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Bongo est enterré : quid de la Françafrique ?

C’est un lieu commun de le répéter, mais la mort d’Omar Bongo Ondimba marquera bien un tournant dans l’histoire du Gabon. Qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en inquiète, c’est aussi un peu de la Françafrique qui disparaît avec celui qui, aujourd’hui même jeudi 18 juin (date choisie ou coïncidence comme il y en a peu chez nos présidents ?), est porté en terre à Bongoville. 73 ans. 41 ans de pouvoir. Une connaissance par le menu des moindres recoins de la relation passionnée entre l’Afrique francophone et son ancienne puissance dominatrice.
Un carnet d’adresses plein de petites et grandes histoires par lesquelles l’Afrique tient l’occident par la barbichette (si tu me trahis, je déballe tout !). Dans ses dernières heures de vie, le président Bongo avait su jouer de cette stratégie lorsque des velléités judiciaires en France ont tenté de dire ce qu’on savait ; de faire du neuf sur du vieux à propos de villas, de comptes bancaires et autres broutilles : comme si l’Afrique francophone ne savait se débrouiller – seule – que lorsque des périls judiciaires risquaient de maculer les jaquettes sans tâche des présidents français, de leurs premiers ministres ou de leurs présidents-fondateurs de partis ! Bongo s’en va, qui va lui succéder ?

A vrai dire, la question est sans intérêt. Car dans ce que nous savons de la Françafrique, ce n’est pas au citoyen de (se) poser ce genre d’interrogations ni, a fortiori, d’y répondre. La Françafrique est une machine bien rôdée qui peut, à l’envi, faire fi des diamants d’un Bokassa pour, soudain, privilégier les vertus d’un David Dacko ; se contenter d’un Kabila-père, moindre mal, face à un Mobutu désormais vieille loque encombrante ; retenir la main du Soudan contre le Tchad pour laisser les coudées franches à un Idriss Déby gérant de pétrole ; veiller à la tranquillité de patriarche d’un Biya qu’il ne faut surtout pas réveiller… Non, il y a décidément trop de « choses » en jeu, trop de mécanismes de délicate horlogerie, trop d’implications sur la vie des gens, surtout ailleurs en Occident, pour que le premier hurluberlu du pré-carré vienne jouer les apprentis sorciers. E si près des gisements offshore ! Sinon, Savimbi sera abattu et avec lui tous les Savimbi du Golfe de Guinée.

Donc, résolument, pas de questions, pas d’angoisses de succession : Bongo n’avait rien prévu ; la Françafrique a étudié la question pour lui et pour les Gabonais. Aussi est-ce pur exercice de style que le mien lorsque j’avance que, comme dans toutes les questions vitales, les deux phases que nous « risquons » de voir, sont déjà écrites.

1.- Les choses se passent à la Françafrique. Ali Ben Bongo, fils cadet du président convainc la famille et, de ministre de la Défense il passe, après des élections auxquelles on veillera à envoyer des observateurs de monitoring – venus de l’Union Européenne, avec une voix de prépondérance pour celui qui représentera la France dans le lot, car il connaît mieux les dossiers et les « mœurs locales » - et qui diront que tout s’est bien passé « malgré quelques difficultés à Owendo et dans certains quartiers de Libreville où le matériel électoral a été acheminé en retard ». Et comme prévu dans la partition, quelques agités de l’opposition supposée crieront à la triche, contesteront, demanderont à compter les bulletins et à les recompter. Puis tout se règlera dans l’apaisement progressif. C’est-à-dire que le Gabon sera revenu au point de départ. Celui à partir duquel Léon Mba, le premier président déclarait en août 1960, devant de Gaulle : « pour nous Gabonais, avant l’indépendance, c’est la même chose qu’après l’indépendance ».

2.- Les Gabonais se croient permis de descendre dans la rue. D’amplifier les huées qu’ils ont adressées à Nicolas Sarkozy mardi, de crier à tue-tête qu’ils veulent « la » démocratie. On enverra alors quelques agents casqués dans les rues de Libreville (et peut-être de Franceville, qui sait où peut aller la contagion ?) et là aussi tout retournera dans le scénario écrit. A moins que, variante également en vogue, les quelques têtes chaudes de cette opposition n’acceptent quelques fauteuils dans un gouvernement d’union. Et alors tout baignera. Dans l’huile visqueuse de nos lampes et de nos malheurs. Avec peut-être un Ali Bongo comme président et un Pierre Mamboundou ou quelqu’autre cacique comme Premier ministre, c’est-à-dire son faire-valoir. Ca s’est vu ailleurs, pourquoi les Gabonais seraient-ils privés du droit à l’expérience ?

Mais où est l’erreur ? Je vais vous le dire. Dans le premier comme dans le deuxième cas, le scénario est absolument le même ! Un peu d’agitation ne blanchit pas la démocratie. Et quelques excités n’ont jamais été de trop quand il s’agit de dire, plus tard, que cette démocratie-là « nous l’avons arrachée de haute lutte ».

C’est pourquoi il serait préférable que s’écrive un troisième scénario et que, de préférence, ce soient aux Gabonais à fournir le porteplume, le papier et l’encre. J’arrive vers la fin de mon billet et je vous révèle ce que vous ne saviez très certainement pas : les débuts du Gabon nouveau sont rassurants. Dès la mort du président connue, c’est la présidente (oui, une femme !) du Sénat qui a assumé l’intérim. Le Conseil constitutionnel a constaté la vacance du pouvoir. Et même le gouvernement a finalement été invité à rester pour assurer l’expédition des affaires courantes. Le tout conformément à la Constitution. Il ne reste plus qu’à souhaiter des élections dans les 45 jours ou à une date négociée, toujours conformément à la Constitution. Et en plus les Gabonais ont hué Sarkozy (mais pas Chirac). Débuts encourageants non ?

Benda Bika

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