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Benoît Miyalou n’est plus

Dans quelques jours nous allons faire descendre dans sa tombe Benoît Miyalou, congolais décédé récemment à Nice.

Ce compatriote nous a brusquement quittés voici un peu plus d’une semaine, sans voir l’épilogue de cette incroyable situation politique congolaise sur laquelle nous avions testé nos concepts scientifiques les plus aigus depuis les réunions de l’AEC et les débats informels dans les chambres de Cités U, les salons privés ou les colloques.

« Je leur dis : « Messieurs, l’Europe va perdre un grand esprit. » (Victor Hugo aux obsèques de Balzac)

On ne peut que paraphraser le poète devant la bière de l’auteur de La Comédie humaine : "C’est un redoutable sociologue que le Congo va longtemps regretter".

Les adeptes des raisonnements simplistes vont sans doute encore nous le reprocher ; mais comment ne pas faire le lien entre la disparition de cet ami et frère de lutte et la machiavélique politique menée par le Pouvoir congolais depuis les années 80, période du premier coup d’état.

Venus en France dans la vague des années du faste pétrolier alors que Sassou-Nguesso vient de prendre le contrôle de notre économie, le retour au pays des étudiants de cette cohorte devrait s’effectuer comme une routine. C’était sans compter avec la gestion honteuse des ressources humaines par les contremaîtres du parti unique. Comment comprendre qu’en dépit du boom pétrolier des étudiants diplômés et ultra-diplômés aient pu se retrouver en train d’errer dans les rues poussiéreuses de Brazzaville et Pointe-Noire, endossant parfois le statut de vendeurs à la sauvette dans nos marchés tropicaux ?

Le constat est pourtant cruel, amer, paradoxal : le Congo regorge de cadres ; le marché du travail est saturé de diplômés sans emplois.

Voilà donc des intellectuels : historiens, économistes, philosophes, mathématiciens, juristes, géographes, bardés de titres universitaires hantant indéfiniment les bureaux de l’ANPE des villes françaises où on leur propose des métiers sans rapport avec leurs formations académiques.

On se tuait de dire à ceux qui sont encore et toujours là et qui ne sont jamais las d’être là, on leur disait, la mort dans l’âme : « il faut que ça change  ». Réponse cynique des intéressés : «  le chien aboie, la caravane passe  ».

Aussi discutions-nous du meilleur moyen de se passer de la caravane de nos Ali Baba indigènes.

Nous discutions de tout ça en alimentant nos propos de la théorie de la « reproduction » du meilleur spécialiste des effets pervers de l’Education Nationale, de ses revers et de ses travers, Pierre Bourdieu. Structurés comme une marchandise qui circule dans un marché, les titres universitaires, prennent de la valeur ou en perdent selon la position du détenteur du titre dans ce champ et surtout, en fonction du capital social que l’agent est capable de mobiliser, car selon que ce capital est énorme ou insignifiant, il détermine la distinction. On peut être détenteur d’un capital scolaire élevé et être battu à plate couture par un porteur de titre académique insignifiant mais doté d’un important capital social. Ce veinard est appelé « héritier » par Bourdieu.

Bref, faute de capital social, malgré le capital culturel que confère le titre universitaire, nombre d’intellectuels africains se sont vu disqualifiés sur le marché des négociations des compétences, incapables de se distinguer dans un milieu très étroit où les habitus de la discrimination sont légion. Total : le Congo regorge d’une minorité d’héritiers n’ayant pour seul mérite que de porter le nom d’un notable politique.

Tel père, tel fils ? Pas tant que ça. Ici des lions sont mis au monde par des ânes. Regardez ces milliardaires dont les parents étaient récolteur de vin de palme, prolétaires ambulants, errant de forêt en forêt. Oui, vous avez bien entendu : il s’agit de Biens mal acquis. Le pouvoir est devenu leur cimetière ; ils y naissent, ils y meurent après vous avoir toisés avec morgue.

Benoît Miyalou comme nombre d’ "homo academicus", a vu son statut social enseveli sous le catafalque de l’ethnocentrisme ambiant faute de porter le type de nom qu’actuellement le substitut local du Léviathan (entendez Le chemin d’avenir), couche sur son nouveau testament qui, bien entendu, s’inscrit dans le registre délictuel du faux et usage de faux. L’épitaphe sera sans appel sur la sépulture de ces faussaires : ici gît des vautours.

Si le monde congolais tournait bien, s’il ne marchait pas sur la tête, les cours d’anthropologie à l’Université de Brazzaville auraient eu de très érudits prestataires parmi tous ces diplômés congolais réduits à vendre leur force de travail en tant que videur dans les boîtes de nuit, agent de sécurité chez Mac-Do, plongeur dans les petits restaurants, technicien de surface dans les locaux administratifs ou (au mieux) maître auxiliaire dans quelque collège de banlieue française.

Mais ce monde ne tourne pas rond avec sa légion de ronds-de-cuir dont le sport favori est de détourner tous les ronds qui passent aussi bien à portée que loin de leurs mains sales inspirant la nausée même aux mouches.

Ben Miyalou ne reverra plus la terre jaune de son Dolisie natal. Que dire d’autre sinon adresser nos plus émouvantes condoléances à ses parents, notamment le puîné de ses frères, Jean-Pierre Ngouala à Nice et la mère là-bas à Loubomo dont le vide ressenti en raison du départ d’un enfant ne pourra jamais être remplacé.

Continue, cher Ben, continue de faire tourner, là-haut, le réseau de concepts que la science d’Auguste Comte nous a inculqués, concepts que, de toute façon, Dieu le Père (lui et personne d’autre) nous a tous inspirés.

Que la terre te soit légère.

PS  : au moment où nous mettons sous presse, la date des obsèques n’est pas encore fixée.

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