées les ressources du pays dont le pétrole. En d’autres termes, les
évêques congolais sont dans l’exercice de leur droit citoyen lorsqu’ils
exigent une gestion transparente des revenus pétroliers. Y déférer relève de
la transparence et de la bonne gouvernance. La nouveauté dans la déclaration
des prélats réside en ce qu’ils proposent la création, par une loi, d’un
comité de contrôle des revenus pétroliers dont feraient partie, les
représentants de l’Etat, de l’Eglise et de la société civile. Il s’agit
d’une proposition qui mérite attention. D’ailleurs, ils sont les derniers à
tirer la sonnette d’alarme car, avant eux, l’opposition congolaise, le FMI,
la Banque Mondiale, M. André MILONGO avaient dénoncé l’opacité qui entoure
la gestion de la principale ressource du pays, le pétrole. A ce sujet, je
voudrai demander à M. IBOVI, de rendre public les résultats de l’audit de la
SNPC exigé par le FMI ? Je note en revanche, que M. TATI-LOUTARD, ministre
putatif du pétrole est plus mesuré que son collègue IBOVI car, réagissant à
la déclaration des évêques, et conscient de ce que son gouvernement
n’atteindra jamais le cercle vertueux dans la gestion des deniers publics,
compte tenu de l’ampleur de la gabegie ambiante, il se contente du service
minimum, en préconisant la "réduction" de l’opacité dans la gestion du
pétrole.

5. – L’Observateur : Monsieur le Premier Ministre, le pouvoir de Brazzaville
s’apprête à célébrer dans une ambiance festive, les journées des 13, 14, et
15 août et par la même occasion, procéder à l’intronisation de SASSOU III. A
cette occasion, la rumeur selon laquelle une amnistie générale pourrait être
annoncée, circule avec instance. Le tout va se dérouler sur fond de sale
guerre dans la région du Pool. Que pensez-vous de l’amnistie et comment
selon vous mettre un terme à la crise congolaise ?

A.E.P. : Je dis sans détours qu’à mes yeux, M. SASSOU n’a pas plus de
légitimité aujourd’hui qu’il n’en avait hier. Il reste un putschiste,
installé et maintenu au pouvoir par des armées étrangères. En effet,
n’importe quel quidam sans charisme, sans passé ni futur, aurait été élu à
plus de 90% de suffrages exprimés, après avoir constitué son propre corps
électoral, mis en place sa propre commission électorale, écarté tous les
principaux adversaires politiques, choisi ses propres rivaux, parcouru seul
tout le pays grâce aux fonds publics, le tout, sous l’occupation d’armées
étrangères. M. SASSOU rentrera dans l’histoire de notre pays avec le
sinistre record de celui qui aura versé un fleuve de sang de ses
concitoyens, marché sur des dizaines de milliers de cadavres, pour revenir
et se maintenir au pouvoir. C’est cet homme qui, le 14 août prochain, va
être sacré pour la troisième fois, souverain du Congo, selon la constitution
qu’il s’est octroyé. Ce sera pour tous les Congolais du déjà vu ; donc, une
fois de plus, un non événement. Au surplus, c’est cet homme qui, dites-vous,
va décréter une amnistie générale ? Mais une amnistie pour qui et pourquoi ?
S’il est vrai que je ne me sens pas personnellement concerné par une
quelconque amnistie, en revanche, il n’en va de même de M. SASSOU lui-même
et de ses compagnons. Lui et les siens ont sur leur conscience la mort et la
disparition de plusieurs dizaines de milliers de nos compatriotes. Ils sont
donc en quête d’une impunité perpétuelle, sous le voile de l’amnistie.
Pourtant le feuilleton judiciaire du dictateur chilien et de ses émules
argentins, devrait les convaincre de l’inanité d’un tel bouclier.

S’agissant des actions à entreprendre, je continue de préconiser rien
d’autre que l’ouverture sans délais, d’un véritable dialogue entre toutes
les parties concernées par la crise que connaît notre pays. J’y consacre
toutes mes forces car je crois réellement aux vertus du dialogue. Seul un
dialogue sincère et véritable je le répète, peut restaurer la paix et ouvrir
la voie à la réconciliation nationale. Pour cela, il faut arrêter le recours
systématique à la force et singulièrement, mettre un terme aux opérations
militaires en cours dans la région martyre du Pool.

6. – L’Observateur : Votre dernier mot ?

A.E.P. : Je voudrai dire à mes compatriotes de persévérer dans leurs
convictions, de garder espoir et de continuer de croire en la victoire de
l’amour sur la haine, en la victoire de la démocratie sur la dictature. Ne
dit-on pas que quelque soit la durée de la nuit, le jour finira par se
lever. Ce jour là, pour paraphraser notre hymne national, le soleil va se
lever, et notre Congo va resplendir, une longue et douloureuse nuit va
s’achever, un grand bonheur surgira et nous chanterons tous avec allégresse
le chant de la Liberté…, ce jour là, Congolais debout, fièrement partout,
nous proclamerons l’Union de notre Nation…, ce jour là, nous oublierons tout
ce qui nous a divisé et nous serons plus unis que jamais…, ce jour là, que
j’appelle de tous mes voeux, humblement mais dans la dignité, je rentrerai
chez moi et, ensemble avec mes compatriotes, nous vivrons, pour notre devise
 : Unité* Travail* Progrès !

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